Le vrai rôle d’Hitler

Retour sur ce leader malin, qui a géré une armée au gré de ses sautes d’humeur, et de principes ancrés aux confins de la névrose

Guerre et exterminations à l'est P24 521 (photo credit: Editions Tallandier)
Guerre et exterminations à l'est P24 521
(photo credit: Editions Tallandier)
Montée du nazisme, visées territoriales d’Hitler sur l’Europe, méthodes d’expansion, conquêtes et nettoyage dont les contrées orientales ont été le théâtre. Dans son ouvrage Guerres et exterminations à l’Est, Christian Baechler propose un condensé des projets nazis en Europe orientale, réalisé grâce aux informations longtemps demeurées dans l’ombre, et désormais à la disposition des historiens.
Le livre étudie en particulier la manière dont l’Allemagne envisageait les frontières de l’Est. L’auteur invite son lecteur à une rétrospective ; depuis des temps reculés à travers l’histoire de ce pays, jusqu’au projet embryonnaire nazi et à la soumission des institutions, de l’administration, des armées et de toutes les ressources humaines et matérielles du Reich, monopolisées entre 1939 et 1945.
Baechler décrit sans fard cette frise chronologique. Il revient sur la préparation des individus et des matériaux utilisés au nom de l’idéologie nazie, ainsi que sur le traitement de chaque ethnie et la minutie avec laquelle une pédagogie basée sur des préjugés allait être déployée par le système de pensée totalitaire de cette époque, conçu par Hitler. L’esprit de supériorité, alimenté par le niveau de développement plus élevé de l’Allemagne sur ses voisins orientaux, allait peu à peu forger les pensées et les convaincre de la suprématie biologique de ses habitants.
Cette nouvelle donne s’est ainsi traduite par le droit à mettre au pas et à placer sous le commandement de Berlin toutes les nations à l’est de ses frontières. Par le biais, entre autres, de la machine huilée des persécutions systématiques.
Selon Christian Baechler, le monde libre qui s’était opposé au régime en décomposition d’Hitler ne s’était pas pleinement rendu compte de l’ampleur des crimes commis qu’au sortir de la guerre froide. Toutes les nations n’avaient en effet eu accès qu’à une vérité parcellaire. Toutes, sauf l’ex-URSS : Staline, de sources historiques, savait tout. Mais son régime avait cependant lui-même été impliqué dans de nombreux crimes et autres purges hystériques qui avaient éliminé, à l’échelle du pays, plus de vingt millions de Russes. Il n’était donc guère disposé à se pencher plus avant sur ces massacres et souhaitait éviter de trop gros remous ainsi que des réparations financières auxquelles l’Allemagne était déjà astreinte.
L’auteur, à travers plusieurs chapitres, analyse la machine gouvernementale du totalitarisme nazi sous plusieurs de ses facettes. Il en montre la structure, les rouages et le mode de fonctionnement avec objectivité.
Ainsi, il prouve que le traitement des populations orientales aurait fait l’objet d’affrontements entre, d’une part, les SS dirigés par Himmler - et plus naturellement enclins à faire montre d’un comportement impitoyable - et d’autre part l’administratif de Berlin, dont Rosenberg portait l’étendard. Son objectif premier : amoindrir les persécutions pour obtenir des services plus efficaces. Hitler, aurait joué un rôle de juge, félicitant les uns et rappelant à l’ordre les autres, tout laissant ses rivaux s’entretuer. Et de mettre à profit leur opposition pour affermir son influence. Tout en penchant invariablement en faveur des vues SS.
Hitler : un personnage opaque 
Ce livre, via ses différentes synthèses, laisse le lecteur libre de dépasser les querelles d’historiens. Il souligne le vrai rôle qu’Hitler a joué lors de cette période sombre de l’histoire : il n’était pas seulement un dirigeant donnant son aval à des conduites barbares, ou un chef qui se limitait à peser le pour et le contre entre les tristes sires qui lui servaient d’assistants. Mais ce personnage a dirigé un Etat et une armée au gré de ses sautes d’humeur, de principes ancrés aux confins de la névrose.
Il apparaît nettement, après coup, que la période 1933-1939 a été consacrée à accumuler une force de frappe militaire et à manipuler une conjecture géostratégique et politique, qui permettait de mettre à genoux la Pologne. La campagne militaire contre l’Union soviétique qui a emmené ses troupes aux portes de Moscou et s’est soldée par un échec cuisant, tant les conditions climatiques et géographiques étaient défavorables, indique toutefois clairement que la tentative de soumettre Staline était davantage de l’ordre de l’improvisation. A noter : la capitulation de la France aurait selon toute vraisemblance pris Hitler de cours, indique l’auteur.
Cette étude est donc une manière de rectifier les erreurs qui ont pu se glisser sur ce déroulé chronologique, tant l’opacité - voulue et volontaire - du personnage qu’était Hitler a dominé cette époque.
La déclaration de guerre des Etats-Unis au Japon, au début de l’année 1941, a souvent laissé penser les historiens qu’Hitler, débarrassé de la présence américaine gênante sur l’échiquier politique des guerres, pourrait conquérir et maîtriser l’URSS sans difficulté, du fait de la supériorité technologique des armées allemandes. Une victoire-éclair des armées, tel était apparemment le message martelé à l’ensemble du corps militaire pour maintenir l’espoir au plus haut et l’esprit de corps pour un rendement maximal.
Cette idée se retrouve débattue par bon nombre d’experts. Aussi en vogue soit-elle auprès d’une large majorité, elle n’en demeure pas moins qu’une hypothèsepiège, à laquelle l’auteur ne se rend pas.
Cet échec des campagnes militaires, tout d’abord en Europe orientale, a souligné que la puissance militaire nazie n’était pas infinie. Elle trouvera sa première limite face à Staline, son deuxième plus grand adversaire sera Churchill.
Guerre et exterminations à l’Est détaille ce qu’était la notion d’“espace vital” dont Hitler avait fait son cheval de bataille. L’ouvrage présente avec clarté les raisons, tenants et aboutissants des campagnes orientales - qui sonnèrent le glas à son empire sanguinaire.