Europe Israël/Union européenne : je t’aime, moi non plus ?

Martin Schulz, président du Parlement européen s’est rendu les 11 et 12 février à Jérusalem. L’occasion de faire le point sur les relations israélo-européennes qui s’avèrent, plus que jamais, tendues

Martin Schulz et Youli Edelstein (photo credit: MILKA KAHN)
Martin Schulz et Youli Edelstein
(photo credit: MILKA KAHN)

Le président du Parlement européen était en visite au Proche-Orient la semaine dernière. Après deux jours en Jordanie et à Ramallah, il a été reçu par son homologue à la Knesset Youli Edelstein. Il a adressé son discours à un hémicycle comble, aux rangs desquels on comptait Binyamin Netanyahou, Tzipi Livni ou encore Naftali Bennett.

Une discorde parlementaire
Schulz, qui s’exprimait dans la langue de Goethe, a remercié l’Assemblée de l’autoriser à parler dans sa langue maternelle, « bien qu’il ne soit pas évident d’entendre parler allemand dans ce lieu », a-t-il admis. Après avoir longuement évoqué la Shoah, période qu’il n’a pas connue [N.D.L.R. il est né en 1955] mais qui a, dit-il, « forgé sa volonté de faire de la politique et de prendre ses responsabilités au nom de son pays », il a réaffirmé le soutien européen sans faille à l’Etat d’Israël et l’absence de boycott à l’encontre du pays.
Fidèle à la position classiquement défendue par l’Union européenne (UE), il a soutenu « une solution négociée à deux Etats » affirmant que « les Palestiniens souhaitent vivre en paix et bénéficier de la liberté de circulation. Ils ont, eux aussi, droit à la justice et à la définition d’une identité propre. »
Mais, là où le bât blesse, c’est quand, pour illustrer ses propos, Schulz a déclaré qu’« un Israélien consomme 70 litres d’eau par jour contre 17 pour un Palestinien ». Une information, rapportée par un adolescent palestinien lors de sa visite à Ramallah, dont il avoue lui-même qu’elle est sujette à caution. « Je n’ai pas vérifié les chiffres », admet-il. « Je vous demande de me dire s’ils sont corrects ».
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Rejetant vigoureusement cette accusation, le Premier ministre Netanyahou a affirmé que les Européens feraient mieux de s’assurer des faits avant d’émettre des critiques contre Israël. « Selon les statistiques que nous recevons de l’Autorité palestinienne, y compris de l’Office des eaux palestinien, la différence est nettement moins importante », a-t-il affirmé aux députés de la Knesset. « Cette erreur est ce j’appelle une “écoute sélective” qui malheureusement est devenue la marque de fabrique de beaucoup d’Européens », a-t-il ajouté.
Le président du Parlement européen a également évoqué le blocus de Gaza. « Le blocus conduit les gens au désespoir qui, à son tour, est exploité par les extrémistes. Le blocus peut en fait nuire, plutôt que renforcer la sécurité d’Israël », a-t-il déclaré. Des paroles qui ont provoqué un véritable tollé parmi les membres de HaBayit Hayehoudi qui ont ostensiblement quitté l’enceinte du Parlement.
« Les propos qui ont été tenus aujourd’hui à la Knesset sont gravissimes. Le président du Parlement européen a énoncé deux mensonges régulièrement entretenus par les Palestiniens. Se taire face à une telle propagande mensongère offre une légitimité aux détracteurs d’Israël », a déclaré Naftali Bennett, leader du parti sioniste religieux et ministre de l’Economie.
Le discours de Martin Schulz et les réactions qu’il a suscitées sont symptomatiques des relations qu’entretiennent Israël et l’Union européenne, faites de fantasmes et d’incompréhension mutuelle. D’un côté, des dirigeants européens cédant trop souvent à l’appel de la facilité, préférant n’entendre qu’un seul son de cloche au détriment de l’objectivité. Une vision réductrice dans laquelle le « bourreau » aurait toujours tort et sa « victime » toujours raison. De l’autre, des Israéliens à fleur de peau face aux critiques de Bruxelles.
Et pourtant, le passé et l’avenir de ces deux entités sont intimement liés.
Le compromis forcé d’« Horizon 2020 »
L’Union européenne est, de loin, le premier partenaire commercial d’Israël. Elle représente une part de 32 % des exportations israéliennes (contre 11 % pour la Chine et 9 % pour les Etats-Unis) et de 33 % de ses importations (contre 13 % pour les Etats-Unis et 10 % pour la Chine), d’après les chiffres pour 2012 de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Quant à Israël, il constitue une véritable manne scientifique pour l’Europe, comme s’est plu à le rappeler Martin Schulz. La « start-up nation » est, en effet, le seul Etat non européen avec la Turquie à faire partie du prestigieux programme « Horizon 2020 », nouveau programme de financement de la recherche et de l’innovation de l’Union européenne pour la période 2014-2020.
Une participation, dans un premier temps, fortement compromise par l’adoption, le 19 juillet dernier, de lignes directrices de l’Union européenne interdisant, à compter du 1er janvier 2014, tout transfert de fonds publics européens à destination des institutions israéliennes situées au-delà de la Ligne verte ou entretenant des liens avec les implantations. Le texte prévoit également que tout futur accord entre Israël et l’UE devra inclure une « clause de territorialité » indiquant que les implantations situées en Judée-Samarie, à Jérusalem-Est et dans le Golan ne font pas partie de l’Etat d’Israël.
Netanyahou avait, à l’époque, menacé de se retirer du programme. Mais, face à l’importance des enjeux économiques et technologiques, Bibi a dû se résoudre à accepter. Après plusieurs mois d’intenses négociations, Israël a finalement accepté de se plier, fin novembre, au « diktat » européen.
Les 78 milliards d’euros de dotation d’« Horizon 2020 » (dont 1,4 milliard d’euros devant bénéficier directement à Israël sur 7 ans) ont certainement pesé dans la balance. Seule concession obtenue : Israël pourra faire figurer en annexe un texte indiquant qu’il ne reconnaît pas les nouvelles lignes directrices.
Comment expliquer la décision européenne ? Quelles fins vise-t-elle ? La principale raison réside dans l’effort soutenu de l’UE – répondant à des critiques récurrentes – de rendre sa politique vis-à-vis d’Israël plus en adéquation avec les normes politiques qu’elle soutient. Ces normes portent principalement sur la promotion de la solution de deux Etats, passant par la création d’un Etat palestinien, et de Jérusalem comme capitale de ces deux Etats.
Il est intéressant de noter qu’Israël est le seul Etat tiers à s’être vu imposer une telle clause territoriale dans un accord avec l’Union européenne. Pourrait-on vraisemblablement envisager que Bruxelles décide un jour de subordonner ses futurs accords commerciaux avec la Chine à la reconnaissance par cette dernière du Tibet comme Etat souverain ? Rien de moins sûr…
L’Europe y voit-elle une manière d’influencer les acteurs du conflit israélo-palestinien dans un sens conforme à ses préférences ? L’UE devrait en tout cas se rappeler qu’elle ne peut agir uniquement par la contrainte dans ses relations avec Israël. Elle doit aussi jouer la carte de l’attractivité, au risque de perdre, à terme, tout levier d’influence dans la région.
Alors que sa décision va dans le sens d’une dégradation des relations israélo-européennes, il serait stratégiquement opportun d’accompagner ces nouvelles mesures contraignantes de signes d’ouverture dans d’autres domaines de leurs relations. 
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