Aloumim, 20 ans dédiés aux enfants cachés

L’Association israélienne des Enfants cachés en France pendant la Shoah a fêté son 20e anniversaire

aloumim (photo credit: ALOUMIM)
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(photo credit: ALOUMIM)

 

 «Aloumim est composé de 800 membres dans tout Israël, nous étions tous des enfants cachés ; bon, on est un peu vieux en ce moment », lance avec humour Dora Weinberger, membre du Comité directeur de l’association et responsable du projet éducatif sur l’enseignement de l’Histoire de la Shoah en France.

« Aloumim a eu, dès sa création, pour but de recueillir les témoignages des enfants cachés en France durant la Shoah et, qui, pendant 40 ou 50 ans, n’ont pas parlé », explique Weinberger. La première présidente de l’association, Rikva Avihail, est parvenue à saisir ces témoignages précieux, qu’elle a déposés à Yad Vashem et à la Fondation pour la mémoire de la Shoah en France. Aujourd’hui, les activités de l’association se sont diversifiées : « Nous avons un service d’aide médico-social qui, grâce au financement de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, soutient nos membres les plus démunis », explique Carole Roos, également très active au sein de l’association. « Cette année, le 8 avril nous avons célébré dans la maison d’enfants “Les Monts de Jérusalem” à Kiriat Yearim, le 20e anniversaire de notre association et les 100 ans de l’association française Œuvre de secours aux enfants juifs. De nombreux membres d’Aloumim étaient cachés par l’OSE, nous les avons donc naturellement associés à nos 20 ans », ajoute-t-elle. Chaque année, Aloumim commémore Yom Hashoah dans la forêt de Roglit « devant le monument où sont inscrits les noms des 76 000 membres de nos familles déportés de France, une manifestation à laquelle participent des écoliers israéliens », indique Carole Roos. « Pour beaucoup, c’est un peu le cimetière de leurs parents », affirme-t-elle justement.
« File petite, rentre à la maison »

 Des groupes de parole sont organisés à Jérusalem et à Tel-Aviv sous la supervision du Pr Feldman, psychothérapeute. « Ils parlent de leurs questionnements sur l’éducation et la transmission à leurs enfants, afin de ne pas tomber dans le silence », assure Carole Roos.

Dora Weinberger, née Weissmann, est elle-même une enfant cachée. Elle raconte. « Je suis née en 1931 en Allemagne. Nous avons été évacués en 1939 à Angoulême. La vie était alors quasi normale, mais en juin 1940, soudain tout a changé : la France a été occupée et Angoulême grouillait d’Allemands. L’angoisse était générale, elle se faisait ressentir dans chaque foyer juif. J’entends encore le martèlement des bottes noires des soldats », se souvient-elle. « Des mots nouveaux sont apparus : “tampon juif”, “liste”, “rafle”, “arrestation”et surtout un mot en yiddish “אַוועק לויפֿן” (avek loyfen) qui veut dire “s’enfuir” ».
Le 29 mai 1942, la 8e ordonnance fait porter l’étoile jaune à Dora. « Je le dis rarement, mais quand on me dit de tourner à gauche, je sens encore cette étoile jaune sur ma poitrine du côté gauche, comme point de repère », confie cette enfant de la Shoah.
 « Un jour je suis entrée dans une librairie, et j’ai vu un officier allemand qui ne parvenait pas à communiquer avec le commerçant français. Moi qui parlais couramment allemand, je suis intervenue, parce que je voulais leur rendre service sans doute. Un étonnement et un silence ont résonné des deux côtés. Le patron français m’a alors dit à voix basse “file petite, rentre à la maison”. C’était le jour même où de grandes rafles ont touché Angoulême. L’officier allemand m’a regardée, a vu mon étoile jaune, et m’a dit : “Merci petite, mais rentre à la maison, c’est une journée très dangereuse pour vous”. Je peux dire que cet officier allemand, au fond, m’a sauvée ».
 Le père de Dora organise la fuite de sa famille en zone libre. Les cheminots de la Résistance française, qui faisaient passer la ligne de démarcation aux Juifs, cachent Dora dans le réservoir d’eau d’une locomotive. Une longue traversée de 24 heures « dans l’eau nauséabonde, qui chauffait quand le train roulait, et arrivait presque jusqu’à la gorge », l’attend alors jusqu’à son arrivée à Lectoure dans le Gers, où elle rejoint sa famille.
 Son père, inscrit sur la liste des Juifs à déporter, est sauvé par l’archiprêtre Sentex, qui le cache durant huit jours dans le clocher de son église. « Après de nombreuses années, j’ai réussi à retrouver les traces de ce monsieur et de sa famille à Lectoure même. Je suis allée en France remettre la médaille des Justes au neveu de cet homme de foi. Sa petite-nièce est également venue en Israël et je l’ai rencontrée », peut-elle enfin affirmer après des décennies.
 L’itinéraire caché de cette enfant ne s’arrête pas là. Dora et sa jeune sœur sont à l’époque hébergées quelques mois dans un home d’enfants, dans le petit village d’Aspet en Haute-Garonne. « La direction de ce home savait que nous étions juives, mais il fallait se comporter comme tous les autres enfants : nous allions à la messe le dimanche, au catéchisme, nous vivions comme des petits Français catholiques. Je n’ai su seulement après la guerre que nous allions à la messe avec d’autres Juifs comme nous, qui n’en parlaient jamais, par peur ».
La mère de Dora retrouve ses filles en 1943, et la famille Weissmann lie, dès 1949, son histoire à la naissance du nouvel Etat juif.

Transmettre un héritage

 Aloumim a pour vocation de transmettre la Shoah vécue par ces enfants cachés, dont beaucoup sont venus en Israël lors de la création du pays. Retrouver les Justes qui ont sauvé les Juifs au péril de leur vie et honorer leur courage, est une mission cruciale pour l’association, qui organise des cérémonies d’attribution de la médaille des Justes à Yad Vashem, en présence des enfants cachés et de leurs sauveurs.

 Dora Weinberger explique : « Les Justes ne sont souvent plus des nôtres, et il est de plus en plus difficile, après 70 ans, de les retrouver, eux ou leur famille. Les gens oublient les noms, les endroits. J’ai retrouvé par Aloumim il y a un mois, un Juste de 90 ans qui se souvient très bien avoir sauvé deux enfants juifs dans un petit village en France. Mais ça, c’est rare », regrette-t-elle. « Il y a plus de 23 000 Justes parmi les Nations qui ont été reconnus par Yad Vashem dans le monde, dont plus de 3 000 en France. Et croyez-moi, il y a encore énormément d’anonymes qui nous ont sauvés, nous, enfants cachés », souligne-t-elle.
Aloumim met également en œuvre un projet pédagogique, proposé par Simone Veil par le biais de la Fondation pour la mémoire de la Shoah de Paris, et en partenariat avec Yad Vashem. « Ce projet est unique en son genre et a un impact extrêmement important auprès des enseignants et des élèves israéliens », explique Dora qui tient à faire partager le parcours des enfants cachés, et rappeler que « les deux tiers des Juifs de France ont pu survivre grâce aux Justes et aux réseaux de sauvetage juifs et non juifs ». Et le résultat de ce programme est estimable : « La troisième génération de survivants correspond à la vocation d’Aloumim, et ces élèves, qui sont confrontés pour la première fois au sort tragique des Juifs de France et en particulier à celui des enfants cachés, se mettent au travail avec une certaine appréhension, qui devient par la suite une véritable motivation ». Une motivation qu’Aloumim a su nourrir avec énergie et dignité depuis 20 ans.