Retour sur le Retour

A l’heure où l’Etat d’Israël suscite de violentes controverses - en fait à toute heure - Le Retour d’Israël et l’espérance du monde reste d’une brûlante actualité, et aurait bien mérité une suite.

retour israel 1710 521 (photo credit: Jerusalem Post)
retour israel 1710 521
(photo credit: Jerusalem Post)
Combien de fois ai-je cherché en vain dans toutes les librairies de Paris, le titre mythique d’Abraham Livni, Le Retour d’Israël et l’espérance du monde, maintes fois réédité depuis sa première publication aux éditions du Rocher en 1984, mais introuvable et en rupture de stock, ces dernières années ? Je ne connais pas le nom d’origine de celui qui est également l’auteur de La Recherche du dieu chez Paul Valery et de Je crois à la prophétie. Je savais seulement qu’il était converti et avait enseigné la philosophie aux premières Terminales françaises en Israël (Netanya ou il avait été amené par Manitou, à la fin des années 1960).
Converti ? Oui, le très proche du Rav Kook le raconte dans son livre : le jeune homme de famille catholique a 20 ans lorsqu’il découvre les horreurs de la Shoah à la fin de la guerre. Il cherche alors à percer le mystère de la haine antisémite. Une longue quête intellectuelle et spirituelle qui le conduit au judaïsme et à l’aliya, après un voyage au Maroc (dans le cadre de la mission française).
Il découvre stupéfait avoir été victime d’une illusion, celle de la disparition de l’ancien peuple biblique, qui continue à exister dans le Juif moderne.
Il s’installe à Jérusalem dans les années 1960 et y fonde une famille. Sa disparition précoce dans les années 1980 suit de peu la publication de son chef-d’oeuvre, grâce auquel sa notoriété ne cesse de grandir depuis.
De la Shoah à la reconstruction ? Retour sur le Retour, donc. Auschwitz 1944, création d’Israël 1948... Voilà les deux extrémités de l’arc-en-ciel qui embrase le destin bimillénaire d’Israël, selon Livni : d’un côté, la Shoah qui sonne le glas de la chrétienté, l’effondrement moral de sa civilisation ; de l’autre, la résurrection, la renaissance, du peuple renié et exclu de la communauté des peuples depuis 2 000 ans, et de retour en tant que Nation, portant en guise de flambeau son héritage originel surnaturel “pour découvrir à l’humanité le message éternel des prophètes”, une humanité qui n’en veut guère jusqu’ici me semble-t-il, moi lecteur.
“Abraham Livni, puisant aux sources traditionnelles de la pensée hébraïque, analyse les raisons de l’échec d’une civilisation qui avait tenté de dépouiller le vieux peuple d’Israël de sa Terre, de sa bible et de son identité ; et nous fait découvrir dans l’histoire du peuple juif l’épine dorsale de toute l’aventure humaine, une Histoire témoin prototype, porteuse de la seule espérance de salut du monde moderne”, note l’éditeur.
Deux thèmes majeurs dominent et jalonnent la longue et difficile entreprise intellectuelle de l’écrivainphilosophe, tout en ayant le même pivot : l’Eglise et son problème juif, ou ce qu’il appelle l’“équivoque de la notion de civilisation judéo-chrétienne”. Car si le long calvaire du peuple juif commence par Jésus et ses apôtres, il ne se termine pas par Hitler et ses nazis, il se poursuit avec Arafat et ses Palestiniens.
Place donc, pour le premier thème, à l’auteur luimême, ses mots sublimes m’enlevant les miens de la bouche (concernant les débuts du christianisme) : “... il s’agissait, pour la nouvelle église chrétienne, de voler l’identité du peuple d’Israël. C’est elle désormais qui prétendait être le nouvel Israël, elle qui constituait le véritable peuple élu. Nulle usurpation ne fut dans l’histoire aussi empoisonnée, aussi habilement camouflée sous un mysticisme religieux tellement rassurant. Nulle ne fut aussi lourde de conséquences dramatiques et meurtrières. Car Auschwitz est la démonstration, suprêmement absurde, des conséquences extrêmes du mensonge sur lequel la civilisation chrétienne a été bâtie pendant vingt siècles : la volonté d’oublier cette ‘mémoire de la création’ que constitue Israël.”
Le “mythe palestinien” Deuxième remarque : les Palestiniens sont doublement coupables, car leur combat n’est peut-être pas seulement pour la terre disputée, mais aussi pour l’âme d’Israël, qu’ils veulent, comme les nazis, dérober, au profit d’une autre Histoire.
Car après cette “révélation métahistorique d’Auschwitz, pour le peuple juif et pour l’humanité”, Abraham Livni s’attaque à la question palestinienne, déjà étonnamment omniprésente en ce début des années 1980. Et là, c’est le “mythe palestinien” qui est en cause, associé à la problématique chrétienne.
Explication : “Quand Israël revient de l’exil, Esaü a inventé un nouveau mythe, afin de mieux s’opposer au retour d’Israël. Après avoir cherché à lui voler son identité, il cherche à lui voler sa Terre, fût-ce par personne interposée, avec l’aide d’Ismaël. La Terre d’Israël serait, à ses dires, la Palestine, et le peuple d’Israël prié de la laisser aux Palestiniens ! Le tour de passe-passe est accompli. Ismaël se sert de tout l’arsenal idéologique d’Esaü. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’a jamais été brandi aussi hautement.”
Mais il y a de l’espoir pour Livni. Car ne peut être Israël que celui qui est capable de “lutter avec des puissances célestes et terrestres, et vaincre” (Genèse, 32,29). Il s’agit d’assumer la dialectique du bien et du mal. Et l’auteur de faire la nomenclature de dates significatives : 70, prise de Jérusalem par Titus ; 135, Bar Kochba battu par Hadrien, puis la Terre d’Israël est baptisée Palestine par Vespasien, avant de sombrer dans l’oubli.
Demeurée terre d’occupation coloniale délaissée, son état d’abandon et de désolation est attesté par de nombreux pèlerins et voyageurs. Et puis le miracle rêvé par Napoléon Bonaparte se produit, double même, car le pays retrouve sa fertilité avec le retour de son peuple, contre lequel “a été dressé le mythe du peuple palestinien”, un peuple composé d’après l’auteur essentiellement d’Arabes arrivés en masse de Syrie et d’Arabie après 1920, attirés par les possibilités de travail ouvertes par le mouvement sioniste et le mandat britannique.
Il faut partager ! Un dangereux principe Comment peut-on “opposer à la réalité bien historique du Retour d’Israël sur sa Terre, la prétention d’un droit à l’indépendance du peuple palestinien?”, se demande l’auteur.
“Deux peuples pour une terre, dit-on : il faut donc partager ! Avec un tel principe, il faudrait fermer tous les tribunaux du monde, car cette fausse charité éliminerait toute justice ; et tout litige aurait une solution facile : celui qui a été volé donnerait la moitié de son bien au voleur !” Mettant face à face les “titres de propriété des deux parties : d’un côté, 4 000 ans d’histoire... de l’autre côté, la montée progressive d’un terrorisme...”, Livni pourfend “la jalousie et la haine qui ont accompagné le peuple juif tout au long de son histoire” et qui “ont trouvé leur dernière ressource : réclamer la Terre d’Israël au profit d’une population trop pauvre et arriérée pour devenir un peuple, mais que, brusquement, toutes les nations du monde, hypocritement généreuses sur le compte du peuple juif, voudraient voir accéder à la dignité de nation”.
“Deux mille ans d’histoire n’ont pu créer une nation palestinienne. Ce n’est pas le retour du peuple juif qui doit contribuer à le créer”, se révolte-t-il. “Car, conclutil, il n’y a pas vraiment de problème palestinien. Il y a plutôt, peut-être, un problème juif... celui-ci est-il encore le peuple du Retour ? Voilà sans doute les seules questions sérieuses qui puissent être posées. Le retard du peuple juif par rapport aux exigences de sa propre histoire, voilà le vrai problème”.
Je terminerai cette revue du Retour par une réflexion personnelle critique : Le Retour d’Israël et l’espérance du monde sonne comme une réponse à Claude Lanzmann.
Pourquoi Israël, dites-vous ? Non, pourquoi la Shoah, telle est la question. C’est ce qu’il manque à la fin : Israël-Shoah, mais pas dans le sens qui arrange l’Europe et la gauche israélienne, celui invoqué par Obama au Caire : Israël à cause de la Shoah, donc comme refuge, sans passé ni futur national. Au contraire, dis-je, la Shoah à cause d’Israël, à cause de l’absence d’Israël, du non-Israël entends-je (la coalition anti-israélienne avaitelle cet objectif dans les années 1940 ? Objet d’une étude jamais effectuée...) Une étude à commencer par cette déclaration de l’ancien chef d’état-major général de Tsahal Ehoud Barak, lors d’une cérémonie officielle dans le camp d’Auschwitz en 1992 : “Nous sommes arrivés 50 ans trop tard”.
Le Retour d’Israël et l’espérance du monde, d’Abraham Livni, éditions du Rocher.