Combattant hiérosolomytain

Shmouel Matza était membre de l’Irgoun. Son nom est gravé dans l’histoire de la lutte pour Jérusalem. Et sur les murs de la prison du Kishle

Shmouel Matza (photo credit: DR)
Shmouel Matza
(photo credit: DR)
Shmouel Matza a fait partie de la Résistance juive. Comme beaucoup d’autres, ce Hiérosolomytain de naissance a lutté pour libérer Jérusalem et Israël des Anglais. Et comme beaucoup d’autres, sa contribution personnelle s’est perdue dans les dédales des récits héroïques légendaires qui entourent ces combats. Mais Matza, né en 1927, a marqué de son empreinte la prison du Kishle. En 1947, à l’occasion d’une détention administrative de trois jours dans une des geôles de cet établissement pénitentiaire de la Vieille Ville de Jérusalem, avant d’être conduit vers le camp de détention de Latroun, il inscrivait son nom sur le mur de sa cellule. Un geste a priori sans importance, mais qui, des décennies plus tard, est toujours gravé dans l’histoire.
« Le matin, j’avais gardé une fourchette du petit-déjeuner », se souvient-il, « et pendant la journée, quand personne ne pouvait me voir, je gravais le logo de l’Irgoun (Irgoun Tzvaï Leoumi, organisation militaire nationale). Je ne l’ai pas fait pour l’histoire. Je l’ai fait pour que les Britanniques voient que, même en prison, je ne vacillais pas. J’étais content de me dire que, quand ils reviendraient dans ma cellule, après m’avoir conduit à Latroun, ils verraient ce que j’avais fait
– car j’y avais aussi inscrit mon nom. »
Matza a gravé son nom à deux reprises, une fois sur la paroi latérale et une fois sur le mur du fond, là où il a aussi ajouté le symbole de l’Irgoun : une carte de la Terre d’Israël – qui comprenait les frontières de la Transjordanie de l’époque – barrée d’une main brandissant un fusil. De chaque côté du logo, il a inscrit « Rak Kakh » (seulement de cette façon), pour signifier que « seulement de cette façon, avec la force du fusil, nous pourrons renvoyer les Britanniques en Angleterre », explique-t-il aujourd’hui.
L’itinéraire d’un résistant
Les parents de Matza sont tous les deux nés dans la Vieille Ville de Jérusalem. Sa mère est issue d’une lignée de juifs expulsés d’Espagne pendant l’Inquisition, et son père descend de juifs grecs arrivés en Israël au début des années 1880. Matza, lui, a grandi dans le quartier de Mishkenot Shaananim, à l’extérieur des murailles de la Vieille Ville, à quelques encablures de la piscine du Sultan. Il se rappelle les longs moments passés assis, à côté de la fenêtre, à regarder les foules qui venaient se baigner. A l’âge de six ans, il déménage avec sa famille rue Agrippas. Aujourd’hui encore, il se souvient de ce soir de Pessah, où un groupe de jeunes arabes avait surgi dans le quartier, brandissant des poignards et chantant « Massacrons les juifs ». Début 1945, à 17 ans, il rejoint l’Irgoun.
« J’ai vu comment les Britanniques se sont comportés pendant le Mandat », raconte-t-il, « ils ont occupé la terre, mais n’ont jamais aidé les juifs à construire leur Etat, comme ils l’avaient pourtant promis à la Société des nations. »
L’année précédente, vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, le chef de l’Irgoun Menahem Begin, avait initié une révolution contre les Britanniques qui passait par une campagne contre les camps militaires et les commissariats de police. Matza voulait se joindre à la lutte.
« C’était un réseau souterrain », explique-t-il, « il n’y avait ni adresse à laquelle se rendre, ni numéro de téléphone à contacter. C’est un ami qui m’a présenté. Il m’a dit de me poster à tel endroit, à la nuit tombée, de prendre un journal en main et d’attendre que quelqu’un vienne me poser une question. J’ai donné la bonne réponse et j’ai suivi mon interlocuteur. Voilà comment j’ai rejoint les combattants de l’Irgoun. »
Au départ, Matza se voit confier des missions de moindre risque, comme placarder sur les murs déclarations, brochures et autres annonces de l’Irgoun dans les rues, le soir, dans l’obscurité. A l’époque, Jérusalem était sous couvre-feu, et coller des affiches la nuit tombée était illégal. Ce qui n’a pas empêché Matza de faire équipe avec un autre jeune homme : pendant que l’un passait de la colle sur le mur, l’autre posait les affiches. Une fois, rue Even Israël, entre Yaffo et Agrippas, alors qu’ils sont en train d’afficher des posters, un coup de feu résonne. Ils se retournent brusquement et voient un policier en train de leur hurler dessus.
« Nous nous sommes mis à courir », raconte Matza. « Mon ami a réussi à s’enfuir, mais j’étais de corvée de colle, je me suis empêtré, le seau est tombé et j’ai glissé. Et le bâtard m’a eu. Il m’a conduit à l’hôtel Palace – là où se trouve aujourd’hui le Waldorf Astoria – qui abritait à l’époque le département du Renseignement britannique. »
« Ils m’ont laissé jusqu’à l’aube dans une chambre sans lit et le matin ils m’ont conduit devant un tribunal. J’avais 17 ans, alors ils ne pouvaient pas me juger. Je devais comparaître devant un tribunal pour mineurs. Devant les juges, j’ai déclaré être payé pour coller ces affiches. J’ai affirmé ne pas faire partie de l’Irgoun, ni d’aucune autre organisation. J’étudiais au lycée Terra Sancta où tous les cours sont en anglais. En tant qu’étudiant, ils ont décidé de me libérer à condition que je vienne me présenter à la police deux fois par semaine. Moins d’un an plus tard, j’étais de nouveau arrêté. »
La lutte armée
Matza écope d’une nouvelle mission : enseigner aux jeunes femmes fraîchement recrutées le maniement des revolvers et des munitions. Pour l’occasion, l’Irgoun a loué une petite chambre d’étudiant rue Yehezkel, dans le quartier de Gueoula à Jérusalem. A l’intérieur, quelques dalles du carrelage au sol ont été descellées et un trou a été creusé sous le plancher pour constituer une cache  d’armes. Puis tout a été remis en place, dans l’attente de la première session de formation des jeunes recrues prévue le soir même.
« Ils m’avaient demandé de préparer la chambre pendant la nuit », relate Matza, « mais au petit matin, ils ont voulu qu’une fille vienne avec moi pour nettoyer les déblais du sol creusé. J’ai demandé à la fille d’attendre dans la pièce pendant que je partais chercher un balai chez le voisin. Quand je suis sorti dans la cour, j’ai soudain remarqué une voiture blindée britannique. J’ai vu les Anglais s’approcher, et j’ai alors tenté de faire demi-tour. Mais ils m’ont interpellé : “Hé, toi, viens par ici”. Je n’avais d’autre choix que d’obtempérer. Si j’étais parti en courant, ils auraient tiré. »
« Ils m’ont demandé ce que je faisais là. Je leur ai déclaré chercher quelqu’un qui pourrait m’aider à trouver un emploi dans la banque. Ils m’ont traité de “foutu juif” et sont allés directement vers la pièce, comme s’ils savaient. De l’autre côté de la rue, se dressait un bâtiment Tnouva relativement haut qui appartenait à des membres du Mapaï [Parti des Travailleurs d’Eretz Israël]. J’ai aperçu un jeune homme sur le toit, pointer la voiture blindée. Le Mapaï nous avait dénoncés. »
La jeune femme, Malka, a été condamnée par un tribunal militaire situé en lieu et place de l’actuelle résidence du président, à 15 ans de prison à Bethléem. Contre Matza, il n’y avait aucune preuve. Au lieu de comparaître devant la justice, il a été envoyé dans un camp de détention à Latroun. C’est à cette occasion, en attente de traitement, qu’il a passé ses trois jours au Kishle.
Entre les murs du Kishle
Le bâtiment connu comme le Kishle est situé juste derrière la Citadelle de David, dans la Vieille Ville de Jérusalem ; il est administré par le musée de la Tour de David. Sa structure actuelle a vu le jour dans les années 1830, sous la supervision de l’Egyptien Ibrahim Pacha. Quand les Ottomans reprennent le contrôle de la ville, en 1841, l’édifice fait alors office de camp militaire. « Kishle » était le terme utilisé par les Turcs pour désigner la caserne des soldats. Pendant le Mandat britannique, le lieu est converti en prison, là où sera détenu Matza. Ces dernières décennies, le bâtiment a fait l’objet de fouilles qui ont mis au jour des milliers d’années d’architecture, y compris ce que l’on croit être une partie du mur de défense du roi Ezéchias contre les Assyriens, au VIIIe siècle avant notre ère. Mais aussi, une paroi hasmonéenne du Ier siècle avant notre ère et des fondations du palais fortifié du roi Hérode, dont on estime la construction entre les années 37 et 4 avant notre ère.
« Ils m’ont amené ici », relate Matza, pointant les parties supérieures du bâtiment. « Il y avait des barreaux de prison. Un policier a ouvert la porte et crié : “Entrez”. J’ai passé trois jours à dormir sur le sol, sur des chiffons sales pleins de poux, avec 20 autres prisonniers. L’odeur était nauséabonde. Je n’avais rien à faire, alors pour tuer l’ennui, j’ai eu l’idée de graver mon nom dans le mur. »
Au Kishle, Matza se souvient de la visite du rabbin Aryeh Levin, le « Père des prisonniers » comme on l’appelait. Il avait pris sur lui de venir, chaque shabbat, passer un moment avec les membres de la Résistance juive, emprisonnés par les Britanniques.
« Le jour où il est venu, j’étais le seul juif », se souvient Matza. « Il a commencé à me parler pour me donner des forces. Je l’ai remercié pour ses encouragements et lui ai dit que j’étais fort. Il a répondu : “Avec l’aide de Dieu, tout ira bien”. “Ils ne réussiront pas à nous briser. Nous ne plierons pas”, ai-je répondu. Il était tellement agréable. Un mensch, un vrai. Il se souciait de nous. On pouvait le voir dans ses yeux. »
Du Kishle, Matza est conduit à Latroun. Là, se trouvent deux camps – Latroun A et Latroun B – le second ayant été construit pour les prisonniers considérés comme dangereux. Matza est incarcéré à Latroun B, mais n’en garde pas un souvenir trop pénible. Les Britanniques se montraient stricts, mais corrects dans le traitement des détenus. Ils servaient par exemple des rations alimentaires copieuses, avec parfois même des steaks au menu, et permettaient aux incarcérés de jouer au football ou au basket. « Mais si jamais vous essayiez de fuir », précise Matza, « là, c’était une autre histoire. Une nuit, il pleuvait des cordes, un prisonnier a essayé de s’échapper à travers les barbelés. Il n’a pas réussi à aller très loin. Ils l’ont ramené puis l’ont battu. »
Matza passera environ sept mois à Latroun B – d’octobre 1947 à avril 1948. Le Plan de partage de la Palestine de l’ONU marque l’irruption des conflits avec les voisins arabes du camp. Les détenus juifs de la zone B, plus facile à infiltrer, demandent à être déplacés à Latroun A, jusqu’à ce que le camp soit lui aussi menacé quelques mois plus tard : tous les prisonniers juifs sont alors rapatriés vers Atlit, au sud de Haïfa. Matza y restera jusqu’au départ des Anglais. Et de rappeler ce que Winston Churchill a déclaré au gouvernement britannique : « Si 100 000 de nos hommes ne sont pas capables de maintenir l’ordre en Palestine, ramenez-les. »
« [Les Anglais] ont signifié à l’ONU qu’ils mettaient un terme au Mandat britannique et que le 15 mai, ils remettraient les clés à qui en voudrait », précise Matza, « ils étaient persuadés que les Arabes et les Juifs leur demanderaient de revenir. »
A la fin du Mandat, tous les prisonniers sont libérés – politiques et criminels confondus – y compris Matza et Malka, la jeune femme condamnée à 15 ans, mais qui ne passera qu’une année à peine derrière les barreaux. Du camp d’Atlit, Matza retourne à Jérusalem, où il est recruté pour combattre à l’occasion de la guerre d’Indépendance.
La bataille pour Jérusalem
Il est d’abord posté près des murailles de la Vieille Ville. A proximité, le groupe harédi anti-sioniste des Natorei Karta se prépare à brandir un drapeau blanc pour marcher en direction de la zone contrôlée par la Légion jordanienne. « Nous leur avons dit sans hésiter que s’ils s’aventuraient à traverser la rue, nous tirerions sur eux », se souvient Matza.
Et le jeune résistant devenu guerrier, désormais âgé de 20 ans, est également présent quand il faut défendre le mont Scopus. La Légion jordanienne s’est approchée très près, relate-t-il, mais s’est arrêtée avant d’atteindre la colline. Les combattants ont alors commencé à faire autant de bruit que possible, à taper sur les arbres et à les secouer. Les Jordaniens ne parvenaient pas à identifier ces armes dont les juifs étaient en possession, et ils ont préféré ne pas avancer.
Le dernier combat dont Matza est témoin se situe à nouveau tout près de la Vieille Ville. Il se souvient d’un accord entre les trois forces de défense juives – l’Irgoun, le groupe Stern et la Hagana – pour coopérer et conquérir la Vieille Ville de Jérusalem. L’Irgoun devait entrer par la Porte Neuve, le Groupe Stern via la Porte de Jaffa, et la Hagana par la Porte des Lions. L’Irgoun avait mobilisé toutes ses forces, un contingent de 300 hommes, en une seule nuit. Matza, aux côtés de plusieurs collègues, était prêt à tirer des mortiers.
« Un de nos membres était un combattant de la première heure, un homme plein de courage. On le surnommait Agu Jilde », se souvient Matza. « Il est entré dans la Vieille Ville par la Porte Neuve avec deux ou trois autres combattants. La porte était fermée, ils l’ont donc fait sauter à la dynamite. Ils sont rentrés, et comme convenu, au bout de 100 mètres ils se sont arrêtés pour attendre les ordres. [David] Shaltiel, le chef de la Hagana, était en charge de donner le signal de l’attaque – ce qu’il ne fera jamais, car il savait qu’au matin, il y aurait un armistice. »
Matza est tout sauf un nostalgique. Le passé, c’est le passé. S’il retourne à sa cellule du Kishle, c’est uniquement à la demande du musée de la Tour de David, intéressé à partager et faire connaître son expérience personnelle. Matza, comme tant d’autres dont les parcours sont tombés dans l’oubli, est un héros ordinaire dont Jérusalem peut s’enorgueillir. Sans le dévouement illimité de ces combattants d’hier, la capitale d’Israël ne serait sans doute pas ce qu’elle est devenue aujourd’hui.
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