De la mitsva de manger à Hanouka

Si chaque convocation sainte du calendrier juif s’accompagne d’un repas de fête,il n’existe aucune exigence du genre pour Hanouka

De la mitsva de manger a Hanouka (photo credit: Shlomo Brody )
De la mitsva de manger a Hanouka
(photo credit: Shlomo Brody )

Certes, nous apprécions tous leslatkes de pomme de terre et autres soufganiyot qui envahissent nos cafés etdomiciles pendant Hanouka. Pour autant, il n’est nulle part mention d’un repasde fête par les Sages à l’occasion de ces huit jours de réjouissances. Achacune des trois principales fêtes de pèlerinage - Pessah, Shavouot et Souccot- correspond un intermède autour de la table, censé illustrer la joie quidécoule de ce rendez-vous divin (Sefer Hamitzvot 54).

Bon nombre de sages médiévaux pensaient que la solennité de rigueur àl’approche du Nouvel an juif, Rosh Hashana, interdisait de trop grandsdébordements. Et certains encourageaient même au jeûne. Mais un courant opposéestimait, lui, qu’il est de mise de se réjouir en ce Jour du Jugement, par unrepas de fête, comme c’est le cas de toutes les convocations saintes (OC 597),même si une certaine modération dans le choix de mets trop raffinés resteappropriée (Magen Avraham).
Bien évidemment, Yom Kippour, jour de jeûne par excellence, est l’exception quiconfirme la règle, mais de nombreux érudits affirment toutefois que le dernierrepas préparé avant le début du Jour du grand pardon doit s’inscrire dans lalignée des célébrations festives pour célébrer l’importance de la journée àvenir et l’expiation qui va de pair (Sha’arei Techouva 4, 8-9).
S’il n’est pas étonnant que les sages aient instauré un repas de fête parmi lesexigences religieuses est surprenant de constaterque le Talmud ne fait aucune mention d’un tel commandement au sujet de Hanouka,autre rendez-vous saint dit “Derabanan”, créé par les Sages. La coutume decommémorer le miracle de l’huile en consommant des aliments frits, comme leslatkes ou les beignets, est apparue plus tard et reste facultative.
Inapproprié de se réjouir ?

Selon Maïmonide et d’autres Sages, Hanouka contientbien, pourtant, un élément de joie, Simha, qui doit se manifester par un repasfestif (Hanouka 3, 3). Un point de vue approuvé par le rav Shlomo Luria, pourqui une célébration festive contribue à faire la promotion du miracle (Yam ShelShlomo BK 7, 37).

Mais de nombreuses autres autorités, dont le rabbin Yossef Karo, affirmentqu’il n’existe aucune mitsva de manger pendant Hanouka (OC 670, 2). Et de noterque dans le passage talmudique qui délimite l’essence même de la fête, lesSages se contentent de déclarer qu’il s’agit d’une journée de Hallel VeHoda’a,de louanges et de remerciements, et ne mentionnent à aucun moment l’obligationd’un repas de fête (Chabbat 21b).
Parmi les défenseurs de cette position : le Rav Mordechai Jaffe (Levush). Ilrappelle que le jour de Pourim, nos ennemis ont essayé de nous annihilerphysiquement et donc ainsi de nous priver de la possibilité de profiter desplaisirs tangibles de l’existence. Pour célébrer ce salut physique, les Sagesont alors institué une célébration physique et festive, qui va de pair avec lesactions spirituelles effectuées pour rendre grâce à Dieu.
Mais à Hanouka, les Grecs n’avaient pas pour but de nous détruire physiquement.Ils aspiraient, au contraire, à contraindre les Juifs à abandonner leurhéritage spirituel et à les helléniser. La fête commémore donc un salutspirituel pour lequel aucun repas de fête - d’une rédemption physique - n’estnécessaire. Certains Sages vont même plus loin et suggèrent qu’un rendez-vousgastronomique est inapproprié pour Hanouka, puisque, au contraire de Pourim,les Juifs ont subi de pertes au cours des hostilités (Yossef Lekach).
Faire d’un repas une mitsva

Il se trouve alors une position intermédiaire,adoptée par certains érudits ashkénazes, dont le rabbin Moshe Isserles. Asavoir : il existe une petite “mitsva” de pratiquer des repas festifs àl’occasion de Hanouka parce que la fête commémore la réhabilitation de l’auteldu . Etle Rav de poursuivre : “Nous sommes habitués à chanter des chants d’allégresseet de louanges lors de ces repas qui deviennent de fait des seoudot mitsva, desrepas de fête, autorisés en tant que célébrations.”

En d’autres termes, la possibilité de seoudot mitsva existe bien pour Hanouka,et ce, du fait de l’initiative humaine. Lorsque ces repas comprennent deslouanges envers Dieu, qui manifestent clairement la signification religieuse dece saint jour, ils constituent alors des mitsvot, commandements divins. Sansces ingrédients spirituels, ils se résument à un repas normal.
Cette position met en évidence un message clé de la fête. Après la victoire desMaccabées, il était important pour les Juifs de reconnaître que l’issueglorieuse des combats résultait de la main de Dieu. Et c’est pour cette raison,selon le Maharal de ,que Dieu a perpétré le miracle de l’huile, afin que son peuple sache que cesdeux miracles merveilleux - la victoire militaire et l’allumage de la Menora -étaient d’origine divine. L’un des thèmes de la fête consiste donc en lasanctification du quotidien via la reconnaissance de l’omniprésence de Dieu etsa capacité à influer sbataille ou dans le .
La fête de Hanouka est ainsi l’occasion, pour le peuple juif, de faire lapreuve qu’il a bien compris cette leçon. Tout comme les Juifs d’autrefoissavaient que leurs réalisations physiques n’étaient autres que le fruit del’intervention divine, nous transformons nos repas de familles en événementsreligieux. Ces repas de fête ne sont peut-être pas obligatoires, mais ilsreflètent la possibilité d’internaliser cette leçon centrale de Hanouka.

L’auteur enseigne à la Yeshiva Hakotel.

JPostRabbi@yahoo.com