Nancy, ses jeunes et ses Justes

C’était leur première visite en Israël. Rencontre avec des lycéens nancéens, à l’occasion d’un voyage en hommage aux héros de leur ville

Nancy (photo credit: Nathalie Boehler)
Nancy
(photo credit: Nathalie Boehler)
Depuis 2001, les classes de Seconde, Première etTerminale du lycée Henri-Poincaré de Nancy organisent des actions menées sur lethème de la mémoire. Notamment par le biais de voyages scolaires en Polognedans les camps d’Auschwitz et de Majdanek. Mais pour la première fois cetteannée, grâce à la détermination de Patrick Fournié, nouveau proviseur del’établissement arrivé en septembre 2010, une autorisation exceptionnelle a étédonnée par le ministère de l’Éducation nationale pour que les classes puissentse rendre dans l’État hébreu. Au programme : la concrétisation d’un travaild’une année centré sur Janusz Korczak et le dépôt d’une gerbe de fleurs au pieddu mur des Justes à Yad Vashem.Sur les 25 inscrits au départ pour participer au voyage, seul un petit groupede 14 élèves se sont envolés vers Israël. Il a fallu attendre jusqu’au derniermoment le “feu vert” du ministère des Affaires étrangères, mais pour LubaKlejmann, professeur d’hébreu au lycée et l’une des organisatrices de ce séjour,le proviseur a dès le début donné son accord au projet et s’est montré“toujours très confiant”. Une seule condition a été néanmoins posée : trouverdes subventions. Malgré les nombreux dossiers montés, seule la mairie de Nancya répondu favorablement en contribuant en grande partie aux frais de ce voyage.Plus de 2 500 euros ont ainsi été débloqués grâce à l’édile de la ville AndréRossinot. Pour autant, le financement n’est pas encore bouclé etl’établissement fait appel à toutes les bonnes volontés pour combler ledéficit.Sur un total de 2 000 élèves, le lycée Henri-Poincaré accueille cette année 70élèves hébraïsants dont 10 % de Juifs et 5 Musulmans, répartis sur troisannées. Les jeunes de Seconde représentent près de la moitié des affectifs avecdeux classes de 15 élèves pour 2011-2012. A l’issue de la première année, 70 %des élèves continuent l’apprentissage de l’hébreu en Première.Pour certains élèves, choisir en option la langue hébraïque représente un moyend’intégrer ce lycée réputé. C’est le cas de Morganne, actuellement enTerminale. “Au début, j’ai choisi l’hébreu pour intégrer ‘PointK’ (surnomattribué par les élèves au lycée). C’est enrichissant. En plus des cours delangue, on découvre Israël au travers d’exposés par exemple”, confie-t-elle.Malgré les nombreuses demandes pour rentrer dans ce lycée prestigieux qui offreune option unique, un quota a été fixé à 30 élèves maximum en Seconde.Yad Vashem et l’histoire Pour la première fois, les élèves se sont donc rendusen Israël au lieu de l’habituel voyage en Pologne. Pour les élèves de Premièreet de Terminale, les sentiments sont partagés. Certains comme Axelle deTerminale estiment que le voyage en Pologne est comme “une continuité de cequ’on a fait avant. J’ai ressenti davantage dans un lieu où des gens ont marchéavant”, confie-t-elle. Pour Antoine en Première en revanche, il sembleraitqu’“on n’arrive pas à s’imaginer vraiment tant qu’on a pas eu accès auxtémoignages”.Le jeune homme semble avoir été plus touché par son expérience à Yad Vashem.C’est le 14 mars dans la matinée que les lycéens ont procédé au dépôt d’unegerbe de fleurs, déposée au pied du mur où sont inscrits les noms des Justes deFrance.Parmi les élèves vêtus d’un polo blanc frappé de l’écusson de leur école, toutspécialement créé pour l’occasion, 7 d’entre eux ont déposé 7 bougies. Unhommage aux sept policiers du service des étrangers : Édouard Vigneron,secrétaire principale de la Police, Pierre Marie, officier de Police adjointhonoraire qui en 1942 ont sauvé des Juifs de Nancy, avec l’aide deH.Lespinasse, E.Thiebaut, François Pinot, C. Thouron et Charles Bouy.Lors de la rafle du 18 juillet 1942, ces hommes du service des étrangerss’étaient mobilisés pour donner l’alerte à 385 Juifs qui devaient être arrêtéset déportés. Grâce à eux, seuls 32 Juifs seront finalement appréhendés et letrain prévu pour le transport de près de quatre centaines de Juifs, décommandé. Édouard Vigneron et son adjoint Pierre Marie connaissaient personnellement lesJuifs qui devaient être raflés. Ils les recevaient au commissariat pour larégularisation de leur situation, et tenaient leurs dossiers à jour.Lorsqu’il a appris que la rafle devait avoir lieu, Vigneron n’a pas tardé pas àse décider et à convoquer par téléphone au commissariat tous ceux qu’il a pujoindre.Pour Luba Klejmann, les Justes ont “agi spontanément sans penser auxconséquences”. Elle essaie du moins d’enseigner à ses élèves “qu’on ne peut passavoir ce qu’on aurait fait à leur place, car nous ne choisissons pas notreconduite”.Selon elle, “il faut naître avec ce don à l’intérieur”.ÉdouardVigneron sera finalement démasqué. Accusé par le gouvernement de Vichy, ila été démis de ses fonctions et incarcéré à Fresnes.En 1989, la médaille des Justes a été remise à ces 7 policiers.Vigneron la recevra à titre posthume par la police de Nancy. Pierre Marie estvenu la même année planter lui-même son arbre à Yad Vashem.Au cinéma aussi ces policiers ont été mis à l’honneur : en 2006 le réalisateurPatrick Volson a produit Le temps de la désobéissance, téléfilm qui s’inspirede faits survenus à Nancy en 1942 pour traiter du thème du dilemme entrel’obéissance ou la désobéissance face au gouvernement de Vichy.Soixante ans après les faits, les élèves qui ont visité le mémorial sont toushonorés et fiers de l’action des Justes de leur ville. Antoine, élève dePremière, conclut : “Derrière chaque nom, il existe une famille qui a réussi àsurvivre et qui ainsi a pu témoigner de son histoire”.L’école de la vie Au lycée Poincaré, la préparation au voyage s’est faite enétroite collaboration entre les professeurs d’hébreu, d’histoire et defrançais. Le cours d’hébreu a été organisé autour de la langue, del’apprentissage de l’alphabet et de bases historiques sur la dispersion desJuifs dans le monde.En histoire, les élèves ont abordé les sujets de la montée du nazisme et de laShoah en Europe, tandis qu’en cours de français, ils ont travaillé sur diversaspects d’une œuvre littéraire qui traitait de la Shoah.Mais, comme le rappelle Luba Klejmann, “le but du voyage n’était pas uniquementle souvenir de la Shoah, mais aussi la découverte d’Israël puisque les élèvesapprennent l’hébreu”. Prendre part à un voyage scolaire signifie s’instruireautrement. Tout au long de l’année, les jeunes Nancéiens ont échangé desmessages avec leurs correspondants du lycée Danziger à Kiryat Shmona, villejumelée avec Nancy,via les réseaux sociaux. Selon Sacha, élève de Seconde, “toutes les famillesisraéliennes ont été très chaleureuses. Il y a une proximité en Israël quin’existe pas dans l’Hexagone”.Perspicaces et critiques, les jeunes ont été conquis par le système éducatifisraélien. “Cela donne envie de suivre des cours en Israël”, confie l’und’entre eux. Ils s’accordent quand il s’agit de dire que le système scolaireest très différent à en juger par l’ambiance dans les classes de même que lesrapports entre élèves et professeurs.Quel souvenir garderont-ils alors du pays ? La nourriture, l’accueil, leshabitants, la diversité des paysages. Et puis les guides, disponibles etsympathiques. Mais c’est “embêtant cependant qu’on ne puisse pas les vouvoyer”,ajoutent-ils sur le ton de la plaisanterie. Et à les entendre chahuter sur lagrisaille et la pluie qu’ils s’apprêtaient à retrouver dans l’Est de la France, sans aucun doute, l’envie de revenirsous le soleil de Jaffa,là où s’est achevé leur périple, semble bien ancrée.Et pour Luba Klejmann, il ne fait aucun doute que ce groupe “très soudé qui atout fait pour pouvoir partir” représente à sa manière le groupe des Justesqu’ils ont honorés.Quand elle repense à la genèse du projet, c’est anecdotiquement àl’intercession d’Abraham en faveur de Sodome qu’elle fait référence. “Abrahamdit : Que le Seigneur ne s’irrite point, et je ne parlerai plus cette fois.Peut-être s’y trouvera-t-il dix justes. Et l’Éternel dit : Je ne la détruiraipoint, à cause de ces dix justes”.Pour faire un don à l’établissement pour l’aider à financer son projet ou pourtout renseignement, contactez Luba Klejmann : luba.apter@gmail.com