Liberté, égalité, culture

Profitez de vos livres, tant que vous pouvez vous le permettre !

La Semaine du livre hébraïque  (photo credit: Reuters)
La Semaine du livre hébraïque
(photo credit: Reuters)

A une période oùles Israéliens ont du mal à payer leur nourriture et leur logement, la Knessetest sur le point d’adopter un nouveau projet de loi qui fera de la lecture unpassetemps beaucoup plus coûteux.

Objectif de la proposition : empêcher les librairies de proposer des rabais surles livres neufs pendant les 18 mois qui suivront leur publication.
La fausse logique derrière cette initiative consiste à garantir des revenus auxauteurs, qui pourront ainsi mieux alimenter et préserver la littératurenationale.
En réalité, cette mesure aura très probablement comme conséquence une baisse desventes, et donc, moins de recettes encore pour les auteurs. Après tout, si laloi peut empêcher que les livres soient bradés, elle ne peut forcer les gens àles acheter à n’importe quel prix. Une telle loi concernera forcément enpremier lieu les moins bien nantis, aggravant encore les inégalités sociales.
Aujourd’hui, de nombreuses familles attendent justement les réductionsspéciales (quatre livres pour 100 shekels) pour garnir les étagères de leursenfants. Demain, ces mêmes foyers devront se contenter de moins d’ouvrages. Lerefus d’écrivains israéliens éminents comme David Grossman et Amos Oz de voirle prix de leurs livres réduit pour la Semaine du livre est pour ma part toutsimplement honteux. Il est triste de penser que des auteurs à succès confondentaccessibilité et dégradation. C’est à se demander s’ils ne préféreraient pasêtre lus uniquement par les élites.
Le concept du contrôle des prix sur les livres n’est pas nouveau. L’idée avaitdéjà fait une apparition en Israël, il y a quelques années, et des loissimilaires sont pratiquées depuis longtemps dans des pays comme la France etl’Allemagne. Mais d’autres nations comme le Royaume-Uni et la Finlande ontdécidé d’y mettre fin. Les politiques du marché du livre tournent autour dedeux questions : la demande et l’approvisionnement. L’idéal étant d’augmenterle nombre de lecteurs et d’acheteurs de livres, tout en encourageant lacréativité des écrivains et la préservation de la culture nationale.
Si on jette un oeil sur les données internationales, il ressort clairement queles pays qui atteignent le mieux ces objectifs sont ceux qui ont adopté despolitiques de prix libres.
De 1900 à 1997, le Royaume- Uni pratiquait une fixation des prix (trèssimilaire à celle proposée aujourd’hui en Israël). Depuis 1997, avec l’abolition de la pratique, la vente des livres a augmenté defaçon spectaculaire en G r a n d e - Bretagne. Les librairies (en ligne ou ensupermarché) ont dû baisser leurs prix, ce qui a entraîné une hausse desventes. Conséquence : le prix des livres au Royaume-Uni a diminué de 17 % pour lesbest-sellers et de 3,3 % pour les autres titres. Les ventes de livres ont faitun bond, quels que soient les revenus des consommateurs.
Un loisir pour riches ?

C’est là incontestablement un résultat positif. Introduire une fixation desprix sur le marché israélien implique une augmentation du prix moyen deslivres.Ainsi, les ménages lambda en achèteront moins et seront moins exposés à lalittérature et la culture. C’est là un point très important dans une société oùles jeunes échouent à l’école et préfèrent télécharger un film gratuitement surInternet plutôt que de dépenser 100 shekels pour de la littérature.Autre point à prendre en compte : la créativité de l’auteur est égalementstimulée dans un contexte de prix libres. Le nombre de nouveaux titres parhabitant et par an, barème de la créativité, est beaucoup plus élevé dans lespays qui ne pratiquent pas de politique de fixation des prix. La Finlande, quia adopté une politique de prix libres en 1970, affiche 2,5 nouveaux titres parhabitant et par an en moyenne par rapport à des pays aux prix fixés comme laFrance (0,6), l’Allemagne (0,9) et l’Italie (0,6). La Finlande est un bonindice de comparaison avec Israël : taille de population similaire, deuxlangues officielles et peu de gens à travers le monde qui lisent la languelocale.L’augmentation du prix des livres par législation est probablement l’une despires idées de l’année de nos politiciens. Les résultats les plus probables : diminutiondes ventes de livres et réduction de la créativité intellectuelle. S’ils nerevoient pas à la hausse le budget qu’ils consacrent à la littérature, lesIsraéliens seront bien en peine d’acquérir plusieurs nouveaux ouvrages etdevront probablement se cantonner aux bestsellers.On peut prendre un risque sur un nouvel auteur à un prix X, mais pas au prix Xplus 30 %. Des prix plus élevés peuvent aussi décourager l’achat de livres en général. Lesménages remplaceront leur budget livre par une autre forme, moins chère, dedivertissement. Les nouveaux auteurs, et ceux qui ne font pas partie de laliste des best-sellers, seront alors les premiers touchés. Je suppose queGrossman et Oz l’ont compris.Aujourd’hui, le marché du livre en Israël est en plein essor et les Israélienslisent plus que jamais. Trente-cinq millions de livres sont vendus, et près de7 500 nouveaux titres publiés chaque année. Quant au ratio de créativité, ilest à 1,14. Oui, la lecture et la littérature sont devenues abordables. Et c’estune honte que Limor Livnat, et quelques auteurs à succès, dédaignent cerésultat et regrettent le bon vieux temps, lorsque l’accès à la culture étaitlimité aux happy few qui pouvaient se le permettre.