Recherche terre d’accueil désespérément

Ancien agent du Mossad, Hagai Hadas a visité plusieurs pays d’Afrique pour les convaincre d’accueillir les dizaines de milliers d’Africains infiltrés en Israël.

P11 JFR 370 (photo credit: Ronen Zvulun/Reuters)
P11 JFR 370
(photo credit: Ronen Zvulun/Reuters)

Hagai Hadas aime son nouveau travail. Il lui rappelle le bon vieuxtemps du Mossad. Il disparaît pour des rendez-vous clandestins dans des lieuxéloignés et exotiques. Son budget est illimité. Il opère dans le dos duministère des Affaires étrangères, et n’a de comptes à rendre qu’au premierministre Binyamin Netanyahou.
Hadas est l’envoyé spécial d’Israël, chargé d’organiser l’expulsion – enlangage politiquement correct, on préfère parler de « transfert », «réhabilitation » ou « réinstallation » – des Africains qui, au fil des ans, sesont infiltrés en Israël.
Pendant sa période au sein de l’agence de renseignement du Mossad, dans lesannées 1990, Hadas sert comme chef de l’unité super-secrète Kidon, responsabledes opérations spéciales.
Par la suite, il est promu au poste de chef de Césarée, le département qui gèreles opérations en Iran et dans les pays arabes hostiles. Il quitte l’agence derenseignement en 2004, après avoir réalisé qu’il ne serait pas le prochainadjoint du chef du Mossad de l’époque, Meir Dagan.
Hadas tente sa chance dans les affaires privées, mais il échoue, avant d’êtresecouru par son ami Netanyahou.
Initialement, il est l’envoyé du Premier ministre chargé de la libération desoldat kidnappé Guilad Shalit, mais, encore une fois, le succès n’est pas aurendez-vous. Il démissionne et Netanyahou se précipite à son secours pour laseconde fois : il le charge cette fois du rapatriement des infiltrés enAfrique.
200 000 clandestins et moi, et moi, et moi 
Selon les données officielles dudépartement de la population et de l’immigration du ministère de l’Intérieur,Israël accueille quelque 70 000 travailleurs étrangers en situation régulièreavec permis de travail valides.
Certains ont été amenés de Thaïlande pour travailler dans l’agriculture,d’autres sont originaires de Chine, de Turquie et de Roumanie et exercent dansl’industrie et la construction. Les travailleurs en provenance des Philippinessont principalement employés dans des institutions et des maisons privées pourprendre soin des personnes âgées et des infirmes. Dans une certaine mesure, cestravailleurs étrangers légaux sont surveillés et contrôlés par l’État.
Mais le pays abrite également 14 000 travailleurs illégaux dont les permis ontexpiré, qui ont choisi de rester sur place dans la clandestinité. En outre,environ 60 000 touristes dont les visas ont expiré restent illégalement dans lepays.
Au-delà de ces chiffres, quelque 55 000 personnes se sont infiltréesillégalement : 36 000 sont originaires d’Erythrée, 14 000 du Nord-Soudan et duDarfour, et les quelque 5 000 restant de divers autres pays africains comme laCôte d’Ivoire, le Nigeria et le Ghana.
La plupart des Africains se sont infiltrés via l’Egypte et le Sinaï, aidés pardes passeurs bédouins qui extorqueraient souvent au passage des sommesexorbitantes et abuseraient sexuellement des femmes.
Les migrants africains affirment qu’ils ont fui leur pays à cause de lapersécution politique et des violations des droits de l’homme. Ils insistentsur le fait que, s’ils sont renvoyés dans leur pays d’origine, ils serontsoumis à la torture et emprisonnés. Les autorités israéliennes, en revanche,soutiennent que la plupart des éléments infiltrés sont simplement destravailleurs migrants en situation irrégulière qui ne peuvent prétendre austatut de réfugié reconnu par l’ONU.
Toute la misère du monde 
Les plans visant à expulser les 55 000 migrantsafricains ont occupé une place centrale dans le précédent gouvernementNetanyahou. La concentration de la communauté africaine dans les quartierspauvres du sud de Tel-Aviv a fait le jeu des politiciens et des journalistes dedroite. Les résidents locaux se sont plaint des étrangers qu’ils ont accusésd’ivresse, de violence et d’abus sexuels envers « nos filles ». Et lespoliticiens se sont précipités pour exploiter la misère et la colère desrésidents.
L’ancien ministre de l’Intérieur Eli Yishaï du parti ultraorthodoxe Shas les adécrits comme « porteurs de maladies », rappelant les jours sombres de l’histoireoù les Juifs étaient eux-mêmes affublés de tels qualificatifs.
Certains députés du Likoud comme Miri Reguev et Danny Danon (aujourd’huivice-ministre de la Défense) ont incité à la haine raciale à leur encontre,tenant des propos racistes et sexistes. D’autres politiciens ont parlé de la «menace vis-àvis du caractère juif » d’Israël.
Seule une poignée de voix libérales, principalement celles des organisations dedéfense des droits de l’homme et des petits partis de gauche, ont tenté derappeler au public qu’Israël est aussi un Etat démocratique, respectueux desvaleurs humanitaires universelles et soumis aux conventions des Nations unies.Mais leurs voix se sont perdues dans le tollé général qui a vite tourné enobsession et paranoïa nationales.
Derrière le désir d’Israël d’expulser les réfugiés africains, se trouvent desmotivations diverses. En dehors des pressions politiques, apparaissent desconsidérations religieuses.
Israël, en tant qu’Etat juif, hésite à accepter et intégrer d’autres groupesethniques ou religieux. Apparaît aussi l’argument classique qui veut que lesréfugiés soient de la main d’oeuvre à bon marché qui « volent » le travail desIsraéliens. Enfin, bien que personne ne soit prêt à l’admettre, sous lasurface, se cachent également les préjugés, la haine de l’autre en raison de lacouleur de sa peau.
Retourne dans ton pays 
Le gouvernement Netanyahou a déclaré la guerre auximmigrés clandestins et promis de mettre un terme à leur arrivée. Et il aréussi. Le ministère de la Défense a investi près d’un milliard de dollars,pour construire une barrière qui s’étend d’Eilat, la ville portuaire de la merRouge, à la ville de Rafah, sur la côte méditerranéenne, au sud de la bande deGaza. Elle couvre toute la frontière longue de 200 kilomètres entre Israël etl’Égypte.
La barrière a un double objectif. Conçue pour empêcher l’infiltration illégale,elle doit aussi contrecarrer les efforts déployés par les groupes terroristesinspirés d’al-Qaïda, ainsi que ceux des cellules du Hamas et du Djihadislamique basés à Gaza, pour frapper Israël à partir du Sinaï.
Presque achevée, la barrière est une protection efficace pour faire obstacleaux réfugiés et demandeurs d’emploi africains qui souhaitent atteindre Israël.Les statistiques officielles publiées par le ministère de l’Intérieurillustrent clairement comment la clôture a endigué le flux. En 2010, près de 15000 personnes se sont infiltrées en Israël par le Sinaï. En 2011, ces chiffresont augmenté de 15 % atteignant plus de 17 000. Mais en 2012, avec le début dela construction de la barrière, les chiffres ont chuté de 40 % pour descendre à10 000. Et depuis le début de l’année 2013, seulement 28 personnes ont réussi àpasser la frontière.
Pourtant, Israël continue à percevoir l’existence des infiltrés comme unemenace. Ainsi, il cherche à limiter leur présence par tous les moyens – légaux,diplomatiques et économiques.
Depuis 2012, Israël a renvoyé par les airs près de 1 500 Sud- Soudanais dansleur pays, via la Jordanie. Parce qu’Israël et le Sud-Soudan entretiennent desrelations diplomatiques, et qu’Israël lui fournit une formation militaire et enmatière de sécurité (un programme mis en place depuis 40 ans, lorsque le Sud sebattait pour son indépendance au sein du Soudan unifié), il n’y a pas derestrictions légales ou internationales aux expulsions. Les responsablesisraéliens affirment que tous les immigrés clandestins originaires de ce paysacceptent de retourner dans leur pays natal. Ils ont reçu une allocation etcertains d’entre eux ont été formés avant leur départ dans divers domainescomme l’agriculture.
Mais les témoignages recueillis par des groupes de défense des droits del’homme dépeignent une situation tout à fait différente. Ils décrivent lespressions exercées par les responsables israéliens et par la police pourcontraindre les réfugiés à signer leur « libération volontaire ».
Négocier avec les amis d’Afrique 
Le « problème » des Sud-Soudanais résolu, lanouvelle coalition Netanyahou, dont le parti centriste Yesh Atid dirigé par leministre des Finances Yaïr Lapid, vise désormais les réfugiés érythréens etnord-soudanais. Mais il s’agit là d’une question beaucoup plus complexe. Israëlest signataire de plusieurs conventions internationales relatives à lasituation des réfugiés. Et selon ces conventions et la commission des Nationsunies pour les réfugiés, les infiltrés reconnus bénéficient d’un statutparticulier qui leur accorde la libre circulation et la protection contre lesarrestations.
Pour contourner les engagements internationaux, Israël a adopté en 2012 unamendement à la loi sur la prévention des infiltrés qui autoriseessentiellement la détention de migrants qui n’ont pas le statut de réfugiépour une période pouvant aller jusqu’à trois ans. L’amendement a été adopté parla Knesset en dépit de l’opposition du ministère des Affaires étrangères et desorganisations des droits de l’homme, qui font valoir qu’il est en contradictionavec le droit international et l’engagement de l’État aux conventionsinternationales sur les réfugiés.
Plusieurs associations humanitaires représentant cinq réfugiés érythréens ontdéposé un appel devant la Cour suprême, demandant l’annulation de la nouvelleloi et la définissant comme « anticonstitutionnelle ». La Cour suprême adélibéré et devrait rendre son verdict dans un proche avenir.
Au cours des délibérations, des détails sur les missions secrètes d’Hadas enAfrique ont été partiellement dévoilés.
Comme Israël ne peut pas renvoyer les réfugiés dans leurs pays d’origine, oùils seraient sujets à des persécutions politiques, le Premier ministre, leministre de l’Intérieur et leurs conseillers ont décidé d’essayer de persuaderles pays amis d’Afrique à accepter au moins une partie des expulsés.
De l’Erythrée à l’Ethiopie Au cours de la dernière année, Hadas a visitéplusieurs pays d’Afrique dans le but de les convaincre d’accepter les réfugiés.
Il a voyagé ou été en contact avec le Kenya, l’Ouganda, le Burundi, le Rwanda,l’Ethiopie, le Malawi et probablement d’autres encore.
Pour les inciter à parvenir à un accord, il leur a offert assistance militaireisraélienne, soutien à l’agriculture, voire même des compensations financièrespar tête. Les associations humanitaires font valoir qu’un tel accord estmoralement répréhensible et contraire au droit international. Le trafic despersonnes est, selon eux, interdit et les réfugiés ne peuvent pas être « vendus» en échange de biens ou d’argent.
Jusqu’à présent, aucun état africain n’a vraiment fait preuve d’enthousiasme oune s’est montré prêt à accepter une telle offre. Lorsque le Premier ministrekényan Raila Odinga s’est rendu en Israël en novembre 2011, il a rejeté uneproposition israélienne sur l’accueil de réfugiés africains. Et déclaré àNetanyahou que le Kenya était déjà le pays d’accueil de quelque 3 000 000 deréfugiés, parmi lesquels des centaines de milliers d’Erythréens.
Hadas a également avancé l’idée que l’Ethiopie puisse intégrer les Erythréens.Jusqu’au début des années 1990, l’Erythrée faisait partie de l’Ethiopie. Elle adéclaré son indépendance en 1991, et les deux pays se sont déclaré la guerre,il y a quelques années, pour une étroite bande de terre de quelques kilomètresde long.
Malgré l’animosité qui demeure, les Ethiopiens considèrent les Erythréens commeleurs « frères perdus ».
Aussi le consul général éthiopien à Tel-Aviv a déclaré aux responsablesisraéliens que son gouvernement accorderait un visa d’entrée à tout Erythréenqui souhaiterait se rendre en Ethiopie, à condition qu’Israël couvre les fraisde voyage et lui fournisse une allocation initiale. Il n’y a eu aucun progrèssur la question depuis.
Pas d’accord à l’horizon 
De son côté, le procureur de l’Etat, Yochi Gnesin ainformé la Cour suprême, en juin dernier, qu’Israël avait conclu un accord avecun pays d’Afrique et que de sérieuses négociations étaient en cours avec deuxautres pays, peutêtre à même d’accueillir les réfugiés. Les pays n’ont pas éténommés.
Le ministère des Affaires étrangères a déclaré ne pas avoir connaissance d’unaccord ou de négociations sérieuses sur la question.
« Hadas a peut-être été un bon agent de renseignement », a confié une source ausein du ministère, « mais il n’est pas taillé pour la mission délicate qui luia été confiée. En outre, il y a peu de chance de voir un pays africain accepterde recevoir les Africains infiltrés en Israël. Quel pourrait être leur intérêt? » Il est apparu par la suite que le procureur Gnesin avait mal informé laCour suprême. Une semaine plus tard, cette dernière a amendé sa déclaration. Eta présenté à la Cour un affidavit de Hadas, dans lequel il reconnaît qu’il y aseulement eu des « négociations » avec les pays africains, mais qu’aucun accordn’a été conclu.
Certaines associations de défense des droits de l’homme estiment qu’au lieu devains efforts pour expulser les réfugiés, ceux-ci devraient être complètementintégrés dans la société. Ils devraient être encouragés à s’installer dansdiverses régions d’Israël et pas seulement dans le secteur restreint du sud deTel-Aviv. Recevoir des permis de travail, payer des impôts, et bénéficier del’assurance-maladie et de la sécurité sociale. De leur point de vue, « Israël abel et bien les moyens d’intégrer quelque 55 000 personnes ».