Un pédagogue précurseur

Il y a 70 ans, en août 1942, disparaissait Janus Korczak. Cet éducateur polonais avait décidé d’accompagner les enfants dont il avait la charge en toutes circonstances, jusqu’à la mort

Janus Korczak (photo credit: DR)
Janus Korczak
(photo credit: DR)

‘Comprendre lesenfants de l’intérieur”. Janus Korczak a tenté de véhiculer cette idée tout au long de sa vie. De sonvrai nom Henryk Goldszmit, Korczak est un pédagogue et écrivain respecté encette Pologne du début du XXe siècle. Né en 1878 à Varsovie au sein d’une famille juive de classe moyenne, il neprend conscience de sa religion qu’à l’âge de 7/8 ans. Son canari vient depasser de vie à trépas. Comme beaucoup d’enfants, il désire l’enterrer. Sesparents ne lui ont pas vraiment inculqué d’éducation religieuse. Dans une boîteà chaussures, il enterre l’oiseau, puis dépose une croix dessus. Lesréprimandes pleuvent et le jeune garçon apprend alors qu’il est juif. Au fil dutemps, il va découvrir ce que cela signifie. Toutefois, il ne parlera jamaisyiddish ni hébreu, mais simplement polonais.

A l’université, il étudie la médecine. Au cours de son cursus, il a l’occasion detravailler avec les plus petits en milieu hospitalier. Sa vocation se révèle peu à peu. Il est bon observateur et désire comprendreles enfants. Très tôt, il intègre qu’ils ont besoin de pouvoir s’identifier,savoir qui ils sont. Janus Korczak commence alors à rédiger des articles sur le sujet dans desmagazines polonais et opte pour le patronyme sous lequel il sera connu. En 1904-1905, il sert comme médecin militaire lors de la guerrerusso-japonaise. Dans le cadre d’une mission, il doit s’occuper d’enfants victimes de guerre enMongolie. Et sera profondément marqué par les mauvais traitements qui leur sont infligés.
De retour en Europe, le choix est fait : Korczak se spécialise en pédiatrie. Al’université, il rencontre une jeune femme, Stefa Vilczynska (1886-1942), dontil sera très proche sur la manière d’aborder les enfants, de les éduquer, deles comprendre. Les deux étudiants aspirent à instaurer une réelle égalitéentre adultes et enfants, car ils considèrent que les anciens ne sont pas supérieursaux plus jeunes. C’est en 1912 que Korczak fonde son premier orphelinat au 92 de la rueKrochmalna à Varsovie : Dom Sierot (la maison des orphelins) accueille desenfants juifs polonais. Un orphelinat existait auparavant mais c’était unendroit sombre peu apprécié par ses occupants.
Progressivement, Korczak et Vilczynska organisent un lieu réellementdémocratique où même la parité est respectée : 56 filles, 54 garçons. Unsystème d’entraide s’installe entre les pensionnaires. Les plus âgés s’occupentdes plus jeunes. Leur inculquent les règles de politesse et de savoir-vivre encommunauté. Quelques années plus tard, en 1918, Korczak ouvre un secondétablissement à destination, cette fois, des enfants polonais, chrétiens.“Notre foyer”. Il est dirigé en collaboration avec Marina Falska.
“Comment aimer un enfant” 

Le jeune pédagogue a découvert une manière d’aborderles enfants, et tient à la démocratiser. Alors qu’il s’est engagé dans leconflit de la Première Guerre mondiale, il rédige au front “Comment aimer unenfant”. Son objectif n’est pas de montrer aux parents la manière d’élever leurprogéniture, mais comment les aimer. Il s’agit de considérer, respecterl’enfant comme une personne à part entière. A deux reprises (1934 et 1936) Korczak se rend en Israël. Il y rejoint Stefa,qui a gardé des liens avec une de leurs anciennes pensionnaires, installée dansle kibboutz Ein Harod. Ces voyages lui permettent de comprendre le peuple juif.Il rencontre également de nombreux pédagogues et fait partager ses idées. Envisionnaire, il demande à Stefa de rentrer avec lui en Pologne. Il sentl’approche de la guerre.
En 1940, l’orphelinat dirigé par Janus Korczak s’installe dans le ghetto deVarsovie. Les deux années qui vont suivre seront très dures. Korczak lutte pour fournirde la nourriture aux 200 enfants qu’il accueille. Mais surtout, une despréoccupations majeures est de préserver leur dignité. Les conditions de vie dans le ghetto sont effroyables, encore plus pour lesorphelins. Les enfants trouvent en l’établissement de Korczak un souffle nouveau. Korczaket Stefa Vilczynska y développent leur pédagogie. Les journées commencent tôt, dès 6h. L’hygiène de vie est importante. Après la douche et les exercices degymnastique, les bambins se dirigent vers le réfectoire puis se préparent à lajournée de classe. De nombreuses activités sont organisées dansl’établissement. Notamment des pièces de théâtre. Fidèle au précepte de démocratie pour tous, l’orphelinat est la “République desenfants”. Tous sont égaux et tous doivent se comporter correctement.
Un système très innovant est mis en place : le Tribunal. Trois pensionnairesles plus sages, ainsi que Stefa, sont les juges. Et passent en revue ceux quiont eu un mauvais comportement, ou n’ont pas respecté les règles de la vie encommunauté. Tous peuvent y être confrontés. Korczak luimême y a été jugé àtrois reprises. L’importance de l’égalité entre tous est une valeur essentielle pour lepédagogue. Mais la réalité va brusquement les rattraper. Malgré tous les efforts derésistance, des rafles d’enfants ont lieu dans le ghetto. Le 5 août 1942,Korczak et les 200 jeunes dont il a la charge, ainsi que les éducateurs, sontdéportés vers le camp d’extermination de Treblinka, où ils seront exterminés.
Conscient qu’il se dirigeait vers la mort, Korczak, qui aurait pu être épargné,s’est délibérément joint à ses protégés dans leur dernière marche, versl’enfer. Rester avec les enfants, jusqu’au bout. Lorsqu’il est conduit vers son funeste destin, Korczak a déjà 62 ans. Trèsrenommé dans le milieu de la pédagogie, il fait figure de référence. Sabravoure à ne pas abandonner les enfants, même face à la mort, lui vaudra lareconnaissance de tous.