Tel-Aviv, première projection de La Vie d’une autre.Introduite par l’ambassadeur de France en Israël, Christophe Bigot, SylvieTestud se lève à son tour pour prononcer quelques mots. Arrivée au micro, elledoit le baisser d’une dizaine de centimètres et réagit d’un moqueur: “Eh oui,je suis petite”. La gouaille de cellequi a interprété l’amie d’enfance d’Edith Piaf au cinéma. Puis les mainsaccompagnent la parole, façon Méditerranée, l’accent et l’élégance à lafrançaise font le reste. Sylvie Testud conquiert son auditoire en quelquessecondes, avec franchise et humour. Le lendemain, dans un grand hôtel de laplage telavivienne, elle arrive souriante, disponible. Elle se livrerapidement, affiche un goût prononcé pour la discussion, manie une intelligenceredoutable sous un parlé familier.Son film lui ressemble. Energique, virevoltant, lumineux. Hésitant aussi entreplusieurs registres et peut-être un peu trop effleuré comme si la comédienne,connue pour son rythme effréné, avait projeté sur son oeuvre la peur de trops’appesantir.L’histoire est cellede Marie (Binoche), mariée à Paul (Kassovitz), reine de la finance mais enpleine débâcle amoureuse. Le film s’ouvre sur leur rencontre à 25 ans, maisbascule en quelques scènes : Marie s’éveille la quarantaine passée, ayantoublié 15 ans de sa vie. Effarée, elle découvre la personne qu’elle estdevenue, froide, cynique, déconnectée de son enfant et surtout de son mari, enpleine liaison extraconjugale. Elle se lance alors dans une reconquête éperdue,craignant qu’il ne soit trop tard. Enlevé, le film propose aussi une réflexionsur la réussite sociale : les personnages ont pleine vue sur la Tour Eiffeldepuis leur appartement de luxe, mais ne se parlent pas. Il se dégage surtoutune vraie nostalgie, une profonde tristesse de deux êtres jadis follement éprisl’un de l’autre et sur le point de se quitter. Le duo Binoche-Kassovitz joueune partition subtile et participe beaucoup à la qualité du film. Testud, dontc’est la première réalisation, n’a pas eu peur de ces deux monstres sacrés ducinéma français. Tout comme elle n’a pas eu peur de se lancer dans l’adaptationdu roman éponyme de Frédérique Deghelt, lorsque deux jeunes producteursdébutants l’ont sollicitée.
BattanteIlen faut plus pour faire reculer la jeune femme au parcours édifiant. Née dansun quartier populaire de Lyon, fille d’une immigrée italienne, son père quittefemme et trois bambines lorsque Sylvie a deux ans. Elle ne le reverra pas avantl’âge adulte, sa notoriété ayant éveillé la curiosité de celui qui fut le grandabsent de son enfance. Montée à Parispour des études d’histoire, elle s’inscrit au cours Florent, poussée par unepassion née à l’adolescence. Elle est ensuite acceptée au Conservatoire d’artdramatique, un lieu à la formation prestigieuse, voir élitiste.
Commençant à tourner des films et à se faire connaître, elle gagne le César dela meilleure actrice pour son interprétation dans Stupeur et Tremblements,d’Alain Corneau (2004). Son portrait de Françoise Sagan dans le film de DianeKurys reste également dans les mémoires (2008). Elle est présente aux côtés deMarion Cotillard dans La Môme, film qui a valu l’Oscar à sa consoeur, et a jouédernièrement dans La Rafle, de Roselyne Bosh.Entre-temps, l’infatigable publie un premier roman, Il n’y a pas beaucoupd’étoiles ce soir, sur sa vie d’actrice. Le livre sera suivi de trois autres,dont Gamines, récit autobiographique adapté au cinéma, et Chevalière de l’Ordreet du mérite, fable satyrique sur la vie infernale que peuvent (s’auto-)créerles femmes. Autre paradoxe de cette acharnée du travail : son couple stable,denrée si rare dans les milieux artistiques, et deux enfants, Ruben et Esther.Liberté chérie
Les noms juifs ne sont pas le fruit du hasard. Accolés à un second prénomitalien, ils précèdent un patronyme à particule, hérité du compagnon de Testud,catholique originaire de Lorraine.La grand-mère de la comédienne est une Juive polonaise qui a échappé à laguerre et épousé un Napolitain chrétien. Les garçons nés de cette union serontbaptisés, les filles ne le seront pas.Marquée par cette filiation complexe, Testud a tenu à la transmettre à sesenfants “pour qu’ils aient une identité”.C’est pour autant sa première visite dans l’Etat juif. Se revendiquant degauche - elle a soutenu Royal en 2007 mais n’a pas réitéré pour Hollande parcequ’elle n’a pas “l’impression qu’il a besoin des artistes”- elle n’adhèrecependant pas aux préjugés anti-israéliens souvent répandus au sein de la“gauche caviar”. “On retrouve les mêmes opinions chez les élites culturelles,quel que soit le pays”, explique la comédienne, “et il est de ‘bon ton’actuellement d’être contre Israël”.Or Sylvie Testud n’aime pas être là où on l’attend.Son credo : la liberté avant tout.Elle se défend pourtant d’être “rebelle”, étiquette qu’on lui asouvent collée. Et s’effare de représenter à ce point-là “un vent de liberté”dans une société qu’elle juge mécanique et coincée. C’est justement ce qui l’aintéressée dans La Vie d’une autre : la liberté d’un personnage de recommencerà zéro, de reconstruire sa vie. Car selon elle, “lorsqu’on a commencé à fairedes concessions avec soi, qu’on s’est enfermé dans un rôle, à cause de laréussite sociale, ou l’un par rapport à l’autre dans un couple, on se faitenfermer là-dedans et c’est très difficile d’en sortir”.Le cocon familial : protection ou prison ? La question est primordiale pourTestud, qui se dit aussi “fascinée par le plaisir des adultes à être desadultes”. Et de finir parfois pas être enfermés dans un rôle défini par uneprofession, un milieu...