Les impunis

Des forfaitures nazies à l’affaire Al Dura, deux ouvrages abordent la complicité avec le crime et pointent du doigt une justice qui traîne des pieds

impunis (photo credit: DR)
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(photo credit: DR)

 

 C’est sur un quai de métro parisien, le 11 mai 1960, le jour même du rapt d’Eichmann par les services secrets israéliens, que Serge Klarsfeld rencontre Beate qui deviendra sa femme et son compagnon de lutte. La rencontre de ces deux personnalités hors du commun, la fusion de deux destins scellera une guerre sans merci contre les criminels nazis. Nul doute que le scandaleux pardon aurait été pire sans leurs coups d’éclats. Sans leur détermination indéfectible, l’amnésie aurait triomphé. Mais nombre d’actions ne seront que symboliques et les peines souvent dérisoires. Le procès de Nuremberg, puis le procès Eichmann ont largement occulté l’impunité dont les criminels ont bénéficié. Par « complicité, laxisme ou petits arrangements entre notables, sous couvert de vice de procédure, santé déficiente ou d’autres arabesques oratoires fallacieuses, ils ont bel et bien coulé des jours paisibles ».

L’ouvrage, La traque des criminels nazis, présenté par Serge Klarsfeld, qui nous livre le récit de sa traque opiniâtre des criminels nazis, suivi des articles de L’Express de Beate Klarsfeld, Raymond Aron, Jacques Derogy, Eric Conan et Fred Kupferman, rassemblés dans l’ouvrage, contribue à faire tomber le mythe que justice a été faite.
 La falsification des livres d’Histoire de France, commise par de cyniques enseignants qui voulaient tailler à l’Hexagone un beau rôle dans la plus sombre partie de son Histoire, et celle opérée aujourd’hui dans ce sillage nauséabond pour servir, sous des prétextes fallacieux, les mercenaires d’une autre idéologie mortifère, la doxa et de nouvelles idoles cathodiques, témoignent de la même volonté d’écrire l’Histoire dans le sens du poil révisionniste, où des omissions coupables tiennent la dragée haute à la vérité. La France, qui n’a pas à ce jour fait la pleine lumière sur son passé peu glorieux, peut-elle s’offrir le luxe de sombrer dans les mailles retorses d’une affaire Al Dura sans mettre un point d’honneur à se mettre au service de la seule vérité ?

Combattre l’Histoire révisée

 C’est là qu’entre en scène l’ouvrage de Samuel Nili, L’Affaire Al Dura ou Du bon usage de l’indignation. Seule une époque incapable de faire face à ses crimes a pu produire cette nouvelle affaire Dreyfus contemporaine. Sur le banc de l’accusé, l’Etat d’Israël et son armée durablement salie par des imputations diffamatoires et dans le rôle de Zola, Philippe Karsenty. L’affaire Al Dura et plus généralement ces fictions médiatiques bien ficelées travesties en documents vérité, appelés à tort « témoignages », semblent jouir des faveurs de l’Histoire et de prestigieuses solidarités. Dans Le Nouvel Observateur, 4 000 pétitionnaires, journalistes, intellectuels, politiques ou simples citoyens, sans jamais argumenter leur prise de position, ont exprimé leur soutien au journaliste de France 2, Charles Enderlin, et rappelé les mérites « d’un journaliste connu pour le sérieux et la rigueur de son travail ».

 En 30 pages de format 10x18, Samuel Nili démontre qu’il a démérité cette réputation. Nili évite le piège des interprétations qui sacrifient la vérité sur l’autel d’un narratif partisan et, ce faisant, il met à jour les contradictions de l’accusation et sa volonté évidente de travestir la réalité. Son analyse rationnelle privilégie les faits et les dires puisés dans les documents principalement de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 21 mai 2008, et du rapport technique rédigé par Jean-Claude Schlinger, expert en armes et munitions et agréé par la cour de cassation, qui conclura ainsi : « Les tirs ne pouvaient techniquement pas provenir du poste israélien, mais seulement du poste palestinien « PITA », ou de tireurs placés dans le même axe… Aucun élément objectif ne nous permet de conclure que l’enfant est mort et son père blessé dans les conditions qui ressortent du reportage de France 2. Il est donc sérieusement possible qu’il s’agisse d’une mise en scène ».

Au service de la justice

 Or, suite à la diffusion du reportage d’Enderlin, dont les images fomentées par son cameraman Talal Abu Rahmeh, seront annoncées comme celles d’« une mort en direct » sous le feu de l’armée de « l’entité sioniste », le journaliste Daniel Pearl a été décapité par des islamistes devant une image représentant le présupposé meurtre de Mohammed Al Dura. Deux réservistes égarés en territoires palestiniens ont été littéralement étripés et défenestrés. Simples dommages collatéraux d’une bavure médiatique reléguée aux oubliettes ? Charles Enderlin n’en n’a pas moins été décoré de la Légion d’honneur le 14 juillet 2009. Et la France s’offre en prime le luxe de donner des leçons de morales à Israël qui lutte contre le terrorisme.

Non exhaustif, pour ne pas lasser les potentiels indignés qui aiment à se tromper de cible, court, pour vite ébranler dans leurs certitudes ceux qui n’auront pas la patience d’en entendre davantage, bref, pour décocher au plus vite quelques droites inoubliables à ceux trop prompts à dénoncer d’une seule voix Israël, le Juif des Nations, bouc émissaire de choix de tous les maux du siècle, cet opus est à lire, diffuser, distribuer, offrir à tour de bras.
 Israël aura été le seul à tenir la promesse faite par les gouvernements alliés à Moscou en 1943, de « poursuivre les auteurs de crimes contre l’humanité jusqu’au bout de la terre ». La santé économique de l’Etat hébreu est sa meilleure revanche sur les nazis, Bousquet, Leguay, Papon, Touvier. Mais Israël sera-t-il blanchi des crimes qu’il n’a pas commis ? Les responsables de l’affaire Al Dura seront-ils traduits en justice un jour ? L’énormité, l’incommensurable et les mensonges passent d’autant plus inaperçus qu’ils sont de taille et profitent aux criminels et à leurs forfaitures, comme le rappelle très justement Klarsfeld. Après l’association des malfaiteurs du IIIe Reich en bande organisée et grâce à l’association des malfaiteurs médiatiques et leurs organes de propagande, la conspiration du silence a de la corne, la justice demeure muette et aveugle, et la vérité bafouée.
 « Tu instaureras des tribunaux ». Cette loi noahide ne semble pas démanger les citoyens du monde et leurs dirigeants, qui ont une fâcheuse tendance à oublier l’injonction biblique. Faire l’autruche est davantage dans leurs cordes. Il est bon d’avoir en mémoire les méandres de la traque des criminels nazis et l’amnésie des nations, pour que « l’avenir » ne soit pas, « un renvoi, un hoquet, une aigreur et parfois, un vomi du passé », comme le dit si bien l’écrivain Franz-Olivier Giesbert. Instruisons-nous et méditons pour commencer. Ensuite agissons sans relâche au service de la justice et de la vérité. Klarsfeld en est la preuve vivante, la tâche est rude et la partie n’est jamais gagnée.    

La traque des criminels nazis, présenté par Serge Klarsfeld, éditions Tallandier/L’Express

L’Affaire Al Dura ou Du bon usage de l’indignation, par Samuel Nili, éditions Tatamis