Helena et les douze petits pots de crème

Le “roman-vrai” de Michèle Fitoussi, Helena Rubinstein, La femme qui inventa la beauté, vient de sortir au format Poche. Il relate l’histoire extraordinaire de cette pionnière des cosmétiques, une Polonaise d’1m47, qui à force de courage et de détermination, a construit un empire

rubinstein (photo credit: © DR)
rubinstein
(photo credit: © DR)
C’est le hasard qui a guidé Michèle Fitoussi, éditorialiste chez Elle et auteure de plusieurs romans, dans les pas d’Helena Rubinstein.
Après la lecture d’une monographie sur cette femme d’exception, l’écrivaine est “enchantée” par les prénoms “évocateurs” de ses soeurs (Lola, Regina, Rosa ou Ceska) et par son incroyable parcours. A la fois roman et biographie, son ouvrage relève d’un “vrai travail d’enquête”. Et d’un réel talent de conteuse. Michèle Fitoussi explique avoir beaucoup lu et s’être également rendu en Pologne et aux Etats-Unis pour rencontrer des proches ou moins proches de sa protagoniste. “Pointilleuse sur les détails”, elle s’est tout de même permis de romancer le destin d’Helena. Qui ne manquait pas elle-même de “gommer les pires moments de sa vie” pour forger sa légende.
“Une menteuse ? Plutôt une brodeuse”, écrit Fitoussi.
“Il n’y a pas de femmes laides, il n’y a que des femmes paresseuses”, affirmait Rubinstein. Un leitmotiv qui a stimulé son action tout au long de sa prolixe vie. Née Chaja Rubinstein le 25 décembre 1872 à Kazimierz, le ghetto juif de Cracovie, la future entrepreneuse devient Helena sur le bateau qui la mène en Australie.
La légende commence ici. Helena, 24 ans, armée d’une ombrelle et de douze petits pots de crème confiés par sa mère, fuit un mariage arrangé avec un veuf trop âgé. Elle s’exile alors à Coleraine. Exploitée et harcelée par ses oncles, burinée par le vent du sud de l’Australie, Helena peaufine son projet. Vendre des crèmes pour soigner les peaux abîmées par le soleil. N’écoutant que son courage, elle crée Valaze, un onguent inspiré des pommades de sa mère et ouvre son premier salon de beauté à Melbourne, en 1902. Coup de chance, les Australiennes viennent d’acquérir le droit de vote. Sa petite entreprise voit le jour en plein vent d’émancipation des femmes.
Peau grasse, mixte ou sèche
Michèle Fitoussi qualifie Helena Rubinstein de “visionnaire, de génie”. D’autres femmes ont monté leur entreprise de beauté, comme sa principale rivale Elisabeth Arden. Mais Rubinstein peut se targuer d’avoir démocratisé l’utilisation des soins et du maquillage, réservés pendant très longtemps aux seules prostituées et actrices. La chance lui a souri, il est vrai. Elle s’est trouvée au bon moment au bon endroit. En Australie, mais aussi aux États-Unis où elle a profité de l’engouement consumériste.
Car le XXe siècle voit les femmes s’émanciper par la beauté. En 1912, des féministes américaines ont manifesté tout de blanc vêtues pour obtenir le droit de vote. Leur seul signe de revendication : du rouge sur les lèvres. La beauté est un pouvoir. Et c’est exactement ce que pense la jeune Polonaise.
Néanmoins Helena doit surtout son extraordinaire réussite à son travail. Son concept : la science au service de la beauté. Elle se rend compte très tôt par exemple qu’il existe différents types de peaux : grasse, mixte et sèche.
En 1905, Helena confie sa “boutique-institut” de Melbourne à l’une de ses soeurs qu’elle fait venir de Pologne. Et reprend la mer en direction de l’Europe.
Elle y rencontre des spécialistes de la beauté : dermatologues, médecins et même les premiers chirurgiens esthétiques. Sa soif de connaissances semble inépuisable.
Elle exprime parfois le regret de n’avoir pas poursuivi ses études de médecine et ira parfois jusqu’à affirmer avoir été diplômée dans ce domaine.
Autre coup de pouce : sa rencontre avec Edward William Titus, déterminante.
Outre leur mariage qui durera trente ans, le journaliste américain a lancé la politique marketing de l’entreprise Helena Rubinstein. A force d’encarts publicitaires dans les journaux, puis d’utilisation d’égéries, l’industrie de cosmétique a pris son essor.
Titus était un mari volage, mais un bras droit efficace.
“Impératrice de la beauté”
C’est ainsi que Cocteau a rebaptisé Helena Rubinstein.
Sous l’influence de son mari érudit, puis par goût, la femme d’affaires polonaise a fréquenté les plus grands noms de son époque.
Chanel, Picasso, Yves-Saint-Laurent, dont elle sera l’une des premières clientes, Colette, Dali... Elle porte un grand soin à la décoration de ses instituts. Et marche au coup de coeur. Si elle aime, elle achète, et souvent “en gros”. Elle s’attache les plus prestigieux architectes et des décorateurs aguerris pour chaque nouveau salon.
Rubinstein apprécie également la mode et se fournit chez les plus grands couturiers. La beauté est le véritable moteur de sa vie. Son ambition a fait de sa passion un métier, une carrière et un mythe.
A sa mort, en 1965, à 93 ans, l’empire Helena Rubinstein comprenait plus de 30 000 employés, 15 000 usines et était présent sur trois continents.
Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Trois éléments selon Michèle Fitoussi : une marque, rachetée par l’Oréal en 1988. Un nom synonyme d’entrepreneuse, de visionnaire, de collectionneuse et de mécène. Et la légende, en partie créée par la femme d’affaires. Helena Rubinstein, un “petit bout de femme” s’est “faite toute seule” selon l’expression de sa biographe. A la différence de notre époque où les femmes sont plus “outillées”, ont accès aux études, etc., Helena est partie de rien pour arriver au sommet.
Une telle “tycoon” pourrait peut-être encore exister dans les pays émergents comme la Chine selon Michèle Fitoussi. Aucun nom cependant ne lui vient en tête.
L’ascension rocambolesque d’Helena Rubinstein va être portée à l’écran prochainement. Fitoussi, dont le livre vient d’être traduit en anglais, brésilien, polonais et russe, imagine bien Salma Hayek dans le rôle principal.
La Journée de la Femme ? Michèle Fitoussi y était assez opposée pendant des années. Et espère qu’un jour, elle disparaîtra, car cela voudra dire alors que les femmes auront acquis les mêmes droits que les hommes. L’auteure estime finalement que c’est une journée “symboliquement importante” pour dire qu’il ne faut pas s’endormir les “autres 364 jours.” Son admiration pour les femmes et leur courage retentit admirablement dans son dernier roman.