Acheter ou ne pas acheter israélien

Une Palestinienne s’interroge. Pourquoi se priver du plaisir d’acheter en Israël alors que les effets tangibles du boycott sont inexistants, si ce n’est pour le compte en banque du commerçant palestinien

acheterpalestinien (photo credit: Marc Israel Sellem)
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(photo credit: Marc Israel Sellem)
Alors que je me balade le long de l’avenue Mamilla à Jérusalem un vendredi, j’entrevois trois éminentes femmes palestiniennes de Judée-Samarie.
Affublées de sacs de marque, ces belles personnes n’étaient pas là simplement pour la vue.
Beaucoup de Palestiniens de ma connaissance font leurs courses en Israël, comme dans les supermarchés Rami Levi, où les prix sont très compétitifs. Mais les femmes en question sont de ferventes militantes de la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS). Activistes dans les manifestations populaires de résistance hebdomadaires, elles ont participé à la 15e Marche destinée à lancer le “Printemps palestinien”.
Je me suis demandé pourquoi elles ne passaient pas leur vendredi à Bilin, Nilin ou Nabi Saleh. Et surtout, pourquoi diable faisaient-elles leur shopping ici ? Elles savent forcément que faire du lèchevitrine côté israélien est aux antipodes de leurs nobles valeurs.
Le shopping, en plus d’être un sport national dans les Territoires de l’Autorité palestinienne peu pourvus en divertissements, est devenu ces dernières années un sujet sensible qui entraîne les Palestiniens dans des débats houleux.
Entre les diverses initiatives palestiniennes de boycott de produits israéliens et des implantations, et l’effort de soutien aux commerçants locaux, l’acheteur lambda traîne son caddie dans un véritable champ de mines. Des questions a priori simples comme où aller et quoi acheter ont pris des proportions improbables.
Et faire le bon choix est pratiquement devenu un devoir patriotique.
Les initiatives de boycott des produits israéliens et des implantations, de boycott académique ou culturel ne manquent pas.
La dernière en date : plusieurs activistes palestiniens ont empêché la chanteuse israélo-arabe Sharif Durzi de monter sur scène au réveillon du Nouvel An à Ramallah. La discographie de Durzi comprend de nombreuses chansons en hébreu, ce qui a horripilé les jeunes militants palestiniens.
Contrairement au boycott des produits des implantations, officiellement adopté par l’Autorité palestinienne, celui des produits israéliens n’est ni légal ni applicable.
Le Protocole de Paris signé par les deux parties en 1994 l’interdit. Et il est impraticable, vu l’interdépendance des économies palestinienne et israélienne.
Ainsi, les campagnes de boycott sont l’oeuvre de civils. Nées dans la rue, elles ont pris une dimension morale et éthique.
A qui profite le boycott ?
Israël n’est pas la seule cible. Les Arabes se sont pris au jeu. Un e-mail diffusé en nombre soutient le boycott des produits américains, britanniques, danois ou néerlandais.
Les motifs sont divers : la guerre en Irak, un soutien affiché envers Israël ou la publication de caricatures controversées comme celles représentant des personnages religieux. Faites votre choix.
Si la campagne de boycott contre Israël a trouvé un certain public à l’étranger, en Judée-Samarie, elle revêt une forme plus radicale, appelée anti-normalisation. Aujourd’hui, si une voix malheureuse venait à hésiter à boycotter, elle serait immédiatement taxée de manque de patriotisme.
Dans cette atmosphère radicalisée, vous comprenez ma surprise de voir ces femmes dépenser leur argent à Mamilla.
La question s’impose : boycotter les produits israéliens constitue-t-il un moyen efficace de résister à l’occupation ? Car, par exemple, remplacer les produits laitiers israéliens par des équivalents palestiniens revient simplement en ajouter un intermédiaire : l’origine de tout produit laitier dans le pays étant la société israélienne Tnouva.
Ajoutez à cela le fait que le marché palestinien ignore la régulation des prix.
Résultat : si les commerçants palestiniens font des bénéfices, de nombreux consommateurs, eux, sont financièrement pénalisés.
La même situation se produit lors de l’achat de vêtements de marque chez un commerçant palestinien, qui les a luimême achetés en Israël.
En clair, ce boycott implique simplement une étape supplémentaire dans la chaîne de consommation. C’est tout. Et sous la touchante bannière “soutenir l’économie palestinienne”, il s’agit en fait d’aider certains marchands spécifiques qui se sont eux-mêmes fournis en Israël.
En tant qu’acheteuse amateure, je m’aventure moi-même rarement dans des sujets aussi épineux et bouillonnants, qui auraient le don de gâcher une journée prometteuse dans les centres commerciaux de Mamilla, Malha ou Ben Yehouda.
Chaque jour où j’obtiens un permis pour me rendre à Jérusalem est un jour heureux.
Nombre de mes amis hiérosolymitains m’accompagnent dans mes promenades dans la Vieille Ville, mes dégustations de bonbons mutabak et autres visites de lieux saints. Mais ma plus importante mission ces jours-là reste bien sûr d’acheter, acheter, et toujours acheter.
Mais que font des militantes à Mamilla ?
 Je ne suis nullement qualifiée pour élaborer des stratégies de résistance, mais même si le boycott des produits israéliens était efficace, il ne fonctionnerait pas pour une autre raison. Les Palestiniens achètent côté israélien tout simplement pour économiser. Par ailleurs, ils peuvent payer par carte de crédit et profiter des soldes, un appât du consommateur ignoré des commerçants palestiniens.
Nous apprécions aussi la variété du choix, les prix fixes (pas de négociation épuisante), les garanties, la possibilité de rendre des articles et un shopping plus agréable, dans le sens où vous pouvez regarder ou comparer les prix sans vous sentir obligés d’acheter.
Si je n’avais pas de permis d’entrée en Israël ? Je serai forcée de faire mes achats dans les Territoires.
Il y a quelques mois, je cherchais une paire de jeans à Ramallah. Dans un magasin, une vendeuse affable me fait des compliments sur ma silhouette et déclare avoir toujours souhaité un corps aussi mince que le mien. Je n’étais pas sûre de ses intentions : stratégie de vente ou pure sincérité ? Je lui ai promis de revenir, même si je n’en n’avais aucune intention. Car les propriétaires et employés de magasins des Territoires n’aiment pas quand les clients partent sans rien acheter, et je ne voulais pas être étiquetée comme une cliente “qui n’achète pas toujours”, au risque de ne pas être bien servie la fois suivante.
Bien sûr, je ne suis jamais revenue.
Si l’idée de boycotter Israël, comme Etat occupant la terre palestinienne, peut sembler tentante pour les Palestiniens comme moi qui sont engagés vers une solution pacifique, une résolution non violente du conflit, on ne peut attendre des Palestiniens qu’ils se ruinent et sacrifient leur loisir du shopping dans un souci de solidarité avec leurs frères commerçants.
Et pourtant, je n’arrive toujours pas à comprendre comment des militantes du BDS peuvent faire leurs emplettes dans un centre commercial israélien. C’est absurde.
Si cette campagne avait un sens, alors je suppose que nous devrions, par exemple, également nous abstenir d’utiliser l’Internet israélien (meilleur que le palestinien).
Mais si acheter en Israël ne cause aucun dommage politique, pourquoi nous entêter ? Uniquement pour éviter un tabou social ? Alors acheter ou ne pas acheter ? Je dis acheter ! 
L’auteure est une habitante de Ramallah.