Un porte-parole pas comme les autres

Pendant dix ans, Raanan Gissin, fidèle conseiller d’Ariel Sharon, a été le principal lien entre Israël et la presse étrangère.

Tout au long de sa carrière ou presque, RaananGissin a joué le rôle d’intermédiaire entre Israël et la presse étrangère. Figurediscrète, il ne portait pas d’autre titre que celui de « conseiller », surtoutau temps où il mettait sa grande éloquence au service du Premier ministre ArielSharon.
Désormais âgé de 64 ans, voilà bien longtemps qu’il a pris sa retraite deTsahal (c’était en 1993). Sept ans après avoir officiellement quitté son postede conseiller personnel de Sharon, 85 ans, tombé dans le coma en 2006, iln’espère plus reprendre un jour ces petits tête-à-tête qu’ils avaient chaquematin, au temps où Sharon était Premier ministre.
Pour les journalistes étrangers qui ont couvert l’actualité en Israël cestrente dernières années, Gissin représentait une bouffée d’air pur, comparé auxautres porte-parole de Tsahal, qui se cantonnaient au vocabulaire limité dictépar leurs supérieurs. Au lieu d’adhérer à la « langue officielle » de Tsahal,Gissin multipliait les sourires et ses anecdotes faisaient la joie de lapresse. Les représentants des médias aimaient citer mot à mot lescommunications faites par ce porte-parole très exubérant. Il avait le dond’expliquer les stratégies militaires ou diplomatiques d’Israël en termesclairs et succincts : du pain bénit pour la presse étrangère.
En son temps, Abba Eban avait été considéré comme le porte-parole le pluséloquent de l’histoire d’Israël ; toutefois, son accent britannique distinguéet son habitude de louer les talents exceptionnels des juifs créaient unecertaine distance. On ne pouvait rien reprocher de tel à Gissin ; ils’adressait pour sa part aux caméras de télévision avec la simplicité etl’assurance du kibboutznik qu’il a été jadis.
Etudes et bagarres de rue 
J’ai rencontré Gissin en début d’année à l’hôtelHilton de Tel- Aviv et il s’est montré particulièrement prolixe sur la santé deSharon. Il avait de bonnes raisons à cela : de récents examens ont révélél’existence d’une réactivité cérébrale significative en réponse à des stimuliexternes, suggérant que Sharon entendait peut-être et pouvait comprendre ce quise disait près de lui. Néanmoins, ni Gissin ni aucun autre proche de Sharon nese risqueraient à envisager l’idée que l’ex-Premier ministre puisse reprendreconnaissance un jour.
Assis en face de moi, Gissin sirote un coca sans sucre. Il porte un blousonnoir, frappé de son nom devant et, au dos, de l’insigne de l’armée de l’airaméricaine. Un cadeau d’un professeur américain de saut en parachute, qui leremerciait ainsi de lui avoir organisé un saut avec des parachutistesisraéliens.
A l’époque, se souvient Gissin, « Sharon était vert de jalousie.
Lui qui avait commandé une unité de parachutistes de Tsahal et s’était élevé augrade de général en chef pendant sa carrière militaire disait n’avoir jamaisreçu un tel présent ! » Raanan Gissin est né en 1949 à Raanana. Sonarrière-grandpère David Gissin a quitté l’Ukraine pour la Palestine en 1879. Al’âge de six mois, Gissin s’installe avec ses parents au kibboutz Hasolelim,dans le nord d’Israël. « Du coup », raconte-t-il, « j’ai grandi dans unenvironnement d’adultes où il n’y avait ni papa ni maman : il y avait juste Oraet Arky [le surnom de son père Arieh].
En 1955, à l’âge de 6 ans, il part passer trois ans à Brooklyn, où son pèretravaille pour l’organisation sioniste Young Judaea, qui recrute des nouveauxmembres pour le kibboutz. « Pendant cette période, j’ai beaucoup étudié et jeme suis beaucoup battu dans la rue », se souvient Gissin.
C’est également pour lui l’occasion d’apprendre l’anglais. La maîtrise de cettelangue fera de lui, des années plus tard, le porte-parole israélien le plusrecherché.
Un doctorat mais pas de lunettes 
La famille Gissin retourne ensuite aukibboutz, mais déménage deux ans plus tard pour s’installer à Kiryat Shmona.
Après le lycée, Gissin est enrôlé dans Tsahal en 1967 et devient commandant encharge de la batterie de missiles antiaériens Hawk. Il utilise en outre saconnaissance de l’anglais pour traduire les notices d’utilisation des nouvellesarmes.
« J’ai détruit deux avions égyptiens au-dessus de Ras Soudar pendant la guerred’usure de 1970 », raconte-t-il fièrement.
« C’était l’une des premières fois que le missile Hawk a fait ses preuves. » En1973, après trois ans d’études de sociologie et de sciences politiques àl’Université hébraïque de Jérusalem, il obtient un job d’accessoiriste pour latélévision israélienne. Cela lui donne envie de poursuivre sa carrière dans lesmédias.
Toutefois, après la guerre de Kippour, qui coûte la vie à son frère Eitan, lesplaces sont chères à la télévision. On lui propose un poste de directeurtechnique, mais il estime que ses diplômes l’autorisent à espérer mieux.N’a-t-il pas produit un film avec un ami lorsqu’il était étudiant ? Gissindécide donc de poursuivre ses études.
En 1975, il s’envole pour les Etats-Unis avec 1 000 dollars en poche et unebourse d’études. En 1979, il obtient son doctorat à l’université de Syracuse(Maxwell School of Citizenship and Public Affairs) et semble déjà destiné à unecarrière étroitement liée à celle d’Ariel Sharon. Le sujet de sa futur, et ilchoisit Sharon comme modèle, car celui-ci, dit-il, « dirigeait par l’exemple ».
Quatorze ans plus tard, Sharon demandera à lire sa thèse.
« Elle fait 400 pages », lui répond Gissin. « Dans ce cas, faites-moi un résumé», ordonne Sharon. Après avoir lu ce dernier, l’ancien Premier ministre lance,laconique : « Oui, c’est bien moi ! ».
De 1979 à 1982, Gissin travaille dans la toute nouvelle direction de laplanification stratégique. Ehoud Barak, alors en charge de cette institution, aun jour décrit l’activité de Gissin à un général curieux de comprendre ce quefaisait celui-ci : « Il a un poste très spécial. C’est la seule personne quireste assise le plus clair de son temps devant une feuille blanche. » Quandéclate la guerre du Liban, en 1982, le porte-parole de l’armée se plaint aumême Barak, alors commandant adjoint des forces israéliennes au Liban, de nepas avoir de porteparole parlant bien l’anglais. « J’ai ce gars-là, si tu veux», lui répond Barak. « Il a un doctorat, mais pas de lunettes, et son anglaisest parfait. » 
Pas assez « technique » 
Gissin devient alors le lien entreTsahal et la presse étrangère.
C’est le début de sa carrière de représentant d’Israël auprès des médiasétrangers. « Je disais toujours qu’il m’avait fallu douze mois pour obtenir monmaster de journalisme de presse audiovisuelle », se souvient-il, « mais qu’ilm’a fallu moins de douze jours à Beyrouth en compagnie de journalistesétrangers pour oublier tout ce que j’avais appris à la fac ! » Jusqu’à la findes années 1990, Gissin restera porte-parole adjoint de Tsahal, responsable desmédias étrangers. En cette qualité, il sert de conseiller spécial dans ladélégation israélienne pour la conférence de la Paix de Madrid, en 1991, ainsique pour les négociations qui suivront avec les délégations palestiniennes àWashington.
Voilà douze ans qu’il « partage sa vie » avec Anat Meir. Il a deux fils d’unepremière épouse, Chaya : Eitan, 36 ans, et Jonathan, 32, qui travaillent l’uncomme l’autre dans le high-tech. Anat Meir exerce le métier de coach de remiseen forme. Elle a tenté sans succès de faire maigrir Ariel Sharon.
C’est ce dernier qui l’a présentée à Gissin, lui-même sportif averti. Trèsvite, tous deux ont commencé à faire leur jogging ensemble et à se fréquenter.
En 1993, Gissin quitte Tsahal : il a compris qu’il n’obtiendrait jamais leposte de porte-parole militaire dont il rêve. « Je n’avais pas envie de jouerles lèche-bottes. Dans ce domaine, il faut faire copain copain avec tout lemonde. Ce n’est pas tellement ce que l’on connaît qui compte, c’est qui onconnaît. » Barak, alors chef d’état-major de Tsahal, a besoin d’un porte-parole« technique » (selon les termes de Gissin), et non de quelqu’un comme lui, quilivre aux journalistes les dernières réflexions israéliennes sur la stratégiemilitaire et politique, que les journalistes aiment entendre.
Homme « tout terrain » 
Les dix années que Gissin passera au service d’ArielSharon commencent en 1996, quand ce dernier, fraîchement nommé ministre del’Infrastructure nationale, l’engage comme conseiller et porte-parole – ou,comme dit Gissin, « pour jouer les hommes de main tout terrain ». Nommé Premierministre en février 2001, il ne conserve qu’un seul conseiller dans sa nouvelleéquipe : Gissin.
Devenu aide du Premier ministre pour la presse étrangère, Gissin lit celle-ci àson patron presque tous les matins. Pour cela, il le rejoint dans son ranch desSycomores, face à la bande de Gaza, dès 5 h 30 et, ensemble, ils font les deuxheures de route jusqu’aux bureaux de Jérusalem. Durant ces années-là,l’adulation que porte Gissin au Premier ministre se teinte d’un profondrespect. L’ancien aide bat des paupières et son sourire s’élargit lorsqu’ill’évoque aujourd’hui. On sent que les problèmes de santé de Sharon, qui ontcommencé en 2005, ont créé un vrai vide dans sa vie… Le 18 décembre 2005,Sharon est victime d’une première crise, bénigne, alors qu’il se rend à saferme. Il est transporté au centre hospitalier de Hadassah Ein Kerem, àJérusalem, où des examens révèlent l’existence de complications cardiaques.Aujourd’hui, soit sept ans plus tard, Gissin laisse entendre que les médecinsde Sharon, trop impressionnés par la stature du personnage qu’ils avaient entreles mains, ont peut-être mal soigné leur patient. « Ils ne l’ont pas traitécomme un patient normal », affirme-t-il en mentionnant l’angioplastie pratiquéeet l’anticoagulant (Clexane) administré. « S’il n’avait pas été Premierministre, ils auraient peut-être attendu un peu avant de prescrire de telstraitements. » La deuxième attaque frappe Sharon trois semaines plus tard, danssa ferme. Elle est beaucoup plus grave. Transféré d’urgence à Hadassah, ilsubit deux opérations successives avant d’être placé dans un coma provoqué, oùil reste plongé aujourd’hui.
Durant les sept années suivantes, Gissin, toujours considéré comme sonporte-parole, n’a pratiquement rien à dire de son patron. Une fois par an, ilpublie un communiqué sur l’état de l’ancien Premier ministre. Mais,confie-t-il, « c’est juste histoire qu’on ne l’oublie pas, lui et tout ce qu’ila fait… » 
Porte-parole officieux 
Gissin n’est jamais allé voir Sharon àl’hôpital. « Je voulais me souvenir de lui tel que je l’avais connu et chérirson héritage. Je n’ai pas eu envie de voir ce qu’il était devenu aprèsl’opération du cerveau et le coma », explique-t-il.
Pendant une brève période, Gissin devient conseiller de l’ancien Premierministre Ehoud Olmert, mais il trouve la transition difficile. « J’aurais pudemander à rester, mais quand on a travaillé avec Churchill, on ne peut pastravailler avec Attlee », lance-t-il malicieusement.
La question de savoir s’il faut vraiment maintenir Sharon en vie est délicate.« On ne peut pas se contenter de débrancher les appareils », explique-t-il. «Il faudrait lui injecter quelque chose. La famille a pris la décision de ne pasle faire, parce qu’elle estime qu’en ce qui nous concerne, nous voyons dessignes qu’il est en vie. Il n’est pas en état de mort cérébrale. » Mais Sharonlui-même, qu’aurait-il voulu ? « Connaissant l’homme qu’il était, sa vitalitéet son esprit », suggère Gissin, « s’il se réveillait tout à coup pour cinqsecondes et qu’on lui donnait le choix, il dirait : “Qu’on en finisse !” » Ets’il se réveillait, quels seraient ses premiers mots ? « Je pense qu’ildemanderait à son fils Guilad : “Combien de moutons sont nés à la ferme pendantmon sommeil ?” ».
Aujourd’hui, Gissin continue – quoique de manière officieuse – à jouer un rôlede porte-parole pour la presse étrangère.
Durant notre entretien, un journaliste de CNN a d’ailleurs téléphoné pour luidemander une interview. Il est en outre sollicité par les grands médias arabescomme al-Djazira, el-Arabiya, la BBC en arabe et Alhurra TV pour commenterl’actualité. Enfin, il organise des cours pour diplomates sur la manière demieux passer à la télévision. Lors de la visite du président Obama en Israël,en mars dernier, on l’a vu jouer les commentateurs à la télévision israéliennependant plusieurs heures.
Et il est très heureux comme ça ! « Chaque fois qu’il se passe quelque chosed’important », déclare-t-il fièrement, « mon téléphone sonne. Echange de bonsprocédés », ajoute-til avec malice. « En retour, l’armée m’autorise à sauter enparachute de temps en temps… ».