Patrouilles aériennes

Depuis le ciel, l’escadron Chameau volant de Tsahal surveille de près la frontière entre Gaza et l’Egypte

Patrouilles aeriennes (photo credit: IAI)
Patrouilles aeriennes
(photo credit: IAI)
Le 27 décembre 2008, vers 11h du matin, plus d’une centaine d’appareils de l’armée de l’air israélienne, stationnés à travers tout le pays, quittent leur base pour se retrouver au-dessus de la Méditerranée, à l’ouest de la bande de Gaza. L’opération porte le nom de code “Oiseaux de proie”. La flotte, composée de chasseurs F-15 et F-16 et d’hélicoptères de combat Apache, survole alors Gaza en plusieurs vagues successives, lâchant en quelques minutes plus de 100 tonnes d’explosifs sur une centaine de cibles prédéterminées. Plus de 200 Palestiniens, pour la plupart membres du Hamas, sont tués.
Cette salve d’ouverture de ce qui restera dans l’Histoire comme l’opération Plomb durci visait à impressionner et à effrayer l’ennemi.
En 2003, les Etats-Unis avaient entamé leur guerre en Irak de la même façon.
“Oiseaux de proie” était le résultat d’un méticuleux processus de collecte d’informations, étalé sur plusieurs mois et auquel ont participé toutes les agences israéliennes de renseignements, en s’appuyant sur les moyens de la VISINT (intelligence visuelle). Le major Omri, sous-commandant de l’escadron Chameau volant, également connu sous le nom d’Escadron 100, évoque cette période.
Les Beechcraft King Air B200 bi-turbopropulseurs de son escadron ont joué un rôle-clé dans l’identification des cibles et leur surveillance. Le jour des attaques, ils survolaient la frontière avec Gaza pour prévenir les dommages collatéraux et s’assurer que des civils n’entraient pas brusquement dans la zone des tirs.
L’équipe du Jerusalem Post a eu le privilège de survoler la bande de Gaza et le couloir de Philadelphie à bord de ces mêmes appareils avec des membres de l’Escadron 100, et de découvrir un aspect du travail de l’armée de l’air dont on parle peu.
La base des Chameaux volants
Les pilotes de l’Escadron 100 opèrent sur le terrain. Leur rôle consiste à collecter des informations sur les divers ennemis d’Israël en vue d’un futur conflit qui, aux dires des spécialistes, sera bien plus dévastateur que les précédents.
C’est sur la base de Sdé Dov, au nord de Tel-Aviv, que stationnent les Chameaux volants, premier escadron de l’armée de l’air israélienne, créé en 1948. Comme dans tous les quartiers généraux de l’armée de l’air ou presque, le bâtiment est en U, les bureaux occupant chacune des deux ailes. Tout le personnel, pilote ou non, porte la même combinaison. Certains de ses membres ont commencé la formation de pilote d’élite, mais n’ont pu aller jusqu’au bout.
Au sein de Tsahal, le renseignement a pris ces dernières années une importance considérable. Les ennemis d’Israël - en particulier le Hezbollah et le Hamas - travaillent en effet à accumuler un armement massif, qu’ils dissimulent dans les infrastructures de la population civile, dans la bande de Gaza comme au Liban, les deux principales zones d’opérations de l’escadron. Le Hezbollah, par exemple, a déjà accumulé 50 000 roquettes de courte portée et des milliers d’autres de moyenne portée, susceptibles de toucher Tel-Aviv.
L’arsenal du Hamas est quant à lui estimé à 10 000 roquettes.
Autant dire que l’importance du renseignement ne peut être négligée. On le sait, Tsahal a élargi le champ de ses cibles au Liban : il y en avait à peine 200 à la veille de la seconde guerre du Liban, en 2006, et on en dénombre aujourd’hui plusieurs milliers. Même chose pour la bande de Gaza, en prévision d’une éventuelle confrontation avec le Hamas.
Le principe consiste à pouvoir répéter l’opération “Oiseaux de proie” avec le même succès en cas de besoin. Autre opération sur laquelle se penche actuellement l’armée de l’air, “Gravité spécifique”, survenue durant la première nuit de la seconde guerre du Liban, où plus de 90 cibles (toutes des maisons où le Hezbollah avait dissimulé ses missiles iraniens longue-portée) avaient été bombardées en l’espace de 34 minutes.
Plus vite que les drones
La collecte d’images (VISINT) s’opère de trois manières différentes : par le biais des satellites, ce qui coûte cher et ne génère pas de ressources immédiatement exploitables, par des drones de plus en plus nombreux, qui survolent entre autres la bande de Gaza et le Liban, et par les avions de Tsahal appelés Beechcraft “Tsufit”, que pilotent Amir et les hommes de son escadron. Ces derniers appareils offrent l’avantage d’être plus rapides que les drones et équipés d’une caméra électrooptique ultra-perfectionnée, bien trop lourde pour être embarquée dans la plupart des drones actuels.
“Nous volons beaucoup plus vite que les drones, ce qui nous permet de passer d’une zone d’opération à l’autre”, explique Omri. “Cela représente un énorme avantage.”
Avec à son bord un journaliste et un cameraman, qui viennent s’ajouter aux cinq membres d’équipage habituels, l’avion est un peu surchargé. Nous décollons en douceur de Sdé Dov, opérons un virage au-dessus de la mer et partons vers le sud. L’avion mesure 13,7 mètres de longueur, pèse près de 6 tonnes et a une autonomie de 3 000 km. Il vole à une altitude moyenne de 15 000 pieds.
L’équipage se compose de deux pilotes, de deux observateurs et du commandant, rôle tenu par Omri lors de notre vol. Les pilotes suivent les instructions données par le commandant, qui leur indique la direction à prendre, mais ce sont les observateurs qui, équipés de caméras, font toute la différence. Certains viennent des services de renseignements militaires (AMAN) et non de l’armée elle-même, autre exemple de l’interopérabilité qui existe aujourd’hui dans l’art de la guerre.
“Regardez de ce côté”, lance le Lt. Amir, l’un des observateurs. “Là, c’est la Moukata [siège du gouvernement du Hamas] de la bande de Gaza. Juste à côté, on voit encore les destructions datant de Plomb durci.”
On ne peut guère s’étendre sur les capacités de la caméra embarquée.
Celle-ci a été mise au point par El-Op, une filiale d’Elbit Systems, basée à Rehovot, et passe pour l’une des plus élaborées du monde. Ses caractéristiques techniques en matière de résolution sont classées secrètes, mais sachez tout de même que, si vous volez en territoire israélien, à bonne distance de Gaza, vous distinguerez sans peine la couleur de la chemise d’un homme qui descend de voiture au centre-ville de Gaza-ville.
“En bas, c’est tout sauf calme”
Nous descendons encore vers le sud et atteignons le couloir de Philadelphie, une bande de terre de 14 km qui abrite des centaines de tunnels utilisés par le Hamas et d’autres organisations terroristes pour acheminer des armements de l’Egypte à la bande de Gaza. Une zone que l’escadron survole fréquemment pour noter les modifications qui surviennent le long de la frontière. Ces derniers mois, par exemple, depuis la révolution en Egypte, les travaux de construction d’une barrière souterraine entrepris par les Egyptiens ont été gelés.
D’en haut, on est frappé par la densité de la population dans la bande de Gaza. Quand on survole Khan Yunès, au sud, les rues sont si étroites que toutes les maisons semblent collées les unes aux autres, formant comme une longue enfilade de béton.
“D’ici, on a l’impression que tout est paisible, mais c’est trompeur”, explique Omri. “En bas, c’est tout, sauf calme. Ils sont engagés dans la constitution d’un arsenal militaire incroyable. Voilà pourquoi nous devons être prêts et connaître nos cibles.” Les observateurs connaissent Gaza et le Liban comme leur poche. Ils n’ont qu’à actionner une manette pour pouvoir observer de près un coin de rue à Gaza-ville. Il suffit de demander.
“Nous savons exactement où se situe chaque chose”, affirme Amir qui, à ma demande, tourne l’objectif vers le nouveau terrain de football de Gaza-ville.
“D’ici, nous pouvons suivre les matchs”, ajoute-t-il en souriant. “Les joueurs ne sont pas excellents...”
L’ennemi sait que Tsahal est au-dessus et le surveille. Omri et ses hommes ont remarqué les efforts accrus que déploie le Hamas pour dissimuler ses activités, d’abord en agissant en sous-sol, mais aussi en déployant parfois de grands draps lorsqu’il déplace de l’armement ou installe des lance-roquettes en vue d’une attaque.
“Il est évident que notre présence leur complique la vie. A cause de nous, ils sont obligés de travailler plus et de vivre en sous-sol”, constate Omri. “Cela ne leur plaît pas beaucoup que nous disposions de la technologie VISINT et ils aimeraient bien nous mettre les bâtons dans les roues ou pouvoir nous frapper en vol.”
Si ses missions sont pour la plupart prédéfinies et basées sur des renseignements fournis par le commandement des renseignements de Tsahal, l’AMAN et le Shin Bet (Agence de sécurité israélienne), l’Escadron 100 a aussi un autre rôle, non moins important : fournir un appui en temps réel durant les opérations terrestres ou aériennes de Tsahal.
“Nous gardons toujours à l’esprit la nécessité d’éviter les victimes civiles”, affirme Omri. “Nous sommes conscients que la moindre erreur, même minime, peut entraîner un désastre national et nous savons aussi que si nous détournons, ne serait-ce que l’espace d’un instant, le regard de nos écrans, nous risquons de nous tromper de cibles.”
D’une collecte d’informations à une chasse à l’homme
En août dernier, l’escadron s’est déployé au-dessus de Gaza lors du dernier épisode de violence qui a duré quelques jours, et au cours duquel plus de 160 roquettes ont été tirées sur Israël.
“Notre mission était alors de traquer les rampes de lancement et de débusquer les cellules responsables des tirs”, explique Amir.
Pour lui, la mission avait aussi un côté personnel. Sa famille habite en effet Beersheva, ville durement touchée durant l’opération Plomb durci et la dernière escalade de violence. “Cela me donne un énorme sentiment de responsabilité”, affirme-t-il.
Tout à coup, les observateurs pensent repérer des agissements suspects. Un homme vient de passer très vite d’une voiture à une autre, comme s’il cherchait à semer des poursuivants. “Et maintenant, il descend du deuxième véhicule et continue à pied”, commente Amir. On le suit des yeux pendant quelque temps, puis on comprend qu’il s’agit d’une fausse alerte : l’homme n’exerce pas d’activités en rapport avec le terrorisme. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Il y a quelques semaines, l’équipe a reçu des informations sur un Palestinien soupçonné d’être un agent important d’une organisation terroriste basée à Gaza. Pendant plusieurs heures, elle a donc suivi ses allées et venues d’un bâtiment à l’autre, puis l’a vu entrer dans un vaste entrepôt, pour en ressortir quelques minutes plus tard, chargé de longs tuyaux : des katiouchas ! “En l’espace de quelques secondes, notre mission est passée d’une collecte d’informations à une chasse à l’homme”, raconte Amir. “Le compte à rebours a débuté aussitôt, car nous savions que cet individu cherchait désormais à installer une rampe pour lancer des roquettes sur Israël. En travaillant de concert avec un autre appareil de l’armée de l’air, nous avons pu l’arrêter et détruire la rampe.”
Omri est satisfait du travail de son escadron, mais il aimerait pouvoir en parler au monde entier, expliquer en quoi consistent ses missions au jour le jour. “Je serais heureux de faire monter avec nous dans nos appareils tous ceux qui accusent Israël de crimes de guerre, et leur montrer ce que nous faisons et combien nous investissons, en tant qu’escadron, pour tenter de minimiser les dommages causés aux civils”, soupire-t-il. “Nous passons des heures à observer nos cibles pour être certains qu’il ne se trouve pas un civil pour pénétrer tout à coup par erreur dans la zone des tirs. Aucune autre armée au monde ne fait ça !” Israël fait actuellement face à un avenir incertain. L’Escadron 100 oeuvre pour rendre cet avenir plus sûr.