Un pont sous haute tension

Le pont des Maghrébins qui relie le Mur occidental au Mont du Temple continue de cristalliser toutes les passions. Retour sur les enjeux de cette nouvelle manifestation de la guerre judéo-arabe autour des lieux saints

Pont (photo credit: Seth J. Frantzman )
Pont
(photo credit: Seth J. Frantzman )

Deuxjours seulement après l’annonce de sa fermeture, Israël a finalement décidé derouvrir, mercredi 14 décembre, le pont des Maghrébins, une rampe qui relie leMont du au occidental. La structure précaire avait été fermée sur ordre de la municipalitéde Jérusalem pour raisons sécuritaires.

“La décision du gouvernement de fortifier la rampe d’accès et de remédier auxfaiblesses en matière de sécurité, en accord avec les directives des ingénieursde la ville, satisfait à nos exigences préliminaires d’assurer la sécurité desutilisateurs de la rampe”, a ainsi assuré la municipalité.
Construite en 2004 à titre provisoire après l’effondrement d’un précédentpassage, la rampe de bois permet aux visiteurs non musulmans ainsi qu’auxforces israéliennes d’accéder au Mont du Temple.
Mais, le pont des Maghrébins est situé sur l’un des sites les plus contestés dela planète, autant pour des motifs religieux que nationalistes.
Pour les Juifs, le Mont du a abrité le Premier et le Second Temples. Pour les Musulmans, Al-Haramal-Charif (le Noble Sanctuaire), l’autre appellation du site, accueille le Dômedu Rocher et la Mosquée Al-Aqsa, construite à la fin du 7e siècle de notre ère.
Dans une lettre datée du 28 octobre, l’ingénieur en chef de la municipalité deJérusalem, Shlomo Eskhol, accordait un mois au rabbin Shmuel Rabinowitz, legrand rabbin du Mur occidental, responsable de la gestion des lieux saintsjuifs, pour démanteler le pont des Maghrébins. Si Rabinowitz ne se pliait pas àla décision, prévenait Eshkol, la municipalité prendra acte et se chargera deson propre chef de la destruction de la rampe.
Eskhol n’a pas consulté le Waqf, mais des membres de cette autorité en chargedes lieux saints musulmans dans l’Etat juif auront rapidement vent de lanouvelle. Frénétiquement, des sites Internet islamiques à travers la planète,dont le site officiel du Hamas, appellent alors à une troisième Intifada si,par mégarde, les autorités israéliennes osent s’aventurer dans de quelconquestravaux sur le site, quand bien même il ne s’agirait que de renforcer le pont.

Un pont chargé d’histoire(s)

“Planter un arbre dans cette ville doit êtreréalisé avec une extrême prudence, car cela pourrait facilement constituer unmotif suffisant pour convoquer une réunion extraordinaire des Nations unies”,avait lancé le légendaire maire de Jérusalem, Teddy Kollek, dans un discoursprononcé le Jour de Jérusalem, journée marquant l’extension de la souverainetéisraélienne sur Jérusalem-Est.

du , objet de toutesles passions, donc. Pour les Juifs, Abraham y a ligaturé son fils Isaac. Et lesrois Salomon et Hérode y ont construit leurs . Pour les Musulmans c’est l’endroitd’où Mahomet serait monté au paradis lors de Isra et Miraj, le voyage nocturne.Un voyage mystique que le Prophète a effectué de La Mecque à Jérusalem. De ce le plus éloigné, littéralement serait monté au ciel pour rencontrer Moïse, Élie et Jésus.
Selon les accords conclus avec les responsables du Waqf au lendemain de laguerre des Six-Jours, le pont des Maghrébins est l’unique accès pour lesnon-Musulmans, dont les forces de sécurité, au du . Il aété construit à l’époque de la souveraineté jordanienne sur la ville, peu après1948.
Hiver 2004, un léger tremblement de terre déstabilise la rampe.
Quelques mois plus tard, en pleine nuit, c’est l’effondrement. A cetteheure-ci, peu de fidèles se pressent sur le site. Aucune conséquence tragiquedonc. Mais l’ancien maire de la Ville sainte, Ouri Loupolianski ordonnel’édification d’une structure temporaire. Les autorités compétentes de la villedélivrent très rapidement les permis nécessaires pour la construction sans latenue du moindre débat public sur la question, comme le stipule la loi. Lesresponsables de l’époque justifient ces irrégularités relevées par la nécessitéde fournir une solution immédiate.
Aucun officiel palestinien n’a été consulté. Mais s’exprimant sous couvertd’anonymat, des représentants municipaux ont toutefois confié au JerusalemReport que des responsables jordaniens avaient été “officieusement” rencontrés.De son côté, le ministère jordanien en charge du Waqf et des Affairesreligieuses a déclaré dans un communiqué que le ministre Abdoul Salam Abbadi acondamné la décision israélienne de démolir le pont des Maghrébins. Uneinformation rapportée par le Jordan Times.

Quand le cheikh Salah menace

Pendant l’édification de la structure temporaire,Loupolianski lance un appel d’offre pour un projet de construction d’unenouvelle rampe.

Un premier plan, très ambitieux, propose d’ériger un pont qui relieraitdirectement des Maghrébins à des Immondices.Un projet presque immédiatement abandonné en raison de l’opposition du public.Un second projet, plus modeste, prévoit la construction d’une structure enacier, à 60 285 mètres au-dessus des découvertes archéologiques et le long deslignes du pont actuel.
Le plan, récemment approuvé, a rencontré peu d’opposition. Ni les Palestiniens,ni le Waqf, qui ne reconnaissent pas l’autorité de la municipalité israéliennesur Jérusalem, n’ont formulé d’objections. L’actuel maire de la capitale, NirBarkat, dans le sillage de Loupolianski, a également approuvé ce plan.
Puis, en juillet 2007, l’Autorité des antiquités israéliennes a effectué lespremières excavations, en suivant scrupuleusement les procédures fixées par lalégislation israélienne. Des travaux de rénovation finalement mis en bernesuite à de vives protestations. Des manifestations de masse parfois violentesont éclaté dans le monde musulman.
Une délégation de l’organisation des Nations unies pour l’éducation, la scienceet la culture (UNESCO) se rend alors sur le site. Le verdict est sans appel :Israël ne met aucun lieu saint musulman en danger.
Mais le cheikh Raed Salah, le leader de la branche nord du Mouvement islamique,n’en démord pas. Il lance un appel à la mobilisation à l’adresse des fidèlesmusulmans pour sauver la mosquée Al-Aqsa, menacée, assure-t-il, de destruction.L’effet est immédiat : cinq jours d’émeutes secouent la Ville sainte. Accuséd’agression à l’encontre d’un officier de police, Salah est arrêté avant d’êtrefinalement acquitté.
Par la suite, l’UNESCO va adopter une résolution demandant à Israël de cesserimmédiatement tous les travaux archéologiques dans la Vieille Ville deJérusalem. En particulier, les travaux sur le Pont des Maghrébins.

Une question de souveraineté

Selon Jamal Abou-Toameh, conseiller juridiqueauprès du Waqf, l’enjeu principal de ce dossier est en réalité lanon-coopération avec Israël.

“Nous ne reconnaissons pas l’autorité d’Israël et de la municipalité, puisquenous considérons que la souveraineté sur ce lieu appartient exclusivement auWaqf”. Abou-Toameh poursuit l’explication : “Nous ne pouvons collaborer avec lamunicipalité au sujet d’un site appartenant à l’esplanade des mosquées. Etc’est aussi la position du gouvernement jordanien. C’est pourquoi nous n’avonsà aucun moment coopéré avec les autorités israéliennes, et avons fait appel àl’UNESCO, en leur demandant d’intervenir pour faire cesser les travaux sur unsite sous notre souveraineté.”
Selon Abou-Toameh, la question de la souveraineté constitue l’enjeu principalde ce dossier, faisant fi de toute considération d’ordre sécuritaire.
Le Dr Yitzhak Reiter, professeur en Politique du Moyen-Orient et en étudesislamiques au Collège académique d’Ashkelon et à l’Université hébraïque deJérusalem, également chercheur associé à l’Institut d’études sur Israël, àJérusalem apporte ses précisions. “La Jordanie est le principal opposant àl’édification d’un nouveau pont. En réalité, à ce jour, seule l’objectionjordanienne empêche la construction d’une nouvelle structure. Israël devraitchercher à atteindre une sorte de compromis avec les Jordaniens.”
“Le maire fait tout son possible pour ne pas être impliqué dans ce dossier,afin de ne pas exacerber les tensions”, a confié un haut responsable, proche dumaire, au Jerusalem Report. “Cette construction est dangereuse et ne satisfaitaucune norme de sécurité. Il est inconcevable que la municipalité doive sesoustraire à ses responsabilités et ne plus assurer la sécurité de sesrésidents par crainte d’émeutes.”
Si l’adjoint au maire, Pepe Alalou, membre du parti d’extrême-gauche Meretz,admet volontiers le danger posé par cette rampe, il critique néanmoins lagestion du dossier par les autorités municipales. En dépit des positionsofficielles palestiniennes et jordaniennes, Alalou croit fermement en lapossibilité d’une coopération entre les différentes parties sur la question.“Les Arabes aussi souhaitent un nouveau pont”, souligne-t-il. “Il y a plusieursfaçons d’aborder des dossiers aussi sensibles. Une question si épineuse que lesregards du monde entier se posent sur nous. Nous ne pouvons agir à notreguise.”

Un piège mortel ?

“Les considérations politiques dominent le débat”, expliqueune source proche du bureau de l’ingénieur en chef de la municipalité auJerusalem Report. “Mais en cas de catastrophe ? Que faire si, à Dieu ne plaise,des touristes sont écrasés ou si les policiers doivent accéder au du via le pont ?” Selon Meir Margalit, également membre du parti Meretz etcoordinateur de terrain pour le Comité israélien contre les démolitions demaisons (CICDM), la municipalité a tenté d’impliquer les représentants du Waqfdans la planification et la construction du nouveau pont.

Pourtant, Margalit n’hésite jamais à hausser le ton contre la municipalité.
En charge des Affaires des résidents arabes de la ville dans le cadre de sesfonctions au service du Conseil municipal confieau Report : “Je ne pense pas que ce vacarme soit justifié. Ils sont tousparfaitement conscients que personne ne cherche à causer de dégâts à Al- Haramal-Sharif ou à la mosquée Al-Aqsa. Ce sont les représentants du Waqf qui ontrefusé de participer au processus, car ils refusent de reconnaître lasouveraineté israélienne sur le site. Les résidents palestiniens de Jérusalemont plusieurs autres dossiers bien plus brûlants à gérer. Et l’argument selonlequel un nouveau pont permettra à beaucoup plus de juifs d’accéder au est ridicule. Siles Juifs veulent accéder au site, ils le feront.”
Aucun commentaire officiel de la part des institutions officielles liées deprès ou de loin à la gestion du lieu, de la police à la Fondation pour le MurOccidental, un département du ministère des Affaires religieuses en charge duMur occidental.
En réponse aux questions posées par le Report, les bureaux de Rabinowitz et deson directeur général, Mordechai Eliav, répondent : “Nous avons reçu lesrecommandations de la municipalité et elles ont été transférées aux autoritéscompétentes.” Le porte-parole du bureau du Premier ministre a refusé derépondre à nos interrogations.
La sécurité des constructions dans le Saint Bassin, qui englobe la VieilleVille et ses environs immédiats, dont le quartier de Silwan, fait largementdéfaut. L’ingénieur de la municipalité, Ouri Chetrit, tire la sonnetted’alarme. Selon lui, les responsables israéliens sont peu regardants à l’égardde ces considérations sécuritaires pour des raisons politiques. “Les bâtimentsont été construits sur une pente raide, sans fondations.
Un hiver particulièrement pluvieux et c’est la zone entière qui pourrait setransformer en un piège mortel boueux”, explique-t-il au Report.
Logements et structures de Jérusalem-Est, dans le quartier de Silwan enparticulier, restent par ailleurs pris en étau, dans la lutte interminable quese livrent Nir Barkat et le Waqf.