« Pilier de défense » est terminé. Et maintenant ?

La politique israélienne secouée par les événements, dans un Moyen-Orient plus instable que jamais.

121212JFR10 521 (photo credit: Reuters)
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Le dernier round d’affrontements entre Israël et le Hamas s’est achevé sans vainqueur, ni perdant.
Mais ce match nul pourrait engendrer une situation différente dans la région et maintenir le calme à Gaza, plus longtemps que ne le croient la plupart des Israéliens.
Les répercussions de ce dernier conflit et la manière dont il a été résolu, même temporairement, pourraient avoir de nombreuses conséquences : faciliter les efforts américains dans la création d’un axe solide américain-sunnite contre l’Iran chiite et ses alliés ; cimenter une alliance entre l’Egypte et le Hamas ; redéfinir les relations entre le Hamas et l’Autorité palestinienne; et enfin, encourager une nouvelle initiative américaine pour raviver les négociations israélopalestiniennes endormies.
Après huit jours de bombardements intensifs des deux côtés de la frontière, un cessez-le-feu a été conclu le 21 novembre entre deux adversaires encore prêts à se battre. Au total, les Gazaouis ont tiré plus de 1 500 roquettes et missiles sur les civils israéliens, principalement dans le sud du pays. L’armée de l’air israélienne a, de son côté, conduit plus de 1 500 raids aériens sur Gaza.
D’un point de vue purement militaire, Tsahal a clairement eu l’avantage. Sur les 1 506 roquettes lancées de Gaza, 420 ont été interceptées par le système antimissile «Dôme de fer» et seulement 58, donc moins de 4 %, ont atterri sur des régions habitées. L’armée, elle, a réussi à détruire plus de 1 600 cibles, dont pratiquement tout le stock de missiles longue portée du Hamas, quelques usines d’armes, des dizaines de dépôts de munitions et des bases de lancement de roquettes souterraines, près de 200 tunnels creusés pour le trafic d’armes, des bâtiments du gouvernement et la banque nationale islamique.
Le ministre de la défense Ehoud Barak a ainsi souligné la victoire israélienne : durant l’opération «Pilier de défense», une tonne d’explosifs palestiniens a atteint une cible, pour un millier de tonnes de l’armée de l’air israélienne.
En plus de viser des cibles militaires importantes, les services secrets israéliens ont permis d’attaquer directement les dirigeants militaires du Hamas et du Djihad islamique. Au moins six des commandants en chef, dont Ahmed Jaabari, chef de la branche armée du Hamas, ont été éliminés par des raids aériens. 152 Palestiniens, dont 88 armés, ont été tués dans des combats et 1 400, blessés. Du côté israélien, il y a eu six morts et 113 blessés.
Le Hamas a engrangé des points politiques 
En huit jours, le Hamas a donc perdu près de la moitié de son arsenal militaire et son effort massif de lancement de roquettes n’a causé que des dommages négligeables.
Le Dôme de fer, au taux de succès incroyable de 84 pour cent, a non seulement sauvé des vies et épargné des biens, mais aussi annulé la menace palestinienne de roquettes et renforcé significativement la force de dissuasion israélienne.
Toutefois, les Palestiniens ont lancé des missiles et roquettes jusqu’à l’annonce du cessez-le-feu. Ils ont réussi à envoyer, à Tel-Aviv comme à Jérusalem, les Israéliens dans les abris.
De surcroît, Israël a mobilisé plus de 70 000 réservistes sans effectuer d’opération terrestre.
Le Hamas, malgré son évidente défaite, a su exploiter les images du conflit pour galvaniser les foules et provoquer des célébrations de victoire à Gaza. Il a aussi gagné des points sur le plan politique, avec une amélioration de son statut dans la région, un assouplissement des restrictions à la frontière, et une extension de ses droits agricoles et de pêche.
Les combats ont marqué les esprits et ce, des deux côtés.
La grande question est de savoir si ce conflit aura vraiment assis la force de dissuasion d’Israël par rapport au Hamas.
Est-ce que les responsables du Mouvement gazaoui croient vraiment en leur rhétorique de victoire ou est-ce que le calcul de leurs pertes leur a donné à réfléchir ? Est-ce que leurs gains politiques vont les pousser vers de nouvelles hostilités pour obtenir plus ou, au contraire, les inciter à la prudence afin de ne pas perdre leurs acquis ? Les premières indications sont encourageantes. Un imam haut placé au Hamas a lancé une fatwa, un avis religieux, pour avertir tous les habitants de Gaza de l’obligation par l’Islam d’observer le cessez-le-feu, sous peine de commettre un péché contre le Coran.
Les trois options israéliennes 
Contrairement aux autres trêves, le Hamas a rapidement fait taire les bandes armées actives le long de la frontière. Il a aussi, dans un geste de bonne volonté et de réconciliation avec le Fatah, relâché des détenus de cette mouvance.
Du côté israélien, le gouvernement et les dirigeants de l’opposition examinent trois options pour consolider le cessez-le-feu, ou pour le restaurer, s’il s’avère éphémère : 
1/ Renouveler les arrangements régionaux, dont la houdna, ou cessez-le-feu avec le Hamas, et enclencher un véritable processus de paix avec le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Mais pour le moment, cette option ne semble envisageable pour aucun des deux camps.
2/ Lancer une opération militaire terrestre sur Gaza et renverser le gouvernement du Hamas – mais dans ce cas, deux questions se posent : combien de temps l’armée israélienne devrait s’embourber dans la bande côtière et quelle stratégie de retrait pourrait-il y avoir ? 
3/ Renforcer la politique de dissuasion, en procédant comme suit : attaquer et détruire l’infrastructure terroriste, poursuivre par une longue période d’accalmie, répéter la dose chaque fois que l’effet de dissuasion s’use. Utiliser les trêves pour perfectionner la capacité de défense et d’attaque de Tsahal, en préparation d’une attaque plus décisive la fois suivante. On reconnaît ici la manière d’opérer du gouvernement actuel.
Mais les derniers événements pourraient modifier cette recette. Par son rôle d’intermédiaire dans la mise en place du cessez le feu, le président sunnite-islamiste Mohamed Morsi est apparu comme un acteur essentiel au Moyen-Orient, fort d’une certaine influence sur Gaza et Jérusalem et d’une bonne relation avec les Etats-Unis.
Les politiques régionales sont plus que jamais sous l’emprise de la division entre l’Islam sunnite et chiite. Ce qui se passe en Syrie sera décisif, puisque face au président Bashar el- Assad, appuyé par des pays dominés par le courant chiite comme l’Iran, l’Irak et le Hezbollah, les rebelles, eux, sont soutenus par des pays à majorité sunnite comme l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, la Turquie et les Etats du Golfe.
La botte secrète de Washington pour faire plier le Caire 
La lutte pour le pouvoir entre partisans sunnites et chiites joue aussi un rôle à Gaza. Les Frères musulmans, au pouvoir en Egypte, appuient le Hamas sunnite fondamentaliste à Gaza. Le soutien du Qatar sunnite remplace désormais l’aide économique iranienne. Bien entendu, l’Iran maintient une influence à travers le Djihad islamique et fournit des armes au mouvement gazaoui. Ce dernier tente de tout obtenir : des roquettes de l’Iran, une protection de l’Egypte contre Israël, de l’argent du Golfe et des bonnes relations avec le monde sunnite.
La seule chose qu’il souhaite éviter, c’est de se mettre à dos le Djihad islamique qui, avec assez d’armes iraniennes, pourrait bien défier son autorité à Gaza. Le Hamas ne s’allie donc à lui que contre un ennemi commun. Dès que le cessez-le-feu est en place, le Hamas s’efforce d’empêcher les différentes milices, dont le Djihad islamique, de déclencher un nouveau conflit avec Israël. Il veut aussi garder son avantage militaire dans le cas d’une confrontation avec un groupe, soutenu par l’Iran, de plus en plus puissant.
Enfin, pour mieux comprendre ce qui se passe à Gaza, il faut regarder du côté du Caire. Jusqu’à présent, la politique égyptienne à Gaza avait été influencée par deux intérêts vitaux : empêcher le Hamas de mêler l’Egypte à un conflit perdu d’avance avec Israël et préserver des bonnes relations avec les Etats-Unis, principale source d’aide financière étrangère.
D’ailleurs, la veille du cessez-le-feu, les Etats-Unis avaient donné leur accord pour que l’Egypte obtienne un prêt du Fonds monétaire international de près de 4,8 milliards de dollars. Pour parvenir à un arrêt des combats, Washington a usé du facteur économique pour faire plier le Caire, qui a fait de même sur le Hamas, qui, lui-même a fait taire les autres milices de Gaza. Le maintien de la trêve devrait dépendre des mêmes facteurs.
Le sérieux de l’Egypte Mais pour Israël, une longue période de calme peut tout aussi bien permettre au Hamas à s’armer de nouveau. Dans le cadre des accords de cessez-le-feu, Morsi s’est engagé oralement vis-à-vis du président Barak Obama pour agir contre le trafic d’armes, qui de l’Iran et la Libye à travers le Soudan puis l’Egypte et la traversée du canal de Suez vers le Sinaï, passe par les tunnels pour finalement arriver à Gaza.
Les services secrets israéliens, de leur côté, confirment le sérieux de l’Egypte sur cette question.
Si l’Amérique a été l’artisan de la trêve, elle a laissé l’Egypte en récolter les fruits et cette dernière en est sortie avec beaucoup de prestige. Obama y a gagné une alliance avec le monde sunnite et le renforcement de l’influence américaine dans la région. Deux éléments qui seront une bonne base de départ pour une action contre les ambitions nucléaires de l’Iran.
Dans le même temps, il n’était pas question de suggérer au monde musulman qu’Israël était une proie facile.
Obama a donc réaffirmé le droit d’Israël à se défendre.
De plus, il a rappelé le soutien constant des Etats-Unis et s’est engagé à une aide financière pour le système «Dôme de fer».
Cependant, les Etats-Unis étaient fermement opposés à une opération terrestre israélienne. Arrivée à Jérusalem la veille du cessez-le-feu, la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton a martelé le message américain : une telle opération entraînerait probablement l’Egypte, la Jordanie et la Turquie à couper leurs relations diplomatiques avec Israël ; provoquerait des manifestations contre Israël et les Etats-Unis et causerait des dommages incommensurables à la politique américaine de rapprochement vers le monde sunnite. Sans compter la difficulté qu’auraient alors les Etats-Unis pour agir face à la menace dirigée contre Israël – la course aux armements nucléaires de l’Iran.
Se rapprocher des pays sunnites 
Clinton a aussi pressé Israël de ne pas punir le chef de l’Autorité palestinienne, Abbas, pour l’obtention du statut de pays non membre aux Nations unies.
Par ailleurs, elle a demandé à Israël de contribuer à la politique régionale américaine : se joindre aux efforts américains pour relancer le processus de paix endormi à l’approche de la nouvelle année et restaurer les liens altérés avec la Turquie. Ces deux actions renforceraient les liens de Washington avec le monde sunnite et du point de vue américain, serviraient les meilleurs intérêts israéliens.
Il est vrai que, pour Israël, maintenir la trêve en se rapprochant des pays sunnites avec qui il a des liens diplomatiques, comme l’Egypte, la Jordanie et la Turquie, paraît tout à fait sensé. Le cessez-le-feu, promu par Le Caire, a aidé à dégeler les relations avec l’Egypte de Morsi, alors que pendant ce temps, le Premier ministre Binyamin Netanyahou a amorcé un rapprochement vers la Turquie.
Fin novembre, Joseph Ciehanover, l’envoyé spécial du Premier ministre, rencontrait un haut officiel turc pour discuter d’une forme possible d’excuse de la part d’Israël en ce qui concerne les pertes de vies dans l’affaire du Mavi Marmara, il y a deux ans et demi.
Par-delà un possible rapprochement avec la Turquie, Israël pourrait prendre des initiatives plus marquantes dans la région : inviter le monde arabe à des pourparlers de paix basés sur le plan de paix arabe de 2002, et conclure des accords à long terme avec les Palestiniens de Judée-Samarie comme de Gaza ; répondre affirmativement à l’initiative américaine pour de sérieuses négociations avec Abbas.
Etant donné la position du gouvernement israélien et le sentiment anti-israélien, de telles négociations semblent peu probables. Toutefois, il est possible qu’à la suite de ce conflit et de la trêve, toute la région se repositionne et que ces points puissent être considérés plus tard.
Le gouvernement a peu de choix 
Mais si la diplomatie échoue et que le cessez-le-feu ne tient pas, Israël sera de retour à la case départ.
Comme pour l’opération Pilier de défense, il aurait à choisir. Soit pour une opération limitée dans le but de détruire une motivation terroriste (en d ’ a u t r e s t e r m e s , réinstaurer le calme et dissuader le Hamas d’attaques futures pour un certain temps). Soit pour une opération militaire terrestre complète dans le but de détruire la plupart de la capacité militaire du Hamas.
Dans le second cas, une opération militaire pourrait se limiter à détruire l’infrastructure militaire du Hamas et occuper le corridor stratégique Philadephie pour prévenir le trafic de nouvelles armes par l’Egypte vers Gaza, comme le proposent la droite israélienne et le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Liberman.
Pour l’heure, les conditions internationales ne favorisent aucune forme d’opération terrestre. Les Etats-Unis, comme on l’a vu plus haut, verraient cela comme une faute stratégique et l’Egypte, de son côté, a indiqué qu’elle serait alors forcée de couper ses liens avec Israël. Il n’y a pas de raison de croire que la situation peut changer.
Le pouvoir de Frères musulmans en Egypte a créé une nouvelle dynamique dans le triangle Israël-Egypte-Hamas.
La proximité idéologique de Morsi et du Hamas marche dans les deux sens : elle permet au dirigeant égyptien de limiter les tirs de roquettes du Hamas, d’une part, et l’ampleur de la riposte israélienne d’autre part.
Mais même outre l’Egypte, si Israël devait réoccuper Gaza ou le corridor de Philadelphie, sa position internationale s’effondrerait. Il y aurait alors une guerre d’usure contre les forces militaires israéliennes et une sortie stratégique très difficile. Et Israël pourrait ainsi se trouver entraîné dans un bourbier semblable au marasme libanais.
Tout cela suggère que si la trêve devait être rompue, la seule option israélienne réaliste serait de lancer, à nouveau, une opération militaire précise et limitée, pour restaurer un cessez-le-feu minimal. Cela souligne que le gouvernement a peu de choix. Il a amassé l’armée de réserve pour faire pression sur le Hamas, mais en fait, n’aurait pas pu l’utiliser sans payer un prix très lourd au niveau diplomatique.
En finir « une fois pour toutes » 
Les Israéliens, eux, ont ressenti une grande frustration face à l’arrêt des combats. Pour beaucoup, Israël était en position de force grâce à Tsahal, mais le travail n’a pas été achevé.
Les habitants du Sud en particulier, qui ont pendant des années supporté les roquettes de Gaza, estiment que les forces terrestres auraient dû être envoyées pour détruire le Hamas et en finir «une fois pour toutes» avec la menace des roquettes.
Netanyahou et Liberman ont été critiqués pour n’avoir pas fait ce qu’ils ont défendu quand ils étaient dans l’opposition : stopper la menace des roquettes en entrant dans Gaza, et renverser le Hamas.
Un constat amer, qui, avec les élections prévues le 22 janvier, pourrait se répercuter sur les votes. On peut observer certains signes avant-coureurs dans la perte de sièges de la liste commune Likoud et Israël Beiteinou, en faveur de l’extrême droite et des partis religieux, en particulier pour la nouvelle formation Habayit Hayehoudi de Naftali Bennet.
Pour autant, l’opération Pilier de défense ne changera pas l’équilibre des forces, surtout entre la droite et l’opposition centre-gauche.
Les sondages montrent que la droite maintient une majorité claire, autour de 65-66 sièges dans la prochaine Knesset, ce qui ferait de Netanyahou le favori, et sa réélection en bonne voie au poste de Premier ministre.
A l’image de la guerre du Liban en 2006, l’opération Pilier de défense s’est terminée par une intervention très efficace de l’armée de l’air, sans résultat clair sur le plan terrestre et avec un large sentiment dans le public qu’on aurait pu faire plus.
Dans le cas du Liban, la trêve tient depuis six ans. On ne pourra juger de l’efficacité de l’opération Pilier de défense que par le nombre de semaines, mois, années où la frontière avec Gaza restera tranquille.