Le miroir fissuré de la société française

Pourquoi Israël et sa société offrent de quoi inspirer les dirigeants français

societe francaise (photo credit: Reuters)
societe francaise
(photo credit: Reuters)
C’est peut-être ce que la blogosphère et la presse internationale ont le plus retenu du discours du Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou, lors de la conférence de l’AIPAC le 5 mars 2012 : “Mesdames et Messieurs, si cela ressemble à un canard, marche comme un canard et fait des quacks comme un canard, alors qu’est ce que c’est ? C’est ça, c’est un canard.
Mais ce canard est un canard nucléaire. Et il est temps que le monde commence à appeler un canard un canard”. Celui qui est aujourd’hui à la tête de l’Etat hébreu a donc un mérite : “appeler un chat un chat”, selon l’expression française. Critiqué ou admiré, il l’est pour une même raison : une orientation politique bien définie et un discours clair.
Le 26 mars dernier, l’Etat juif a ainsi annoncé avoir cessé toute coopération avec le Conseil des droits de l’Homme (CDH) de l’ONU, suite à sa décision d’ouvrir une enquête internationale sur les implantations israéliennes. Alors que ce même conseil est dans l’incapacité de mettre un terme aux massacres perpétrés par le président syrien Bashar al- Assad à l’encontre de son propre peuple.
En Israël, vu de l’intérieur, que remarque-t-on ? La majorité de la population, ouverte à la critique en dépit de ses différentes orientations politiques, est prête à parler sans animosité de la politique israélienne menée en Judée- Samarie. Le système du service militaire est reconnu comme inévitable eu égard à la nécessité de défendre le pays et accepté, voire même intégré en tant que moyen de créer une unité nationale au sein de cette société multiculturelle.
De même qu’Israël offre un modèle de société qui intègre relativement bien toutes ses minorités, lesquelles sont représentées à la Knesset. Arabes musulmans, Arabes bédouins, chrétiens et druzes représentent 1,8 million de citoyens non juifs, soit 24 % de la population.
Suite à l’attentat de Toulouse du 19 mars, les candidats à la présidentielle ont quasiment tous suspendu à l’unanimité leur campagne pour quelques jours. Peut-être auraitil été temps de prolonger ce moment d’interruption et de se demander quel est le nouveau modèle de société que la France souhaite mettre en place.
La laïcité, notion hypocrite ?
Depuis l’épisode des émeutes dans les banlieues qui s’étaient enflammées fin 2005, un nouveau visage de la société française a été dévoilé. Et avec lui, l’apparition de considérations qui mettent en avant la place des religions dans un pays républicain et laïc, l’immigration, l’intégration et l’intégrisme de même qu’une nouvelle rhétorique “politiquement correcte” utilisée dans le discours des dirigeants.
Le 20 décembre 2007, lors de son discours adressé à la Basilique Saint-Jean du Latran à Rome, Nicolas Sarkozy déclarait que “les racines de la France sont essentiellement chrétiennes” et que “la laïcité n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines”. Mais il précisait néanmoins que “la France a beaucoup changé. Les citoyens français ont des convictions plus diverses qu’autrefois. Dès lors la laïcité s’affirme comme une nécessité (...) Elle est devenue une condition de la paix civile”.
Aujourd’hui, le principe de laïcité semble pourtant donner forme à un discours hypocrite, notamment à l’égard des religions qui ne sont pas considérées comme les “racines” de la France. L’Islam, ce n’est un secret pour personne, représente la seconde religion la plus importante en France avec près de 5 millions de Musulmans sur une population de plus de 65 000 000 millions d’habitants.
Renaud Camus dans son livre Le grand remplacement a sans doute exprimé le fond d’une pensée qui pourrait être reprise par l’extrême droite française, mais pas seulement : “Il est pitoyable, et serait comique si ce n’était pas si tragique, que la loi de 1905 sur la laïcité, hautement anticléricale à son origine quoiqu’on en dise, serve aujourd’hui de couverture, par un retournement inouï, à l’islamisation du pays”.
Sur ce sujet, Karim Amellal, conférencier à l’Institut d’étude politiques de Paris, précise que : “La laïcité a un côté hypocrite particulièrement avec l’Islam qui est une religion jeune (présente depuis moins d’un siècle en France), mais je crois que c’est la manière, très restrictive, dont elle est interprétée qui est surtout problématique, et non les deux premiers articles de la loi de 1905 qui fondent véritablement la laïcité en France”.
Le signe d’une fracture identitaire
Alors dans cet appel à la laïcité, quelle est la place de l’Islam dans la société française ? Appelons un chat un chat : l’Islam semble poser problème. La preuve en est avec le foisonnement de débats politiques qui lui sont consacrés : débat sur “l’identité nationale” entamé en novembre 2009 par Eric Besson, alors ministre de l’Immigration et de l’Intégration ; proposition de loi sur l’interdiction du port de la burqa annoncée par Jean-François Copé en décembre de la même année ; polémique autour de Claude Guéant sur les signes religieux dans les espaces publics en mars 2011, suivie en avril avec la fin du “débat sur l’Islam et la laïcité” voulu par Nicolas Sarkozy. Dernière en date, la controverse sur la viande halal avec, entre autres, les propos de François Fillon, jugeant les abattages rituels musulmans et juifs comme relevant de traditions archaïques.
Gilles Kepel, politologue français spécialiste de l’Islam, a commenté sur le site du Monde ce dernier débat soulevé autour de la viande hallal. Et de se demander s’il ne serait pas le “symbole d’une fracture identitaire”. Selon lui : “Le marché du halal a été l’objet de surenchères sur la pureté identitaire au cours d’un quart de siècle où l’islam en France est devenu l’Islam de France : on est ainsi passé de l’âge des ‘darons’ à celui des Frères (musulmans) et des ‘blédards’ et enfin au troisième âge, celui des jeunes nés et éduqués en France issus de la culture de la banlieue pauvre”.
Certains argueront que la tragédie de Toulouse n’avait rien à voir, ni avec la couverture du conflit israélo-palestinien et la représentation d’Israël dans les médias, ni même avec la politique d’immigration et la rhétorique du président Nicolas Sarkozy et de ses ministres.
Alors, comment doit-on voir l’Islam ? Comme le nouveau bouc-émissaire de nos sociétés aux “racines chrétiennes”, ou comme le terreau de dangereux fanatiques qui mettent en péril l’équilibre du reste du monde occidental ? Car, il faut l’admettre à défaut de heurter les esprits bien pensants : cette religion est propice à l’éclosion de mouvances extrémistes, terroristes, antisémites et proférant une idéologie de la haine.
Halte à la victimisation du bourreau
Lorsqu’il parle du djihadisme en France, Kepel indique : “Le souci est que cette idéologie de rupture est basée sur les problèmes d’intégration sociale et économique que rencontrent un certain nombre de jeunes laissés à euxmêmes, et qui vont retrouver grâce à ces mouvements un sentiment de dignité.”
Des propos partagés avec Amellal : “Il me semble évident - parce que c’est le cas depuis trente ans en France - que nous verrons à nouveau grandir de telles figures hideuses tant que nous n’aurons pas durablement solutionné le problème des ‘quartiers sensibles’ (...) Ces territoires de la République sont bien des ‘territoires perdus’ où s’insinuent, faute d’autre chose, les pires poisons.”
Néanmoins, si certains comme Karim Amellal arrivent à voir dans le tueur “l’archétype du gosse paumé, fragile, seul parce qu’abandonné par tous et d’abord par sa propre famille, et auquel le ‘salafisme’ va donner un semblant de sens et catalyser la haine”, il devient plus qu’urgent de s’interroger sur la politique d’intégration mise en oeuvre en France.
On pouvait lire, le 28 mars, qu’une enseignante du collège Vendôme à Lyon aurait tenu des propos ambigus sur le tueur en évoquant selon plusieurs témoignages “la vie et l’enfance difficile” et le funeste destin promis à l’assassin.
Or légitimer les actes de terroristes comme Merah par la victimisation des jeunes défavorisés des banlieues et autres “territoires perdus” ne rend service ni à la République, ni à la majorité des Musulmans de France qui ont une pratique modérée de l’Islam. Et à moins d’un mois de la présidentielle, on regrette de ne pas voir voler, dans le ciel des idées politiques, un peu plus de canards.