“Le plus grand délinquant sexuel de l’histoire d’Israël”

Les habitants de Nahlaot tentent de se reconstruire après la pire affaire de pédophilie de l’histoire du pays. Plus de 100 enfants sont concernés et au moins trois des dix suspects sont toujours en liberté

le plus grand delinquant sexuel (photo credit: photo illustrative/Reuters)
le plus grand delinquant sexuel
(photo credit: photo illustrative/Reuters)

La communauté haredi du quartier Nahlaot, dans la capitale,appelle cela “l’holocauste”. Au moins dix pédophiles ont molesté plus d’unecentaine d’enfants, six années durant. Un drame qui a touché presque toutes lesfamilles de cette petite communauté très soudée.

Chaque fois qu’elle devait sortir, ses deux fils devenaient hystériques etl’imploraient de ne pas les laisser seuls à la maison. Ils mordaient leursvêtements au point de les déchirer et entraient dans des colères incontrôlables.
Cette mère a consulté plusieurs médecins et psychologues pour comprendre ce quin’allait pas, mais aucun n’a été capable d’établir un diagnostic.
Peu à peu, les médecins du quartier ont commencé à remarquer, sur de nombreuxenfants, des marques étranges qui évoquaient des abus sexuels. Puis un petitgarçon est venu un jour en consultation avec des blessures qui ne laissaientaucune place au doute : il avait subi des sévices sexuels. C’est lui qui abrisé le silence et raconté pour la première fois ce qui se passait. Leshabitants du quartier qualifient cela de miracle.
Rivka, une mère de famille de Nahlaot, déambule à travers les cours désertes duquartier haredi de Batei Broyde, en compagnie d’un journaliste du JerusalemPost.
Elle parle de l’effet dévastateur des pédophiles sur la zone, tant sur lapartie haredi de Batei Broyde que là où la population est plus diversifiée, oùelle habite. “C’est comme un petit shtetl en plein coeur de Jérusalem”,dit-elle. “La population qui la constitue est composée des gens les plussaints, les plus bienveillants, les meilleurs, de ceux qui consacrent touteleur vie à la Torah. Et tout à coup, c’est comme s’il le quartier n’était riend’autre que l’épicentre du plus grand réseau de pédophilie de toute l’histoired’Israël. Les habitants ne sont ni des avocats ni des hommes politiques, et ilsse retrouvent dans une situation face à laquelle ils sont totalement démunis.”
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Les longues enfilades de maisons de Batei Broyde ont plus de cent anset constituent l’un des premiers quartiers de Jérusalem construits en dehors dela Vieille Ville.

C’est là que des milliers de touristes viennent chaque année humer l’atmosphèrepittoresque d’un monde disparu et admirer les ravissantes arcades de pierres, àquelques pas du centre-ville animé et bruyant.
“Si vous allez de maison en maison, vous verrez que toutes les familles oupresque sont touchées par le phénomène”, explique Rivka.
Selon une mère haredi de Batei Broyde, qui a souhaité conserver l’anonymat, sixfoyers ont déjà quitté le quartier à cause du scandale. Et “dans une zone oùchaque famille compte de sept à quatorze enfants, ce type de départ laisse ungrand vide dans la communauté”, commente-t-elle.
Au sein de l’une de ces familles qui a fait le choix de déménager, chacun desdix enfants a subi des abus sexuels. “Les pédophiles recrutaient desbaby-sitters et les menaçaient. Certaines ont même été agressées sexuellementpendant des années”, affirme Rivka. “Leurs bourreaux leur intimaient : ‘Tu asintérêt à nous amener les enfants que tu gardes, sinon, on sait où est tachambre, on sait à quel moment tes parents sortent et on viendra te tuer.’”Selon Rivka, S., l’homme qu’elle soupçonne être à la tête du réseau depédophilie, recrutait des hommes plus âgés, souffrant de troubles mentaux ouconsidérés comme marginaux dans la communauté. Des hommes que l’on estimaitinoffensifs et que les parents des enfants agressés invitaient parfois pourShabbat. S. utilisait ces hommes pour menacer les enfants qui revenaient del’école et lesforcer à monter dans les appartements où sévissaient lespédophiles. Certains des suspects avaient obtenu des doubles de clés etconnaissaient l’emploi du temps des parents, de sorte qu’ils savaient quand lesappartements étaient vides.
En juillet 2011, les membres de la communauté ont commencé à porter plainteauprès de la police. Bientôt, il est apparu que l’on avait affaire à l’un despires scandales de l’histoire du pays en matière de pédophilie.
Toujours en liberté

Aujourd’hui, plus de 80 enfants ont officiellement déposéplainte, mais d’après les témoignages, ils seraient au moins 110 à avoir étéaffectés. Six hommes ont été arrêtés au cours de l’été, mais trois n’ont puêtre inculpés, faute de preuves. Seuls Binyamin Satz, Bentzion Primishelanu etZalman Cohen se retrouvent aujourd’hui sous les verrous ; ils resterontincarcérés jusqu’à la fin de la procédure judiciaire. Les trois autres, dontS., considéré dans le quartier comme le chef d’orchestre du réseau, n’ont subique quelques semaines d’emprisonnement avant d’être relâchés par manque depreuves.

Le 8 janvier dernier, trois nouveaux suspects ont été interpellés. L’un d’eux aété envoyé en hôpital psychiatrique, les deux autres ont fait l’objet d’uneordonnance restrictive et contraints de quitter Jérusalem pendant deux mois. Undixième homme, sur lequel la police enquêtait, a été retrouvé mort à sondomicile fin décembre. Un décès que la police a qualifié de suicide.
Rivka est restée dans son appartement. Et pourtant.
C’est chez elle, entre autres, que les pédophiles tournaient des films avec lesenfants avant de les visionner avec leurs jeunes victimes.
Les membres de la commission parlementaire pour les droits de l’enfant, dirigéepar le député Zevoulon Orlev (Habaït Hayehoudi), se sont rendus à Nahlaot à lafin du mois dernier pour témoigner de leur solidarité aux familles. Lacommission a également tenu une réunion spéciale sur le sujet, à l’initiatived’Ouri Maklev (Judaïsme unifié de la Torah), vers qui les résidents se sonttournés, dépités de voir que l’enquête de police piétinait. “La polices’intéresse au passé”, a déclaré ce dernier dans un communiqué. “Nous, nousnous occupons du présent, et de la vie quotidienne qui reprend dans lequartier.” Après ces longues années de silence, les habitants veulent panserleurs blessures, mais pour les enfants et leurs parents, il est terrifiant desavoir qu’au moins trois des pédophiles sont toujours en liberté. Continuent àvivre dans le quartier et à menacer les familles qui ont souffert de leursagissements.
“Il vit parmi nous”

La police a insisté sur les difficultés à recueillir lestémoignages des enfants. En demandant à leur fils ou à leur fille si telle outelle personne leur avait fait du mal, des parents inquiets ont pu fausserl’enquête, risquant de rendre le témoignage de l’enfant irrecevable devant letribunal. De même, promettre à son enfant un bonbon au terme de trois heuresexténuantes d’interrogatoire s’apparente à de la subornation de témoin etdisqualifie le témoignage.

“Le bureau du Procureur de l’Etat a déclaré que les parents ont annihilé letravail des enquêteurs”, déplore le porte-parole de la police de Jérusalem,Shmouel Ben- Ruby, qui précise que les familles ne sont venues trouver lapolice qu’après avoir mené elles-mêmes leur petite enquête informelle. “C’estle prix que les parents et leurs enfants paient aujourd’hui, le prix dusilence. J’ai de la peine pour ces malheureux enfants, qui ont souffert pendantdes années parce que certains parents ont préféré se taire, étouffer l’affaire,ne s’adresser qu’aux rabbins et tenter de gérer le problème tout seuls.”
Les parents, de leur côté, protestent : selon eux, la police ne leur a jamaisfourni ces informations. Personne ne leur a demandé d’arrêter de parler auxenfants, ni expliqué comment aborder le problème avec eux. “C’est le travail dela police de protéger les habitants”, déclare le rabbin Aaron Leibowitz, chefd’une des communautés de Nahlaot. “Peut-être aurions-nous pu mieux faire, maisaujourd’hui, la police bénéficie de la coopération de tous.
Chercher à rejeter le blâme sur les victimes représente un profond manque derespect envers une communauté très durement éprouvée. Comme l’a dit Ouri Maklevlors de la réunion de la commission, ce n’est pas que les familles haredi nesavaient pas ce qui se passait, mais elles ne comprenaient pas comment detelles choses pouvaient continuer.”
Non seulement les pédophiles circulent toujours en liberté dans le quartier,mais ils viennent aujourd’hui encore menacer les familles qui ont portéplainte. L’un d’eux a menacé Rivka de mort alors qu’elle se promenait avec sesenfants la semaine dernière. D’autres parents, qui mènent le combat auprès dupublic à travers les médias ou des blogs, ont également essuyé des menaces.
“S. est le pire délinquant sexuel de l’histoire d’Israël”, s’indigne Rivka. “Ila orchestré le viol systématique de plus de cent enfants, et il vittranquillement parmi nous.
Pouvez-vous imaginer à quel point c’est terrifiant pour les habitants ?”

Quelques lueurs d’espoir

Les services sociaux se sont démenés pour proposer unethérapie à plus de cent enfants de familles démunies. Des familles qui avaientdéjà du mal à joindre les deux bouts avant l’affaire, se voient aujourd’huicontraintes de faire suivre cinq ou six de leurs enfants par un psychologue,soit l’équivalent de plus de 1 000 shekels par semaine.

“Les enfants se retrouvent confinés dans les maisons, alors que ce sont lescoupables qui devraient être enfermés”, s’indigne Rivka en désignant lesjardins vides.
“Ici, les gens élèvent dix enfants dans des deux-pièces, et ils n’ont même plusle droit de sortir de chez eux.”
“Cela a été terrible pour nous”, poursuit-elle. “Quand la chose a commencé à sesavoir, nous étions catastrophés.
Nous avons entamé un véritable processus de deuil pour ce quartier que nousaimions, pour cette illusion de pureté et de bonté que nous avions ici. Nousétions ravis d’élever nos enfants dans ce magnifique village au coeur de laville, et tout à coup, c’était comme si nous recevions un seau d’eau glacé surla tête !” Quelques lueurs d’espoir éclairent toutefois cette lutte que mène lacommunauté. Sara Mannheim, professeur de dessin à Nahlaot, a mis sur pied unethérapie par l’art pour les femmes haredi du quartier. Elle superviseactuellement une grande fresque murale représentant les Sept Espèces, surlaquelle les mères de famille travaillent par groupes de six. “Les Sept Espècessymbolisent ce qu’il y a de plus précieux, et ce qu’il y a de plus précieux pournous, ce sont nos enfants”, explique-t-elle. La première chose qui sera achevéesur cette fresque sera le ciel dominant la Jérusalem reconstruite. “Ce ciel estplein de lumière et d’espoir pour l’avenir, c’est le message que nous voulonsfaire passer”, précise-t-elle.
Sara Mannheim tente aussi d’organiser des activités pour les enfants - thérapiepar l’art, psychodrame, percussions, natation _, chose qu’aucun des parents duquartier ne peut offrir à sa progéniture, mais qui peut aider les enfants àretrouver confiance en eux et indépendance.
Elle travaille également sur un projet d’excursions de deux jours et depsychodrame pour les mères.
“Les parents savent qu’ils doivent être forts pour leurs enfants”, dit-elle.“Nous sommes obligés de garder l’espoir, d’autant que tout le monde affirme icique ce drame laissera des séquelles à vie... L’espoir fait partie de la culturejuive.”