Un couloir controversé

Enjeux de la zone E-1 : le lien qu’elle assure entre Jérusalem et Maalé Adoumim s’avère vital pour Israël.

2612JFR12 521 (photo credit: Reuters)
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Le site appelé E1 (Est 1)longe Jérusalem à l’est et couvre 1 200 hectares de terrain, inhabités pour lemoment et appartenant en grande majorité à l’Etat. Il fait partie de lamunicipalité de Maalé Adoumim.
Le ministère de la Construction et du Logement entend le développer afin derelier à Jérusalem les 36 000 habitants de Maalé Adoumim.
En son temps, Itzhak Rabin était déjà favorable à l’idée d’établir unecontinuité urbaine entre les deux villes. Aujourd’hui, le programme E1 prévoitla construction de 3 500 logements, d’un centre commercial et d’hôtels. Il asuscité une levée de boucliers à travers le monde, les Palestiniens affirmantqu’il interdira toute continuité entre les parties nord et sud d’un futur Etatpalestinien en Judée-Samarie. Adoptant ce dernier point de vue, les Etats-Unischerchent à dissuader les Israéliens, afin de ne pas compliquer davantage lesnégociations en vue d’un accord de paix.
Pour Israël, l’intérêt de la zone E1, que la communauté internationale tend àignorer, ne se limite pas à relier Jérusalem-Ouest à Maalé Adoumim. Ilpermettra également de conserver un passage vers la mer Morte à l’est, quiservira aussi de ceinture de sécurité pour les banlieues juives de la capitale.S’il en perd le contrôle, Israël craint de voir une recrudescence deconstructions palestiniennes dans ce secteur menacer Jérusalem, bloquer ledéveloppement de la ville du côté est, et affaiblir le contrôle israélien surla route menant à Jéricho. Cette artère revêt en effet une importancestratégique majeure pour Israël, puisqu’elle permet, en temps de guerre, detransporter troupes et équipements vers l’est et le nord, via la vallée duJourdain.
Déjà, des constructions sauvages palestiniennes la rendent moins sûre.
La nécessité de relier Maalé Adoumim à Jérusalem fait pratiquement consensus enIsraël. Pourtant, l’opposition américaine a jusque-là bloqué toute construction; le seul bâtiment à avoir vu le jour est le quartier général de la policeresponsable de la Judée-Samarie.
Consolider le statut de capitale de Jérusalem

Il a coulé beaucoup d’eau sousles ponts depuis l’approbation des premières étapes du programme deconstruction. La taille de la zone prévue s’est réduite comme peau de chagrin,érosion due à l’arrivée de Bédouins et à des constructions palestiniennesillégales. Le couloir menant à Jérusalem en a lui aussi subi les conséquences,puisqu’il est passé de 2 à 1 km de largeur. Et ce n’est pas fini… Contrairementà ce qu’on peut lire dans de nombreux rapports, construire dans la zone E1 necouperait pas la Judée-Samarie en deux et n’entamerait pas la continuité palestinienne.Israël a prévu une nouvelle route, qui permettra aux véhicules palestiniensvenus du sud de contourner Maalé Adoumim par l’est, et de continuer vers lapartie nord de la Judée-Samarie. Elle réduira le temps de trajet actuel,puisque les automobilistes n’auront plus à s’arrêter aux barrages, comme àchaque fois qu’ils pénètrent en territoire israélien, et rouleront sur unevéritable autoroute.
Dans la perspective de consolider son statut de capitale de l’Etat juif, lesgouvernements israéliens successifs ont construit une enfilade de banlieues etde villes satellites autour de Jérusalem : Maalé Adoumim à l’est en 1977,Guivat Zeev au nord en 1982, Efrat au sud, en 1982 également, dans le bloc duGoush Etzion, et Betar Illit, au sud-ouest, en 1984. Des villes plus petitesentourent encore cette première ceinture, qu’Israël considère comme appartenantà l’agglomération de Jérusalem. Pour l’ensemble des gouvernements successifs,il a toujours été clair que ces blocs urbains resteraient parties intégrantesde l’Etat d’Israël et lui seraient annexés dans le cadre d’un accord de paixpermanent, tout comme les gros blocs d’implantation de Judée-Samarie construitsà proximité de la « Ligne verte ».
Le 14 avril 2004, le président américain George W. Bush avait d’ailleurs écritau Premier ministre de l’époque Ariel Sharon dans ce sens : dans le cadre d’unfutur accord de paix définitif, affirmait-il, la réalité démographique crééesur le terrain depuis la guerre des Six-Jours devra être prise en compte, etl’on ne pourra pas demander à Israël d’évacuer toute la Judée-Samarie. PourSharon, cette lettre était une victoire que l’on devait attribuer à sa décisionde procéder à un désengagement de Gaza et du nord de la Samarie.
Maalé et Mevasseret Adoumim

Dès lors, la barrière de séparation allait sedessiner sur la base du principe d’incorporer les grands blocs d’implantationau territoire israélien. Sur 290 000 habitants des implantations, 220 000résident dans ces grands blocs.
Dans ses décisions, la Haute Cour de Justice israélienne ellemême appliquegénéralement ce principe pour les villes et villages installés à l’ouest de labarrière de sécurité.
C’est par une décision gouvernementale de 1977 qu’a été construite MaaléAdoumim. Ses premiers habitants ont emménagé en 1982 dans ce qui allait devenirune vraie ville en 1991. Située à l’orée du désert de Judée, à 7 km deJérusalem, sur la route de Jéricho, non loin des quartiers nord de Jérusalemque sont Pisgat Zeev, Guiva Tsarfatit et Ramat Eshkol, elle est connue pour laqualité de vie qu’elle offre et pour ses multiples infrastructures éducatives,culturelles et de loisirs. Selon les prévisions, sa population s’élèvera à 70000 habitants en 2020.
En 1991, sous le gouvernement d’Itzhak Shamir, le ministre de la Défense MoshéArens transfère une partie de la zone aujourd’hui nommée E1 sous la juridictionde la municipalité de Maalé Adoumim. En janvier 1994, le Haut conseil deplanification de la Judée et le sous-comité de la Samarie pour lesimplantations présentent un nouveau projet, qui étend le programme urbain deMaalé Adoumim. Cela deviendra la base du plan pour la zone E1 sur unesuperficie de 1 200 ha.
Itzhak Rabin, alors Premier ministre, charge le ministre de la Construction etdu Logement Binyamin Ben-Eliezer d’entreprendre la planification d’un quartierà cet endroit.
Problème : les contraintes diplomatiques empêcheront sa concrétisation.
Les conditions topographiques (le terrain est en pente) font que la majeurepartie de la zone E1 ne se prête pas à la construction. On décide donc d’enfaire une réserve naturelle avec, côté ouest, c’est-à-dire en bordure deJérusalem, un projet de logements résidentiels. Baptisé « Mevasseret Adoumim »par les élus de Maalé Adoumim, celui-ci comportera 3 500 unités d’habitationsdivisées en trois parties. La zone E1 comprendra également le quartier généralde la police de Judée-Samarie, ainsi que des hôtels, une zone industrielle etune zone de commerces.
Au sud-est, le projet est bordé par la Route n°1, par les quartiers d’Azariyaet d’Abou Dis et par le campement bédouin de la tribu Jahaline. A l’ouest, setrouvent Isawiya et les quartiers d’Anata et d’A-Zaïm. Puis au nord, c’est laroute 437 et le poste de contrôle de Hizma.
Le centre commercial et la zone industrielle, ouverts à tous les habitants dela région de Jérusalem, devraient créer des milliers d’emplois, tant pour lesIsraéliens que pour les Palestiniens. Le trajet de la barrière de séparation,dans le périmètre de Jérusalem, inclura la zone de l’E1 côté israélien.
Souveraineté pour tous 

C’est donc l’opposition américaine qui a retardé tousces projets. Dans une interview accordée au Jerusalem Post en septembre 2005,le Premier ministre Ehoud Olmert confirmait qu’Israël s’était engagé auprès dugouvernement Bush à ne pas construire entre Maalé Adoumim et Jérusalem.
Toutefois, précisait-il, il s’agissait d’un « gel », et non d’une annulationpure et simple du projet.
L’opposition américaine ne tient pas à des motifs juridiques, mais à la craintede voir de nouvelles constructions juives entraver de futures négociations depaix. Washington établit ainsi une distinction entre les divers types deconstructions et leur emplacement. Par exemple, le 30 avril 2003, la Feuille deroute pour la paix appelle Israël à « geler toute activité d’implantation [ycompris les constructions nécessitées par l’accroissement naturel de lapopulation]. » En septembre 2004 toutefois, le secrétaire d’Etat adjointRichard Armitage remarque : « Si des implantations sont déjà existantes et quevous étoffez leurs populations sans en étendre les limites physiques, c’est unechose ». En d’autres termes, il laissait entendre que geler les implantationsconsiste à geler uniquement l’extension des limites territoriales de chaqueimplantation dans le but d’intégrer de nouveaux habitants.
Sachant que la zone E1 ne constituerait pas une nouvelle implantationisraélienne – elle ferait partie de Maalé Adoumim – un problème particulier sepose : les constructions se situeraient au-delà du dernier bâtiment et de laligne des constructions de Maalé Adoumim, mais à l’intérieur de ses limitesmunicipales.
Le 5 octobre 1994, Rabin déclarait dans une discussion à la Knesset : « LaJérusalem unifiée, capitale d’Israël sous souveraineté israélienne, devra aussicomprendre Maalé Adoumim et Guivat Zeev ». Six mois plus tôt, il avait remisles documents d’annexion de la zone E1 à Benny Kashriel, maire de MaaléAdoumim. Puis le 13 mars 1996, le Premier ministre Shimon Peres réaffirmaitqu’Israël exigerait la souveraineté sur Maalé Adoumim dans tout accord de paixpermanent.
Déclarations de foi 

En avril 2005, Sharon déclare que la zone E1 fait l’objetd’un projet sur dix ans et que le gouvernement a bien l’intention de le mener àbien.
Son ministre de la Défense Shaoul Mofaz renchérit : il s’agit, dit-il, de créerune continuité juive entre Jérusalem et Maalé Adoumim. Dans un CD d’informationpublié par la municipalité de Maalé Adoumim, 18 importants responsablesadressent à Maalé Adoumim et à la zone E1 leur déclaration de foi.
Ehoud Barak : « Il est indispensable de traduire concrètement le fait que lecouloir E1 nous appartient. Retarder les constructions établissant unecontinuité entre le mont Scopus et Maalé Adoumim, c’est mettre cette dernièreen danger. Sans une action politique immédiate établissant des faits purs etsimples, nous risquons de perdre Maalé Adoumim. » Binyamin Netanyahou, Premierministre : « Nous voulons créer la continuité de l’agglomération de Jérusalemd’ouest en est ; les Palestiniens, eux, cherchent à briser cette continuité enconstruisant du nord au sud… Ils veulent couper Jérusalem d’un côté et ladétacher de Maalé Adoumim de l’autre. Nous devons prendre le dessus enconstruisant la zone E1. » Reouven Rivlin, porte-parole de la Knesset : « Leprojet E1 est un objectif auquel nous ne renoncerons jamais… Si Itzhak Rabinétait encore vivant, il aurait publié une directive sans concession pour lemener à bien. » Même les plans de paix qui, par le passé, ont envisagé ladivision de Jérusalem, prévoyaient de relier Maalé Adoumim à la capitale.
Selon un protocole d’entente établi entre l’ex-ministre Yossi Beilin et leprésident de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas au milieu des années 1990,Israël devait annexer les zones d’habitation juives situées autour deJérusalem, comme Maalé Adoumim, Guivat Zeev, Beitar Illit et Efrat, alors quela majorité des quartiers arabes seraient transférés dans le futur Etatpalestinien.
Et dans l’esquisse de projet de partition de Jérusalem qui a émergé en 2000,sous l’égide de Bill Clinton à Camp David, Israël devait, en compensation decette partition, être autorisé à annexer plusieurs villes, dont Maalé Adoumim.
Lutter contre le grignotage

En mai 2008, la ministre des Affaires étrangèresTzipi Livni disait exactement la même chose. Toutefois, on comprend mal commentun tel projet pourrait contribuer à renforcer la sécurité de Jérusalem si onlaissait s’établir à Jérusalem-Est de nouveaux quartiers arabes quiconstitueraient une barrière entre la capitale et Maalé Adoumim, ne laissantsubsister entre les deux villes qu’un étroit couloir de liaison.
La principale menace qui pèse sur la future contiguïté réside dans legrignotage qu’effectuent les constructions palestiniennes illégales. En Judée-Samarie,les constructions, tant israéliennes que palestiniennes, sont régies parl’accord intérimaire Oslo II, signé le 28 septembre 1995.
Oslo II répartit les territoires en trois juridictions : la zone A, la zone Bet la zone C. En zone C, Israël conserve tous les pouvoirs en matièred’aménagement et de construction.
Or, E1 est précisément en zone C et les bâtiments palestiniens qui y ont étéédifiés récemment n’ont pas reçu d’autorisation israélienne, ce qui en fait desconstructions illégales.
En revanche, aucune clause des accords d’Oslo n’interdit les implantationsisraéliennes, un domaine que l’on a réservé à de futures négociations sur lestatut permanent. Et cette absence de gel israélien des constructions n’avaitpas empêché Yasser Arafat de signer l’accord intérimaire d’Oslo II.
Jusqu’à présent, Israël n’a construit dans la zone E1 qu’un poste de police etplusieurs routes, mais les maisons illégales arabes, elles, ont fleuri, surtoutdu côté d’A-Zaïm.
Bien que situées en Zone C, elles n’ont pas généré de réactions de la part del’administration civile israélienne. Les services de sécurité mettent cependanten garde : si Israël n’agit pas avec vigueur pour empêcher les Palestiniens des’approprier ces terres, il ne sera bientôt plus possible de mettre en pratiquele plan E1, notamment dans la zone industrielle et commerciale jouxtant Anata.Selon eux, il faut par ailleurs imputer une partie de la migration bédouinevers la zone E1 à la crainte de cette population de se trouver un jour reléguéede l’autre côté de la barrière de séparation.
Histoires de contiguïté 

Pour leur part, les Palestiniens ne cachent pas leurvolonté d’empêcher les constructions israéliennes dans la zone E1. Pour FaiçalHusseini, responsable palestinien mort en 2001, construire sans permis àJérusalem était l’une des armes dont disposaient les Palestiniens dans la luttecontre Israël. En 1993, Mouhamad Nadal, expert en planification urbaine àl’Institut d’Etudes arabes de la Maison d’Orient (ancien quartier général del’OLP), a imaginé un plan de construction de trois villes arabes autour deJérusalem, afin d’entourer les quartiers juifs construits après 1967. La zoneE1, dans l’optique israélienne, est presque le seul obstacle à la réalisationde l’objectif implicite de ce programme.
Sur le terrain, on voit clairement que le but des Palestiniens est de relierles quartiers arabes de Jérusalem aux quartiers adjacents et aux villes deJudée-Samarie. A l’époque du gouvernement Barak, les Palestiniens ontofficiellement demandé que la zone E1 leur soit transférée et devienne une ZoneB (sur laquelle ils exerceraient donc un contrôle civil), mais Barak a refusé.
La continuité des constructions entre Jérusalem et Maalé Adoumim créera unebarrière ostensible entre les régions palestiniennes du sud de Jérusalem et lesvilles palestiniennes du nord de la capitale.
En revanche, si la zone E1 passe aux mains des Palestiniens ou si lesconstructions palestiniennes à cet endroit s’intensifient, Maalé Adoumim setrouvera isolée de Jérusalem et la capitale d’Israël sera de nouveau àl’extrémité d’un couloir sans autre porte de sortie, redevenant uneville-frontière isolée sur les plans sécuritaire, économique et urbain,exactement comme avant 1967.
Aménager la zone E1 fera la différence entre une contiguïté juive estouest etune contiguïté palestinienne nord-sud. Ne pas construire fera basculer ladécision en faveur d’une contiguïté palestinienne aux dépens d’Israël.
Un plan vital 

Le 24 octobre 2007, Israël a exproprié 110 ha de terrain afin depaver une route réservée aux Palestiniens. La majeure partie de ce terrainétait propriété de l’Etat, et seuls 22,5 ha étaient des terrains privés. Laroute est destinée à permettre aux Palestiniens d’aller de Ramallah, au nord deJérusalem, jusqu’à Bethléem, au sud, sans être arrêtés par des barrages.
Elle passe par un tunnel sous la route Jérusalem-Maalé Adoumim, ce qui assureune continuité aux véhicules palestiniens, sans pour autant couper la voieentre la capitale et Maalé Adoumim.
Réaliser le plan E1 est donc vital pour Israël. Retarder sa mise enapplication, c’est risquer de ne plus pouvoir le faire, en raison desconstructions palestiniennes illégales et de l’installation des campementsbédouins. Sans ce plan, il est presque certain qu’une continuité palestiniennese créera à l’est de Jérusalem, séparant la capitale de Maalé Adoumim etfaisant de nouveau de Jérusalem une ville frontalière très isolée.
La même situation s’est produite à la fin des années 1990, quand il s’agissaitde construire le quartier juif de Har Homa dans les limites de la municipalitéde Jérusalem. Israël tenait à réaliser ce programme pour ne pas avoir à subirensuite des constructions palestiniennes qui auraient créé une enclave entre lequartier juif de Guilo et Talpiot-Est.
Israël a ainsi édifié Har Homa, malgré l’opposition des Etats-Unis, qui se sontpar la suite ralliés à sa position, sans pour autant l’approuver.
Si un Etat palestinien devait voir le jour, la continuité palestinienne entrela partie nord et la partie sud de la Judée-Samarie pourra être assurée aumoyen de la route de communication déjà programmée.
La construction de la zone E1 ne l’empêchera donc pas ; en revanche, si lesconstructions palestiniennes illégales se poursuivent et qu’Israël perd lecontrôle sur la zone E1, la contiguïté du territoire israélien, elle, seragravement compromise. 

Nadav Shragaï est l’auteur de Jérusalem, les dangers dupartage : une alternative pour la séparation des quartiers arabes (Centre desaffaires publiques et de l’Etat, 2008), de Le tombeau de Rachel : un lieu saintjuif et non pas une mosquée (Jerusalem Studies, 2005) et La lutte pour le montdu Temple : Juifs et Musulmans, religion et politique depuis 1967 (Keter 1995)