Rien ne vaut un petit chez soi

Juifs de France et d’ailleurs, fini le temps où Israël était une terre de refuge. C’est un pays où il fait bon VIVRE...

Alain Juppe (photo credit: Reuters)
Alain Juppe
(photo credit: Reuters)

Au lendemain de l’assassinat barbare de quatre membres de lacommunauté juive de Toulouse,la Ligue antidiffamation (ADL) a publié un rapport sur l’antisémitisme pour lemoins préoccupant. Disons les choses telles qu’elles sont : pour bien plus deGentils qu’on ne voudrait l’admettre, les Juifs ne seront jamais chez eux en Europe.

Il ne s’agit pas là d’un phénomène marginal. Dans les 10 pays concernés parl’enquête - l’Autriche, la France, l’Allemagne, la Hongrie, l’Italie, lesPays-Bas, la Norvège, la Pologne, l’Espagne et le Royaume-Uni - 31 % de leurspopulations en moyenne nourrissent des sentiments antisémites.
Les chiffres réels fluctuent d’un relativement faible 10 % aux Pays-Bas à unaffolant 63 % en Hongrie. La Franceaffichait un 24 %, contre 20 % en 2009. Evidemment, la question “Qui est antisémite” n’est sans doute pas moinscomplexe que sa rivale “Qui est Juif ?”.
Pour les besoins de son enquête, l’ADL a décidé qu’un antisémite répond parl’affirmative à au moins trois des quatre énoncés suivants : 1) les Juifs sontplus loyaux envers Israël qu’envers le pays où ils vivent, 2) les Juifs ont tropde pouvoir dans le monde des affaires, 3) les Juifs ont trop de pouvoir sur lesmarchés financiers internationaux, et 4) les Juifs parlent encore trop de cequi leur est arrivé pendant la Shoah.
Fait intéressant, le sondage ne comportait aucune question sur descomportements, des sentiments d’amitié ou des traits de caractère. En d’autrestermes, un sondé qui estime que toutes les phrases ci-dessus sont exactes, maisapprécie la compagnie des Juifs, entre pour l’ADL dans la case “antisémite”.
Mais trêve d’ergotage sur les définitions. En interprétant les donnéesrécoltées, aucun doute qu’un grand pourcentage des Européens seraient heureuxde se débarrasser de leurs compatriotes juifs.
Une double allégeance tolérée

Une des phrases choisies par l’ADL commeindicateur d’antisémitisme mérite une attention particulière après l’attentatde Toulouse.Faut-il s’étonner que 45 % de la population française estime que ses voisinsjuifs sont plus attachés à l’Etat juif qu’à la République française lorsque lesfamilles des victimes ont pris leurs dispositions pour que leurs êtres cherssoient enterrés en Terre promise, plutôt que sur celle qui leur a promisliberté, égalité et fraternité.

Si j’étais un Français non juif, je me serais sans aucun doute demandé si l’onpeut honnêtement attendre de ces Juifs qui préfèrent être enterrés sur la terrede leurs ancêtres de porter en leur coeur les intérêts de la France de leur vivant.
C’est pourquoi je trouve remarquable que le ministre des Affaires étrangèresfrançais Alain Juppé ait choisi de participer aux funérailles des victimes icien Israël. Sa présence non seulement reflète une reconnaissance subtile de ladouble loyauté d’au moins une partie des citoyens juifs de son pays, maisconfère même une certaine légitimité à ce phénomène. Il est venu, a-t-ildéclaré, à la demande du président Nicolas Sarkozy, afin d’“exprimer lasolidarité de la nation française avec les familles endeuillées et avec tout lepeuple d’Israël.”
Une déclaration qui fait réfléchir sur le lien entre la réaction dugouvernement français devant cet acte terroriste et le rôle central qu’elle ajoué dans la libération de Guilad Schalit, citoyen français et israélien retenuen captivité.
Pris en otage en service militaire pour l’Etat juif, nul doute n’est possiblequant à son allégeance. Il aurait été par conséquent tout à fait compréhensibleque Sarkozy se lave les mains de toute l’affaire. Le fait que bien aucontraire, le président français ait vigoureusement souhaité son retourtémoigne d’une acceptation de l’idée de multiple allégeance de la part decitoyens du village global qu’est notre planète aujourd’hui.
Mais tandis que des politiciens français en sont venus à accepter qu’une grandepartie de leur population vive la plante des pieds fermement plantée sur le solfrançais, mais le coeur battant au rythme d’une autre nation, beaucoup enIsraël continuent de trouver le phénomène déconcertant - particulièrement à lalumière des incidents antisémites latents un peu partout dans le monde.
Plus une terre de refuge mais une terre d’accueil

Les appels à l’aliya n’ontpas tardé à se faire entendre dans la foulée des meurtres de Toulouse, Israëlfaisant immédiatement figure de lieu de refuge contre le danger mortel quimenace les Juifs français.

Parfait, à cela près que les Juifs français rejettent cette idée.
“Je n’accepte pas l’idée que les Juifs ne sont pas en sécurité ici [en France],”a déclaré Richard Prasquier, président du CRIF. Ces politiciens israéliens quiappellent aujourd’hui à l’aliya ne connaissent simplement pas notre pays.”
Les statistiques sont en faveur de Prasquier. Treize Juifs ont été tués dansdes attaques antisémites perpétrées dans son pays dans les 67 ans qui ont suivila Seconde Guerre mondiale. Jusqu’à il y a deux semaines, le nombre s’élevait à9. Chaque mort, bien évidemment, est une tragédie en soi, mais elle ne masquepas le fait que bien plus de Juifs français ont été tués en Israël en raison dela guerre et du terrorisme. Dire qu’il est plus sûr aujourd’hui pour un Juif devivre dans l’Etat juif qu’en Franceest faire fi de ce simple fait. Ainsi, ceux d’entre nous qui voudraient voirune plus grande aliya de Francedevraient donner aux candidats une meilleure raison de vivre ici que la peur demourir là-bas.
Et il y a en a beaucoup. Je me limiterais ici à quelques arguments saisonniers.Le printemps est dans l’air. Sur mon chemin de la synagogue Shabbat dernier, jeremarque les nouveaux bourgeons sur mon figuier, les fleurs sauvages quitapissent les terrains vagues de la ville, les bennes à ordures qui débordent -signe ostentatoire que le nettoyage de Pessah a commencé pour de bon. Lesjournaux de fin de semaine vantent une grande variété de produits ménagersincontournables pour une digne préparation à la fête. Et les publicités pourtous les biens de consommation imaginables tournent autour d’un thème aussifamilier que la Haggada.
Exemple : Le fils sage, où achète-t-il ? A ce propos, tous les supermarchés etépiceries du coin se cashérisent en l’honneur de la fête, Pessah ici, c’est uneaffaire communautaire qui, plutôt que de nous démarquer de nos voisins,collègues et amis, nous lie à eux d’une manière presque mystique. Pour 90 % desJuifs de ce pays, participer à un Seder de Pessah est primordial. Et je suisconvaincu que bon nombre des 10 % restants n’en sont pas moins traînés par uncoreligionnaire à cette soirée si unique.
“Ne venez pas vous installer ici, alors”, dis-je, “en raison de la peur ou del’insécurité que vous éprouvez là-bas, mais plutôt en raison de ce sentimentd’appartenance aussi évident qu’inexplicable qui vous inondera ici.” Et cettesensation, aucun d’entre nous ne doit la prendre pour acquis.
Alors, la semaine prochaine, lorsque vous entonnerez “L’an prochain àJérusalem” à la fin du Seder, marquez une pause et réfléchissez à ce que cesmots signifient pour vous, où que vous soyez. Et rappelez-vous que même dans cevillage planétaire que nous habitons tous, ce petit chez soi vaut mieux que cegrand chez les autres.