Le roi des instruments mérite bien un festival !

En 2012, à l’occasion de sa 13e édition, le Festival international de l’Oud à Jérusalem aura lieu du 8 au 17 novembre. L’occasion de (re)découvrir l'instrument

Yair Dalal, oudiste (photo credit: Festival International de l'oud à Jérusalem)
Yair Dalal, oudiste
(photo credit: Festival International de l'oud à Jérusalem)
Loin de se cantonner au folklore de la musique traditionnelle, l’oud est un instrument fédérateur, fort d’une palette sonore étendue. Il a su développer son influence au-delà des frontières du Proche et Moyen-Orient, pour atteindre l’Europe et les rives de la Méditerranée.
Son nom vient de l’arabe “al-oud “et signifie “le bois”, à l’origine du “luth” européen et probablement du “pipa” chinois. Très répandu dans les pays arabes ainsi qu’en Turquie, en Grèce, en Azerbaïdjan et en Arménie, l’oud est surnommé “luth oriental”. Instrument de musique à cordes pincées, il a l’apparence d’un luth à manche court. Inventé vers 1800 avant notre ère, l’oud est originaire de Babylone, ville antique située dans l’actuel Irak. Au VIIIe siècle après J.-C., l’instrument se propage au Moyen-Orient et au Maghreb.
En Arabie Saoudite, Médine fut un haut lieu d’échange pour musiciens et luthiers : c’est là que l’oud acquiert une réputation éminente. Il adopte sa forme définitive au début du IXe siècle. Grâce au célèbre oudiste Ziryab, musicien de l'époque, l'instrument atteint l’Europe en passant par l’Andalousie, sous domination mauresque. A partir du Xe siècle, la culture islamique pénètre en Europe et l’oud voit son nom varier suivant les pays : “lotto” en Italie, “loth” en France, “aland” au Portugal et “loud” en Espagne.
Contrairement au luth et à la guitare, on ne joue pas d’accord sur le oud : la musique est modale, jamais plus d’une note à la fois ! Les sonorités s’enchaînent avec une grande rapidité.
L’oud a récemment fait son entrée, avec succès, dans le monde du jazz et de la musique improvisée. Adaptabilité et éclectisme, telles sont les qualités de l’oud qui le rendent attractif aux yeux des compositeurs de tous bords.
Yaïr Dalal, oudiste pacifiste : portrait d’un artiste engagé
Parmi les artistes invités au Festival international de l’Oud à Jérusalem, Yaïr Dalal, oudiste de renommée mondiale, se produira le 14 novembre dans un show intitulé Et tu aimeras, à la façon d’un commandement divin. Entre deux concerts, il prend le temps de parler de sa passion, symbole de paix et d’échange.
“J’ai découvert la musique très jeune. Enfant, j’ai commencé par l’apprentissage du violon. L’oud faisait partie de mon héritage culturel car mes parents sont originaires d’Irak, tout comme l’instrument : un heureux hasard qui a influencé mon destin ! Mes parents avaient des amis musiciens oudistes. J’ai grandi avec cette musique. Et, à force de l’écouter, ça s’est imposé à mon esprit comme une évidence : moi aussi, je voulais apprendre, je voulais devenir oudiste ! J’ai mis de côté la guitare électrique et le rock’n’roll pour me consacrer à l’étude de cet instrument. En réalité, je n’ai pas choisi l’oud : c’est l’oud qui m’a choisi. Il s’est montré si convaincant que je n’ai pas pu résister...”
L’oud est considéré comme le roi des instruments par le monde arabe. “Au Xe siècle après J.-C., à Bagdad, c’était une règle établie par les Soufis”, rapporte Yaïr. “L’oud était considéré comme le plus important et le plus bel instrument du monde. Originellement, c’est l’instrument que Juifs et Arabes partagent et chérissent le plus. On peut même trouver des écrits soufis racontant comment Dieu a créé l’oud : il aurait créé tous les instruments et placé l’oud au-dessus d’eux. Elu entre tous.”
Depuis des siècles, on trouve des musiciens joueurs d’oud dans toutes les religions : juive, musulmane et chrétienne. Face à l’oud, la religion n’a que peu d’importance : peu importent les origines de l’oudiste, du moment qu’il joue ! Cet art a toujours aboli les frontières religieuses. Tout le monde était libre de pratiquer l’instrument, sans aucune discrimination. De fait, l’oud est un lien entre les différentes cultures qui l’ont adopté, de la tradition arabe et perse au chant liturgique juif, les “piyyoutim”.
“En soi, tous les instruments peuvent créer des liens. Mais l’oud est un cas à part. Il appartient au Moyen-Orient, région rongée de tensions. L’oud est le fer de lance d’une tradition musicale, qui circule entre différentes cultures. Il symbolise ce lien qui dépasse et surmonte les discordes...”
“Je suis israélien, originaire d’Irak. Le pays a vu naître l’oud, il y a des siècles...”, rappelle Yaïr Dalal. L’instrument s’est ensuite répandu dans le monde musulman, jusqu’en Afrique et en Europe. Les populations arabes, venues d’Irak et de Perse pour s’installer autour de Jérusalem, ont emporté l’oud dans leurs bagages. Depuis, il fait partie intégrante de la culture régionale.
“Je me définis moi-même comme un activiste pour la paix. Ma musique est engagée et suit cette voie. Je ne parlerais pas de militantisme politique car je n’aime pas ce terme, ‘politique’. Je ne fais pas de politique, je ne prêche pas de beaux discours. Je m’intéresse simplement à l’humain et ma musique se bat pour lui. Ma conception de l’art est profondément ancrée dans la réalité, dans la vie réelle, celle que nous menons chaque jour et qui nous confronte à tant de problèmes. Ma musique se met au service de mes convictions pour poser cette question universelle : comment réussir à vivre tous ensemble dans la paix, non dans la haine de l’autre ? J’utilise mon art pour véhiculer ce message, partout où je passe.”
Et l’artiste de poursuivre : “Tous les festivals se doivent de transmettre un message de paix et faire preuve de pédagogie. Ce n’est pas spécifique au Festival international de l’Oud. Avant tout, ce Festival est un message d’amour dédié à cet héritage musical. Le Festival est un événement où Juifs et Arabes peuvent se produire ensemble sur scène. Et ce n’est pas si fréquent : il n’y a pas tant de festivals qui offrent une telle opportunité. Où peut-on trouver des musiciens juifs et arabes, réunis pour rendre hommage à l’oud ? A Jérusalem.
Voilà pourquoi nous avons créé ce Festival, il y a treize ans. Ce n’était pas seulement pour présenter un instrument traditionnel, c’était aussi pour défendre l’idée d’une musique qui rassemble, d’une musique qui traverse les frontières et abolit les conflits. L’avenir est à ceux qui désirent le partage et l’échange. La musique nous enseigne le pardon et la tolérance. C’est le devoir des oudistes de montrer l’exemple. Le boycott est une erreur complète. L’oud n’a pas été créé pour ça, il a été créé pour réunir, non pour diviser.
Il faut continuer à se battre. L’oud nous y aidera. Nous tous, oudistes du monde entier, nous continuerons, selon nos moyens, à nous battre pour la paix. En jouant, encore et toujours, ensemble.”