Depuis 30 ans, Haïfa fait son cinéma

Chaque année, le 7e art s’invite à Haïfa pour un festival international, à l’occasion de Souccot

Villa Touma, tous les journalistes du monde se sont emparés de l’affaire… (photo credit: DR)
Villa Touma, tous les journalistes du monde se sont emparés de l’affaire…
(photo credit: DR)
En ce mois d’octobre, dans les rues de Haïfa, règne un doux mélange où se croisent avec la même bonne humeur, festivaliers, invités, religieux brandissant leur loulav ou dansant près de la Cinémathèque. Et comme chaque année, dans les allées derrière le bâtiment, les étals du marché, ouvert le soir, proposent bijoux, soieries, et tout un bric-à-brac amusant pour un public friand de diversité en ses jours de repos. Pourtant, les stars ne sont pas au rendez-vous, deplore la pétillante et charismatique Pnina Blayer, fondatrice du festival.
« La guerre, cet été a eu des effets dévastateurs, car nous ne pouvions lancer les invitations en juillet, et en septembre, c’était déjà trop tard », soupire Pnina qui regrette les années Isabelle Huppert, Sophie Marceau et autres stars…
Peu importe. Dans les salles, les curieux de ces films qui viennent d’ailleurs restent nombreux. Car, si le cinéma israélien, excellent, est apprécié à l’étranger, ici on se jette plutôt sur les productions russes, françaises, japonaises, turques, voire arméniennes.
Cette année, la Pologne était à l’honneur avec Ida, de Pawel Pawlikowski, fort d’un énorme succès en France et bien parti pour la course du meilleur film étranger aux Oscars d’Hollywood. Il a fallu également ajouter une séance pour Léviathan : son metteur en scène Andreï Zviaguintsev n’en revenait pas. C’est un fidèle de Haïfa et il ne manque pas une édition du festival depuis ses débuts.
Dans cette ville, la communauté russe est nombreuse et suit avec beaucoup de passion l’actualité de son cinéma. Pas une chaise vide pour la projection d’un très joli film russe Chagall et Malevitch qui raconte avec beaucoup de poésie la jeunesse de Marc Chagall dans sa ville natale de Vitebsk en 1919, année où il va rencontrer le peintre abstrait : Malevitch. On y voit son amour pour Bela Rosenfeld et le conflit qui l’oppose à son ami d’enfance, Nahum, devenu révolutionnaire. Le film signé Alexandrea Mitta est original, un peu kitch, mais magnifique. A retenir l’interprétation de Chagall par Leonid Bichevin.
Premier prix et mentions spéciales
Parmi les perles du festival, A blind hero, the love of Otto Weidt par le metteur en scène allemand Kai Christiansen, a retenu toute l’attention du public et surtout du jury de cette nouvelle compétition intitulée « Entre judaïsme and israélisme ». Un docufiction extrêment bien fait, à tel point qu’on en oublie le témoignage qui vient ponctuer le film.
L’histoire d’Otto Weidt est exemplaire : allemand, aveugle, pendant la guerre, il employait des juifs, également non voyants, dans sa fabrique de balais afin de les soustraire à l’autorité allemande. Tombé amoureux de sa secrétaire Alice Licht, il ira la chercher jusqu’à Auschwitz pour la sauver. Il recevra même le titre de Juste parmi les nations pour avoir caché plusieurs juifs. A Berlin, sa fabrique composée de multiples cachettes pour les juifs a été transformée en musée.
Ce film allemand entièrement tourné en Allemagne a posé un problème déontologique au jury. D’où vient le metteur en scène ? Que faisait sa famille pendant la guerre ? Un festival israélien peut-il décerner un prix à un Allemand sans vérifier son background familial ? Dilemmes. L’opus se verra finalement décerner une mention spéciale.
Pour le premier prix, le jury optera finalement pour Félix et Meira, film canadien de Maxime Giroux qui se déroule dans le milieu orthodoxe, parlé presque entièrement en yiddish, « avec une totale authenticité », selon le professeur d’histoire juive à l’université de Haïfa, Marcus Silber, un des membres du jury.
A noter l’interprétation de l’émouvante actrice israélienne Hadas Yaron dans le rôle d’une jeune mère religieuse qui s’était déjà fait remarquer avec Fill the void de Rama Burshtein pour lequel elle avait reçu le prix d’interprétation au festival de Venise. Reste à espérer qu’elle élargisse son éventail de rôles dans le futur.
Le cinéma japonais et ses inconditionnels auront été servis avec cette trentième édition du festival de Haïfa. My man, de Kazuyoshi Kumakiri est un véritable choc à la fois visuel et narratif. Une sorte de Lolita à la japonaise qui se déroule sur fond de paysages d’hiver incroyables, au lendemain du tristement célèbre tsunami fort et puissant.
Sur écran bleu et blanc
Quant au cinéma israélien, deux séances nocturnes lui ont été consacrées ponctuées d’avant-premières et bien sûr d’hommages émouvants rendus à deux disparus de l’année, Asi Dayan et Menahem Golan. Le chanteur Yoram Gaon, égérie de ce dernier dans Casablan, était l’invité de la soirée inaugurale, l’occasion pour lui d’interpréter les grands succès de ce film mythique.
Autre temps fort du festival : une soirée spéciale pour marquer l’anniversaire de la disparition, voilà 10 ans, d’une des plus grandes figures du cinéma israélien, Ephraïm Kishon.
Parmi les nouvelles productions, on a pu assister à un feu d’artifice de créations. At li layla (tu es ma nuit) a fortement impressionné le public grâce à l’interprétation exceptionnelle de Dana Ivgy dans le rôle d’une autiste. L’opus a ainsi reçu le prix du meilleur film israélien. Yona de Nir Bergman dont on avait adoré Intimate grammar adapté d’un roman de David Grossman est tout en douceur et poésie.
Côté documentaire, les crus israéliens sont toujours aussi polémiques et énergiques avec This is my land de Tamara Erde, produit par la France, et qui montre aujourd’hui comment des deux côtés, israélien et palestinien, on enseigne l’histoire du pays : un miroir à deux faces, pétries de failles et sans beaucoup d’espoir. Les muses de Bashevis Singer retrace avec son humour incroyable les nombreuses amantes de ce grand écrivain de langue yiddish.
Et que serait le cinéma israélien sans son lot de sulfureux scandales ?
Polémique et grands classiques
Au cours d’un petit-déjeuner, le président du Fonds pour le film israélien, Katriel Schory, va raconter cette incroyable histoire qui se répète à l’infini. Entièrement financé par les Israéliens, Villa Touma, film assez original, raconte l’histoire de quatre femmes aristocrates dans leur maison de Ramallah. Un film ni politique, ni sulfureux, mais plutôt construit sur le mode doux amer d’une comédie italienne, tourné à Haïfa. La réalisatrice arabe israélienne, Suha Arraf, avait enregistré le film au festival de Venise, dans la tourmente de la guerre de l’été, sous la nationalité Palestine. Colère du gouvernement israélien qui lui demande alors de rembourser la totalité du montant de la production qu’elle n’a plus puisqu’il a servi à réaliser le film. Une punition jugée trop sévère d’après Katriel qui va réussir à trouver un compromis : le film sera enregistré dans les festivals sans nationalité et la réalisatrice n’accordera aucune interview. Evidemment, tous les journalistes du monde se sont emparés de l’affaire…
« Pour l’instant, elle respecte le pacte », soupire Katriel ; il espère qu’à l’avenir les Palestiniens pourront financer leur propre production, mais c’est une autre histoire. En attendant, l’épisode a fait le tour du monde et la production reste malgré tout, aux yeux de beaucoup, un film palestinien…
Israël oblige, deux grands classiques retraçant l’histoire du peuple juif ont été projetés. D’abord le flamboyant film de Cecil B. DeMille, Les 10 commandements. Charlton Heston ouvrant la mer Rouge avec son bâton reste une des scènes les plus inoubliables de tout le cinéma hollywoodien. Quatre heures de délices dont on ne se lasse pas. Quant à Judith, restauré pour ses 65 ans d’existence, il vaut aussi le déplacement, même si le film est plus que médiocre et reste une pâle copie d’Exodus d’Otto Preminger. L’arrivée de Sophia Loren, en short, dans le kibboutz, constitue toutefois un moment éblouissant. Nous sommes en 1965 et ce sont les plus belles années de l’actrice italienne ; elle incarne ici une juive rescapée des camps (improbable) qui veut la mort de son ancien mari nazi (sic). Un scénario qui ne tient pas la route et un film oublié dans les annales de l’histoire. On comprend pourquoi.
Eblouissant par sa diversité et son éclatement de films et de salles multiples, trop parfois, à ne plus savoir que choisir ni ou aller, le festival de Haïfa reste au fil des ans, un des événements incontournables et parmi les plus importants du pays. Le temps d’une semaine, la ville portuaire du Nnord accueille les amoureux du 7e art, les bras ouverts et tendus vers cette mer bleue et calme qui reste au fond le plus beau décor de cinéma.
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