Les Mahalniks

Vétérans de la Seconde Guerre mondiale, les “Mahalniks” ont aidé l’Etat juif naissant à survivre à sa première guerre

Mahalniks (photo credit: Archives de Beit Hatfoutsot)
Mahalniks
(photo credit: Archives de Beit Hatfoutsot)

Quand nous pensons aux grands bâtisseurs et pionniers d’Israël, nousimaginons les imposantes figures juives polonaises et russes, telles que DavidBen Gourion, Menahem Begin, Zeev Jabotinsky ou encore Chaim Weizmann.

Mais peu d’entre nous connaissent le rôle essentiel joué par les Sionistesoccidentaux durant la guerre d’Indépendance, et leur impact sur la constructionde l’Etat hébreu. Ces volontaires, surnommés Mahalniks (Mahal est l’acronymehébreu pour “volontaires étrangers”, Mitnadvei Houtz Laaretz) étaient au nombred’environ 4 500, dont 900 venus des Etats-Unis. Plusieurs autres centainesarrivaient tout droit d’Afrique du Sud, de Grande Bretagne, Canada, France,Amérique latine.

Une poignée de Scandinaves, de Belges, d’Italiens et de Néerlandais complétaientce tableau éclectique. Pour la première fois, leur histoire est mise sur ledevant de la scène avec une exposition qui se tient au Musée du peuple juif, àRamat Aviv, sur le campus de l’Université de Tel-Aviv.

Harry Simon, ancien navigateur-bombardier dans l’armée de l’air d’Afrique duSud et dans la Royal Air Force britannique, en sait plus que quiconque sur lesMahalniks. Âgé aujourd’hui de 92 ans, Simon a dirigé l’Organisation Mahalmondiale et en connaît toutes les statistiques. “Nous ne sommes pas certains dunombre exact de Mahalniks, nous avons donc choisi la prudence avec le chiffrede 4 500 venus de 58 pays”, note-t-il.

95 % des pilotes étaient des Mahalniks

Tous les membres du Mahal n’étaient pas juifs. Harry Simon, sans doute l’unde ses membres les plus actifs pendant la Guerre d’Indépendance, se souvient.“Il y avait 426 Mahalniks dans la division aérienne, et 92 d’entre euxn’étaient pas juifs. Le meilleur pilote se nommait Mc Ilroy, un Canadien nonjuif. On avait aussi 18 Suédois qui nous aidaient beaucoup.”

Alors qu’on imagine aisément les motivations sionistes des Mahalniks juifs, lesraisons de la présence de non-Juifs dans ce corps de volontaires restentfloues. “Je pense que les Suédois étaient payés, et n’étaient donc pas desvolontaires au sens propre”, explique Simon. Mais bénévoles ou non, ils ontapporté leur pierre à l’édifice, en maintenant le pont aérien entre laTchécoslovaquie et Tel Nof, un élément stratégique vital pour Israël.
En plein blocus des Nations unies sur la vente d’armes au Moyen-Orient, réussirà faire passer des armes vers Israël était essentiel pour la survie du pays.Simon déplore le peu de connaissances qu’ont les Israéliens des effortsdéployés par lui et ses camarades. “Les générations d’aujourd’hui prennent l’existenced’Israël pour argent comptant. Notre ambition avec cette exposition estd’éduquer le public sur ce qui s’est réellement passé pendant ces années”,déclare Simon. Son constat s’applique aussi aux militaires. “Si vous parlez àun officier de Tsahal, il connaîtra probablement le nom Mahal, mais je suis sûrqu’il ne saura rien des événements.

Je voudrais que le Mahal soit inclus dans les programmes éducatifs pourofficiers. Je pense que c’est un chapitre essentiel de l’histoire de ce pays,et que les gradés devraient connaître son existence.” Il ne faut pas oubliercependant les marques de reconnaissance que les plus grands ont adressées auxMahalniks. Itzhak Rabin, alors Premier ministre, avait célébré leur rôle lorsde la cérémonie d’inauguration d’un monument dédié au Mahal dans la forêt deShaar Hagai, en 1993.

Simon le Mahalnik cite aussi fièrement Ben Gourion, qui avait considéré que“les forces du Mahal ont été la plus importante contribution de la diaspora àla survie de l’Etat d’Israël.” Un rôle souligné par un chiffre parlant : 95 % des pilotes israéliens pendantla guerre d’Indépendance était des Mahalniks. “Rabin a dit que nous avionsamené notre expérience”, note Simon. “Nous avions tous combattu pendant laSeconde Guerre mondiale. On savait ce qu’on faisait.”

Recrutée comme dans un film

L’exposition de Beit Hatfoutsot présente aussi des objets de collectiontrès intéressants et évocateurs : le journal de bord d’un pilote, ou desinsignes militaires à l’étrange allure, y compris certaines créées de toutespièces par Zippora Porath, New-Yorkaise de naissance âgée aujourd’hui de 88ans.

Porath est arrivée en Israël en octobre 1947, avant la guerre d’Indépendance,en tant que bénéficiaire d’une bourse pour étudier un an à l’Université hébraïque.Quand la guerre éclate, elle rejoint la Hagana et soigne les blessés pendant lesiège de Jérusalem. Au fil des années, Porath va jouer plusieurs rôlesimportants, comme par exemple servir dans l’armée de l’air israélienne, sectiondes renseignements. Elle aide, par exemple, à mettre en place des services desoins dans le nord du pays, et travaille aussi brièvement au consulat général,à New York.

“Je suis venue ici à un moment-clé de l’histoire”, note Porath. “Je n’avaisaucun moyen de savoir à quel point ces événements seraient importants.”Quelques mois après son arrivée, Zippora Porath s’est retrouvé prise au milieude la tempête pour la mise en place du système de défense du nouvel Etat. “Onne rejoignait pas la Hagana. On était recruté”, déclare-t-elle. “C’était commedans un film. On allait au café, il y avait un homme avec un chapeau et unjournal. Puis on se retrouvait à l’initiation, avec une Bible dans une main etun pistolet dans l’autre.”

Quand les vents du conflit ont commencé à souffler sur la Terre sainte, Porathaurait très bien pu prendre un bateau pour l’Occident et retourner au confortnewyorkais. Mais ce n’était pas une option pour elle. “J’ai écrit à mesparents, et je leur ai dit ‘Vous m’avez élevée en Sioniste, et je suis là où leschoses se passent’.”

Au début, elle a commencé par intégrer le trafic d’armes, faisant passerpistolets et autres munitions sous le nez des Britanniques, qui n’auraientjamais fouillé une femme. “Je prenais trois grenades que je cachais dans monsoutien-gorge”, se rappelle Zippora Porath.

Puis elle se lasse de cette tâche, et décide de consacrer ses efforts de guerreà soigner les blessés. “Un jour, j’étais dans la Vieille Ville pour un soitdisant rendezvous, quand une fusillade s’est déclarée. Je me suis dit que sil’une des grenades explosait, j’aurais droit à un aller simple pour l’autremonde. Ce n’est pas comme ça que j’allais servir la nation juive. J’ai doncpris des cours de secourisme.”

Une Maguen David au rouge à lèvres

“Le premier jour de ce cours, il y a eu un attentat rue Ben Yehouda àJérusalem.” Après avoir rusé pour franchir les cordons de police, la jeuneaspirante-sauveuse de vies s’est retrouvée au milieu du “balagan” [bazar,ndlr]. “J’ai pris mon rouge à lèvres, je me suis dessiné une énorme MaguenDavid, et en 5 minutes le boulot a commencé.”

Cet acte spontané a mis Porath sur la voie de choses plus grandes encore. “Sansm’en rendre compte, c’est de cette manière que je suis devenue pleine deressources, et que j’ai aidé à créer de nombreuses stations de secourisme.” Avantla guerre, Zippora Porath étudiait le journalisme. Plus tard, elle mettra àcontribution ses talents d’écriture à de nombreuses reprises. Elle a travaillécomme free-lance pour le Jerusalem Post, et écrit plusieurs livres fascinants.

L’un deux, intitulé Lettres de Jérusalem 1947-1948, contient plusieurscentaines de missives qu’elle avait adressées à sa famille restée à New York,et n’a redécouvert que plusieurs décennies plus tard, après la mort de sesparents. Le livre est préfacé par le célèbre historien britannique Sir MartinGilbert, qui a qualifié les lettres de “très lisibles, très émouvantes, souventdramatiques et une source essentielle sur cette période de l’histoire.”

Porath est très fière de ses accomplissements et de ceux des autres Mahalniks.“Notre attitude était de se dire que l’on devait faire ce qu’on pouvait, quandon pouvait, le mieux qu’on pouvait”, dit-elle. “Nous pensions tous comme cela.”

Murray Greenfield est un autre ancien Mahalnik, avec lui aussi une âmed’écrivain. Né en Amérique, Greenfield a contribué à la protection du nouvelEtat en servant sur des bateaux de l’Aliya Bet, organisation qui amenait, outentait d’amener, des immigrants juifs en Palestine entre 1939 et 1948.

Certaines de ses expériences, ainsi que des éléments historiques sur lacampagne Ha’apala sont désormais inscrits dans La Fuite secrète des Juifs, unlivre publié après dix ans de recherches. Tout comme la collection de lettresde Porath, le livre est préfacé par Sir Gilbert.

“J’avais 20 ans, j’ai foncé”

Sans surprise, l’homme de 86 ans est un excellent conteur d’histoires, etrelate ses péripéties dans la marine illégale d’une manière captivante. “Ilfallait faire sortir les Juifs d’Europe, mais il n’y avait personne pour lefaire.” raconte-t-il. “Les combattants avaient commencé à chercher des bateauxen Amérique.” Naturellement, il fallait un équipage expérimenté pour amener lesbateaux d’un point A à un point B.

“J’avais travaillé dans la marine marchande [pendant la Seconde Guerremondiale] et j’allais régulièrement à la synagogue. Quelqu’un a pointé du doigtdans ma direction”, se souvient l’octogénaire. “L’homme qui m’a parlé m’a ditque cela pouvait être dangereux, que je risquais d’aller en prison, et que jene gagnerais aucun salaire”. Mais en dépit de ce mauvais marketing, cela afonctionné. “J’avais 20 ans et j’ai foncé dans le tas”, continue Greenfield.“250 jeunes Américains ont fait comme moi. Certains étaient sionistes, d’autresantifascistes, et il y en avait qui étaient là pour l’aventure.”

C’est sur le bateau qu’il a entendu parler de la Shoah pour la première fois.“Les premiers livres sur le sujet sont sortis vers 1946 et 1947, mais peu degens étaient au courant. A l’époque, la Shoah était surtout une question dechiffres.”

L’ancien marin a rapidement été confronté à des témoignages de survivants descamps de concentration. “Je comprenais le yiddish et chaque Juif sur le bateauavait son histoire à raconter sur la Shoah. C’était terrible.” Au fil des jourspassés ensemble en mer, les liens entre Greenfield et les survivants se nouent.“Quand les Britanniques nous ont interceptés pour nous empêcher de débarquer enPalestine, ils nous ont battus et aspergés de gaz lacrymogène. Ensuite, ilsnous ont envoyés à Chypre. L’équipage n’était pas obligé de s’y rendre, nousn’étions pas à proprement parler des héros, mais nous ne pouvions pasabandonner nos passagers. Ils faisaient partie de nous”, poursuit Greenfield.

Et de saluer le courage et la persévérance de ses passagers rescapés. “Quandles Britanniques nous ont attrapés, tous se sont mis à chanter L’Hatikva -c’était aussi le nom de notre bateau - la nuit près du port de Haïfa. C’étaittrès émouvant. Je ne pense pas qu’Israël aurait survécu sans cette Aliya Bet.”En fin de compte, pour Murray Greenfield, il s’agit de continuer à contribuer.

“Tous les Mahalniks sont des héros, tous ont fait des choses magnifiques. Maisle véritable héroïsme, c’est celui de celles et ceux qui sont restés en Israël,ou sont rentrés chez eux pour, plus tard, faire leur aliya. Ceux qui ont eu desenfants et des petits-enfants ici.Voilà leur véritable héritage.”

Pour plus d’informations sur l’exposition Mahal, contacter le 03-745-7800 ouvisiter le site www.bh.org.il