Le jour d’après

L’opération « Pilier de défense » a pris fin et la vie a repris ses droits. Retour sur le stress post-traumatique et les méthodes pour le soigner.

121212JFR12 521 (photo credit: Reuters)
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(photo credit: Reuters)
Il ne faut que quelques secondes, parfois, pour forger l’admiration. Le sentiment est immédiat en écoutant le professeur Danny Broom, fondateur du Centre israélien pour le traitement des psychotraumatismes (CITP).
Originaire des Pays-Bas, il monte en Israël, il y a plus de 20 ans. Déjà spécialiste des soins post-traumatiques, il pense, « naïvement », sourit-il aujourd’hui, qu’il pourra mener une autre activité en Terre sainte puisque les Israéliens devraient être, selon une funeste logique, des experts en la matière : selon les estimations, 9 % des habitants présentent un syndrome de stress post-traumatique (SSPT).
Quelle n’est pas alors sa surprise de découvrir la faiblesse des prises en charge proposées. « En Israël, on ne réagit que dans l’urgence aux évènements traumatisants, au cas par cas, sans vue d’ensemble », pointe-t-il. Et d’analyser : « Il me semble que la réalité israélienne est tellement chargée de traumatismes que les habitants de l’Etat juif ne s’en aperçoivent plus. Et parce que c’est ‘normal’, on ne distingue pas les comportements traumatisés des autres ».
Mais la tension est bien là, palpable, selon le médecin, sur la route, où les comportements violents sont légion, à travers la criminalité qui grimpe en flèche, les opinions politiques qui se radicalisent… Pour contrer ces phénomènes, le CITP a lancé une série de programmes visant à soulager la population : centre d’accueil et de soutien pour les parents de Sderot, prise en charge d’unités de soldats combattants après la démobilisation, mission auprès de la communauté éthiopienne… La peur de la peur Récemment, l’équipe s’est mobilisée pour répondre aux besoins des habitants du Sud. Pendant l’opération « Pilier de défense », la WIZO (Organisation mondiale des femmes sionistes) a redirigé sa hotline, destinée habituellement à répondre aux parents sur des questions d’éducation, vers le centre, afin d’en faire un numéro d’urgence. Une centaine d’appels ont été gérés pendant 10 jours.
La plate-forme a fourni des réponses pratiques aux problèmes rencontrés par les parents pendant cette intense période de stress : à qui s’adresser pour partir dans le Nord le temps de l’offensive ? Comment obtenir du lait en poudre alors que les sirènes résonnent les unes après les autres ? Mais aussi une écoute émotionnelle pour les parents. Broom cite quelques questions récurrentes : « Mon enfant vomit à chaque alarme, que faire ? », ou « Je tremble de partout, j’ai peur, je ne veux pas que mon fils me voie ainsi ».
Avec émotion, il se rappelle particulièrement de cette jeune maman, paniquée : « Mon enfant a tellement peur, je crains qu’il ne lui en reste des séquelles, il pleure si fort, aidezmoi ! ». Par son écoute, le médecin a pu rappeler à la mère que la peur de son petit était tout à fait normale et même saine, qu’il fallait tout simplement l’apaiser en le prenant dans ses bras. La jeune femme s’est alors aperçue qu’elle tremblait elle-même si fort qu’elle n’y avait tout simplement pas pensé.
La panique, explique Broom, brouille le système émotionnel et ébranle les réactions les plus naturelles. En la rassurant, « j’ai pu la faire revenir à elle-même. Elle a pu de nouveau faire confiance à son instinct maternel. Et, à la fin de la conversation, ses tremblements avaient diminué de moitié ».
« La peur de la peur », continue le professeur, est un des syndromes les plus courants suite à une expérience traumatisante. Le sentiment de désarroi est si fort qu’il empêche de réagir « normalement » à la situation et d’effectuer les gestes les plus simples pour se calmer.
Les filles souffrent en silence 
L’autre difficulté, pointe Broom, est de continuer le suivi, une fois le pic du trauma passé. Le centre a formé plusieurs milliers d’enseignants depuis le début des années 2000 pour aider les enfants après des évènements violents.
Mais les initiatives sont souvent le fait des autorités locales et manquent de coordination au plan national, dit celui qui tient malgré tout à saluer le travail du ministère de l’Education. Les comportements post-traumatiques, explique-t-il, surgissent souvent quelques jours après les évènements.
Schématiquement, les garçons seront davantage dans le passage à l’acte : comportements violents, turbulences… Autant d’attitudes qui perturbent le déroulement des cours et poussent les professeurs à recommander un suivi. Tandis que les filles sont généralement plus discrètes et « souffrent en silence ». Ces enfants qui cherchent donc à « n’embêter personne » vont avoir tendance à tromper la vigilance du personnel éducatif et à rester traumatisés.
Chez les adultes, le centre propose depuis plusieurs années des programmes d’accompagnement aux unités combattantes lors du « retour à la vie civile ». Ici encore, Broom souligne les étonnements qu’une telle démarche a suscités dans une société israélienne où chaque génération a eu sa guerre, voire plusieurs. « On n’a jamais fait ça », lui dit-on souvent.
Et les traumas de ressurgir des dizaines d’années plus tard, comme en témoigne par exemple la série de films sortis à la fin des années 2000 sur le conflit israélo-libanais (Beaufort, Valse avec Bashir, Lebanon….). Les réservistes, eux, ne bénéficient pas encore de telles structures dans les services de Broom. On peut dès lors s’inquiéter de l’effet sur ces hommes, contraints, souvent du jour au lendemain comme lors de « Pilier de défense », d’abandonner foyers, femmes et enfants le temps d’une offensive et d’ensuite revenir à leurs existences (presque) comme si de rien n’était. Résilients, les Israéliens ? Peut-être tout simplement dans le déni… Etendre les soins Les nombreux travaux menés dans le domaine du post-trauma ont donné naissance à des techniques thérapeutiques qui se répandent au-delà de ce registre particulier de soins. La plus connue : l’EMDR (initiales en anglais pour Désensibilisation et Reprogrammation par Mouvement des Yeux). Née aux Etats-Unis pour tenter de soulager les vétérans du Viêt-Nam, son postulat de départ est que le cerveau se montre parfois incapable de s’approprier un évènement traumatisant, c’està- dire d’évacuer la charge émotionnelle qui y est associée afin de le ranger dans la mémoire, comme appartenant au passé.
Les soins, constitués de mouvements oculaires rapides et autres tapotements, visent à débloquer cette cristallisation.
L’EFT (ou en français Technique de Liberté émotionnelle), également venue d’Outre-Atlantique, propose une approche complémentaire. La technique consiste à stimuler des points méridiens, répertoriés sur le corps par la médecine chinoise, pour soigner certaines énergies perturbées. Qualifiée par certains de « pseudoscience », pour ses pourfendeurs, l’EFT permet de soulager rapidement anxiété et sentiments négatifs.
Ce que confirme Laurence Bernheim, thérapeute française installée à Jérusalem depuis un an. Elle intègre ces deux approches dans son travail, ou encore l’hypnose « lorsque le trauma est inconscient » et soigne avec succès des patients qui la sollicitent pour un large éventail de troubles émotionnels : difficultés sociales, conjugales, phobies… Ora Golan, médecin et kinésithérapeute qui développe sa méthode depuis 20 ans, d’abord aux Etats-Unis puis au nord d’Israël au kibboutz Nahsholim, et a créé des centres portant son nom, compare le système émotionnel au système immunitaire. C’est une structure qui doit constamment identifier les évènements et y réagir, sans relâche.
Parfois la machine se grippe et naît le blocage qui pourra être à l’origine d’une foule de symptômes handicapants et inhibants pour le sujet. Exactement comme une maladie… La technique, basée sur le toucher, se propose de nettoyer le système en quelques séances afin de libérer le sujet du poids émotionnel qui l’encombre. Après l’offensive militaire, le centre, qui assure des dizaines de traitements par jour, a vu affluer les patients de tout le pays. Preuve peut-être que, contrairement aux habitudes israéliennes, la politique de l’autruche a ses limites.
Vous avez dit résilience ? 
Le concept de résilience est introduit en psychologie dans les années 1950. Il renvoie à l’idée de résistance aux chocs. Popularisée en France par le psychiatre Boris Cyrulnik, la résilience est l’atout de ceux qui s’en sortent mieux que d’autres après un traumatisme : meilleure capacité de récupération et de rebondissement après un évènement choquant, aptitude à dépasser une enfance douloureuse ou précaire pour gravir les échelons de la société, fonder une famille… Plus couramment, on qualifiera de « résilients » les pays, communautés ou individus qui ne se laissent pas abattre par les coups du sort. Les soins administrés aux victimes de traumas visent à favoriser la résilience et à éviter, autant que faire se peut, un syndrome de stress post-traumatique.