Terre sans communauté à marier

Un homme d’affaires canadien souhaite implanter un groupe d’immigrants qui feraient leur aliya dans un nouveau quartier proche de Jérusalem.

JFR P23 370 (photo credit: Niv Ellis)
JFR P23 370
(photo credit: Niv Ellis)
Le père du sionisme moderne, Theodor Herzl, n’a foulé laTerre Sainte qu’une seule fois, en 1898.
Il s’est rendu à Jérusalem et s’est promené là où les collines de Judée ontrassasié ses yeux, lui offrant une vue exceptionnelle entre la localité appeléeaujourd’hui Mevasseret Tsion et Ein Kerem. Le lieu touche et inspire l’hommequi a voué sa vie à la cause sioniste. Il y plante un cyprès et savourel’espérance, et déjà la conviction, qu’un futur Etat juif naîtra là.
Les années s’écoulent. Cent quinze exactement. L’état juif est né, et lecyprès, l’arbre promesse, a bien poussé. L’homme d’affaires sioniste etcanadien, Hershey Friedman, visite à son tour le site et en tombe amoureux. Cemilliardaire, « frappé au coeur » comme il le dira lui-même, s’enthousiasmepour l’endroit qu’il qualifie d’unique et sur lequel il décide d’investirimmédiatement. Il acquiert ce terrain proche de Motza fin 2010, et va confierson projet d’aménagement du site à Azorim, gros promoteur immobilier israélienlourdement endetté, qu’il va racheter quelques mois plus tard. L’hommed’affaires se veut le pionnier d’un sionisme nouveau. L’idée est detransplanter une communauté entière ici, à Motza Illit. Qui prendraitpossession de la terre, et s’y implanterait.
Redonner une nouvelle dimension au slogan fondateur : une terre sans peuplepour un peuple sans terre.
S’appuyant sur les inquiétudes des communautés diasporiques, Friedman affirmeque « les Juifs, surtout en Europe, sont à la recherche d’un nouveau foyer, enraison de la situation incertaine dans leurs pays. La lutte contrel’antisémitisme est loin d’être gagnée et les choses n’iront pas ens’améliorant ». L’homme croit à son idéal communautaire, suggère que « plutôtque d’avoir une seule personne arrivant ici ou là, allant vivre dans lesnouveaux gratte-ciel de Netanya, il est préférable de se donner la chance d’avoirun projet en commun, et ce projet, c’est vivre ensemble.
Une aliya de groupe 
Le concept est celui-ci, proposer à quarante ou cinquantefamilles de tenter l’aventure en communauté, et, pourquoi pas, d’être très,très heureux ».
Le plan est là. Reste à le confronter à la réalité. Car aller à la recherched’une telle communauté n’est pas une tâche facile. Ne serait-ce qu’en raison deconsidérations financières : les candidats à l’aventure devront débourser aumoins un million de dollars pour chaque unité.
Einat Zakariya, vice-président de la société gérant le marketing et les ventes,estime que le public intéressé sera essentiellement composé de familles aiséesayant toujours rêvé de vivre en Israël et dont les enfants ne sont plus à leurcharge. Azorim se met donc en quête du groupe idéal, en Europe et auxEtats-Unis.
Le directeur des ventes du projet, Itzik Levi, évoque « Kochav Nolad », faisantréférence à la version israélienne de La Nouvelle Star… « Nous voulonsl’équivalent, notre programme à nous, à titre de comparaison, sera La NouvelleCommunauté. ». Mais le modèle du programme télévisé ne suffit pas à convaincred’éventuels postulants dont la démarche est concrète et risquée. Bien qu’ilsoit dans l’intérêt de ces familles de sauter le pas ensemble, il reste biendes questions et des incertitudes… Avi Silverman, conseiller communautaire etéducatif pour l’organisation Nefesh B’Nefesh, qui gère l’aliya, soulignel’aspect inédit du projet. Mais confirme cependant qu’une aliya de groupe nepourra que se révéler bénéfique pour toutes les parties concernées. « Quandvous quittez votre pays d’origine et fermez boutique, avoir l’opportunité departager l’expérience avec d’autres personnes, c’est un atout formidable »,note Silverman.
Le conseiller précise : « Le soutien que vous recevrez durant votre aliya estcapital et constitue d’ailleurs un des facteurs de réussite pour tous lesimmigrants. Etre dans le même bateau, ne pas vivre l’arrivée en Israël commeune plongée dans le vide est déterminante pour la suite. » Un des facteursclés, souligne-t-il, est l’aide destinée à chacun pour affronter l’inévitablesecousse que constitue la démarche de se transplanter dans un autre pays.
Nefesh B’Nefesh s’est tourné vers le KKL, Keren Kayemeth LeIsraël ou Fonds nationaljuif, afin de créer le même type de communauté (sans le prix élevé du projetAzorim Motza) dans le Néguev. A Karmit notamment, non loin de Beersheva, desgroupes locaux essaient d’attirer les olim déjà installés en Israël pour fonderensemble une communauté. Silverman avance que « dans la région sud, l’idéeserait cette fois d’impliquer pleinement les immigrants dans la cultureisraélienne ».
Les communautés locales se concentrent sur les besoins spécifiques des nouveauxarrivants – recherche de lieux d’accueil durant les fêtes nationales etreligieuses ou aide supplémentaire à apporter aux enfants pour l’hébreu – etespèrent ainsi attirer les immigrants tentés par l’immersion israélienne.
Silverman explique : « Il s’agit de sortir les olim de leur bulle francophoneou anglo-saxonne, en leur assurant un accueil chaleureux à Karmit, sensibiliséeaux attentes des nouveaux arrivants. » La communauté devrait ouvrir ses portesen 2015.
A Motza Illit, Friedman ne semble guère troublé par les difficultés provoquéespar la mobilisation et donc l’arrivée de toute une communauté. « Celafonctionne à merveille aux Etats-Unis. Si vous allez en Floride, à FortLauderdale ou Boca, vous vous rendrez compte que ce type de communauté est trèspopulaire. Ça commence par un petit groupe, puis des amis veulent se joindre aunoyau et ainsi de suite », explique Friedman.
Le rêve du XXe siècle 
Azorim s’attache donc à mettre sur pied le projet tout entâchant d’adapter ses unités de luxe aux particularités de l’environnement.Afin de préserver l’aspect naturel du site, aucun espace n’est alloué pour lesvoitures au-dessus du sol, et les garages construits en sous-sol serontaccessibles par la route. Sur l’insistance des localités avoisinantes de Motza,il a en effet été demandé à Azorim de respecter le statut protégé du site enbannissant les gratte-ciel.
La solution : opter pour des lotissements s’harmonisant avec le paysage. Enfin,il faudra s’interroger sur le devenir de « La Maison Blanche », ce bâtimentdélabré au centre de Motza qui a été, dans ses jours de gloire, une maison deconvalescence pour les riches résidents de Jérusalem.
« Cette zone était exclusivement réservée aux Israéliens pour leur retraite »,précise Friedman. Les lois de préservation du bâtiment historique construit en1927 exigent que la façade néoclassique soit conservée. Azorim s’est interrogésur ce drôle d’espace qui sera planté au beau milieu de ses 218 nouvellesunités. Finalement la communauté résidente tranchera, comme l’affirme Zakariya.« Nous voulons adapter le lieu à la communauté et à ses différents besoins, carles résidents n’oublient pas qu’ils réalisent ici, aussi, un rêve. »Aujourd’hui, quelle que soit la difficulté de Friedman à dénicher la communautéidéale, l’homme garde foi en la terre et en ce petit coin de paradis. « C’estla vue la plus extraordinaire que vous puissiez avoir », s’extasie-t-il. « Celieu est exceptionnel, il mérite vraiment de voir un jour ce projet devenirréalité ».