La revanche du Likoudnik

Essentiellement séfarade de la périphérie, il a conspué Bibi pendant la majorité de la campagne. Mais au moment fatidique, celui pour qui l’adhésion à droite se transmet de père en fils est resté fidèle à ses premières amours. Tout en se jouant des sondages

Les urnes ont parlé (photo credit: REUTERS)
Les urnes ont parlé
(photo credit: REUTERS)
En Israël, la loi interdit la publication de sondages prévisionnels au cours des 4 jours qui précèdent la tenue d’élections législatives. Jeudi 13 mars au soir, les instituts de sondage se retiraient donc de la scène publique, laissant les électeurs avec les dernières estimations : la domination du camp de gauche sur un Likoud en perte de vitesse. Et pendant que les enquêtes d’opinion se poursuivaient loin des caméras, les Israéliens, eux, faisaient et défaisaient leurs choix. Jusqu’à parvenir à un résultat qui allait prendre de court l’ensemble de la classe politique, les médias et les instituts de sondages eux-mêmes : la victoire contre toute attente d’un Benjamin Netanyahou fort de 30 mandats, contre un score nettement inférieur pour le Camp sioniste, avec 24 sièges engrangés. Victoire contre toute attente ? Pas si sûr…
Explications et analyse avec le professeur Eytan Gilboa, directeur du centre des études stratégiques BESA de l’université Bar-Ilan.
Pourquoi, sur ces élections, les instituts de sondage se sont trompés à ce point quant aux estimations de vote à la sortie des urnes ?
Les instituts de sondage sont gérés par des personnes très expérimentées, qui connaissent leur métier. Si on regarde les blocs droite-gauche, les sondages ont globalement bien évalué la répartition des voix. Et dans l’ensemble, les résultats pour la majorité des partis étaient assez proches des prévisions : 24 mandats pour le Camp sioniste, 11 pour Yesh Atid, 10 pour Koulanou. La seule vraie différence concerne le score de Benjamin Netanyahou, dont personne n’avait prédit les 30 mandats. Au sujet du Likoud, les instituts de sondage ne se sont pas trompés, ils ont été induits en erreur.
C’est-à-dire ?
Nous avons assisté cette année à un phénomène peu commun. Beaucoup d’électeurs du Likoud ont donné de fausses réponses quand ils ont été interrogés par les instituts de sondage.
C’est un fait délibéré ?
Oui, ils l’ont fait délibérément pour punir les médias, y compris la télévision, qu’ils considèrent contre eux. Bien sûr, il faut aussi reconnaître qu’au cours des derniers jours, Benjamin Netanyahou a su mener une campagne efficace pour ramener à lui les déçus du Likoud, mais ce n’est pas tout. Les électeurs de droite se sont joués des instituts de sondage. Quand, à la sortie des isoloirs, on leur a demandé de déposer dans l’urne réservée aux enquêtes d’opinion le même bulletin qu’ils venaient de placer dans l’urne électorale, ils ont délibérément tronqué leurs réponses.
Cela ne c’était jamais produit ?
Si, cela a déjà existé par le passé, mais cette fois l’ampleur a été particulièrement importante, dans une volonté de se venger d’une presse dans son ensemble anti-droite, ce qui n’est pas faux…
Jusqu’à quel point la presse porte-t-elle une responsabilité dans la victoire de Netanyahou ?
La presse s’est comportée de façon anti-Bibi de façon excessive et cela a grandement contribué à la victoire de ce dernier. Elle s’est attaquée à Netanyahou, à Sara, aux électeurs du Likoud. Et de fait, dès qu’on se présente en tant que victime, seul contre tous, harcelé par le monde entier y compris par les Etats-Unis, cela ramène les électeurs « à la maison ». Et il faut dire aussi que la campagne du Camp sioniste s’est révélée une catastrophe. Ils ont fait appel, sur le tard, au publiciste Reuven Adler pour gérer leur campagne. Stratège et ami d’Ariel Sharon, Adler avait conduit à la victoire de Kadima en 2006. Sa technique consiste à s’acharner sur l’adversaire, coûte que coûte. Cela a pu marcher par le passé, mais pas cette fois, les attaques étaient trop frontales, trop agressives.
Peut-on dire également que les instituts de sondage sont acquis à gauche ?
Non, pour la simple raison simple que les instituts de sondage pensent avant tout à leur réputation. Ce sont des entreprises commerciales qui ne vivent pas grâce aux élections. Elles sont commanditées par les médias ou les partis en période électorale, mais le reste du temps, elles ont d’autres clients qu’elles ne peuvent prendre le risque de décevoir. De toute façon, tous les instituts se sont trompés, quel que soit le média pour lequel ils travaillaient.
L’argument de la vengeance du Likoudnik peut éventuellement expliquer le décalage entre les estimations de 22 heures et les résultats définitifs. Mais tout au long de la campagne, les instituts n’ont jamais laissé présager une possible victoire de Netanyahou. Au contraire, le Premier ministre était plutôt malmené dans les sondages par son adversaire Herzog ?
Cela s’explique par le fait que nombre d’électeurs du Likoud n’étaient pas sûrs de voter Netanyahou et faisaient partie des indécis. Nous savons qu’en Israël, beaucoup font leur choix au dernier moment, parfois même dans l’isoloir. Cette année, entre 12 et 15 mandats ont été le fruit du vote des indécis, et une part non négligeable est allée à Bibi, qui a su, en quelques jours, se lancer dans une campagne réussie et ramener les indécis au bercail.
Les sondages ont-ils aidé Netanyahou ?
Oui, car au vu des estimations aux derniers jours de la campagne, le chef de file de droite a pu réveiller son électorat et lui dire : « Si vous ne voulez pas perdre le pouvoir, il faut aller voter Likoud », et cela a marché.
Les électeurs du Likoud sont pour la plupart des Mizrahim, issus des villes en voie de développement, chez qui le sens de l’honneur est très prononcé. Le rassemblement du Camp sioniste place Rabin à Tel-Aviv a eu le résultat inverse de celui qui était escompté : non seulement il n’a pas ramené de mandats à la gauche, mais il a même donné un coup de pouce au Likoud grâce à Yaïr Garbuz qui a vexé et humilié les électeurs traditionalistes et séfarades de droite. Herzog lui-même a reconnu, lors d’une interview peu après les élections, que cette intervention avait porté atteinte au Camp sioniste. Le Likoudnik déteste la presse et les élites, ce qu’on appelle l’Etat de Tel-Aviv, et en dépit de ses frustrations, ils s’est tout de même rallié derrière Netanyahou.
Doit-on parler d’une victoire de Netanyahou ou du Likoud ?
C’est uniquement la victoire de Netanyahou. C’est lui qui a su faire le travail.
Ces récentes élections ont marqué, peut-être plus encore que d’habitude, la scission au sein du pays entre Tel-Aviv et la périphérie. N’est-ce pas inquiétant ?
Oui, mais c’est la réalité de la situation sur le terrain. Cette division du peuple est dangereuse et superflue, mais elle existe encore. D’ailleurs, ce n’est pas une scission en deux, elle n’est pas de moitié-moitié, mais d’un tiers-deux tiers. Le pays a voté à droite pour deux tiers et à gauche pour un tiers.
Si cette division perdure, il est donc difficile d’imaginer un jour la gauche gagner ?
Absolument. Si la gauche n’a pas su l’emporter aujourd’hui, on peut se demander quand elle le pourra. Depuis 1992, soit depuis 33 ans, seuls deux Premiers ministres travaillistes, Itzhak Rabin et Ehoud Barak ont gagné les élections. Il s’agissait de deux personnalités au fort passé sécuritaire – on les appelait d’ailleurs les bithonistim (sécuritaristes) – et qui incarnaient l’aile droite de la gauche.
Le Camp sioniste n’a pas su parler à la périphérie. Ils n’ont pas compris ce qui se passe sur le terrain, et ils n’ont pas d’explication non plus au retournement de situation des derniers jours. Ils ont cru que, si les électeurs affirmaient devant les micros et les caméras qu’ils n’allaient pas voter Likoud, cela allait vraiment se passer. Mais au contraire ! Les ouvriers du sud et ceux qui ont souffert de la dernière guerre ont finalement voté Likoud. La gauche était persuadée qu’ils allaient voter pour elle.
Itzhak Herzog a-t-il l’étoffe pour convaincre les habitants de la périphérie ?
On lui a reproché son manque de charisme, et à juste titre. Il aurait dû se montrer beaucoup plus agressif face à Netanyahou, qui est un grand manipulateur. Herzog n’est pas fait pour ça, il est trop délicat, il faudra un homme de poigne pour battre le Likoud. Car, même si le Likoud reproduit toujours les mêmes erreurs qui déçoivent la périphérie sur le plan intérieur et sur le front extérieur, il est reconduit.
Le score du Likoud va-t-il lui permettre de former facilement une coalition ?
Non, ce n’est pas sûr. Les négociations seront difficiles. Le Likoud est obligé de faire entrer Moshé Kahlon car, sans lui, il ne détient que 57 mandats (sur les 61 nécessaires pour parvenir à la majorité, N.D.L.R.). Ce ne sera pas aussi simple qu’on le pense, car chaque parti s’estime nécessaire pour former la coalition, cela fait donc monter les enchères de façon excessive.
Il existe plusieurs types de demandes : les ministères de premier plan, les commissions parlementaires, et aussi des engagements sur les lignes directrices, les lignes fondatrices du prochain gouvernement. Selon la loi, Netanyahou dispose de deux fois 21 jours, soit un total de 42 jours pour former son gouvernement. Il espère pouvoir le faire en 3 semaines, mais cela me paraît difficile.
Est-ce qu’on peut imaginer qu’il ne parvienne pas à constituer de coalition ?
C’est toujours possible. Si Moshé Kahlon n’obtient pas ce qu’il veut, par exemple. Il faut également satisfaire Avigdor Liberman, car, sans lui, le bloc de droite comptabilise 61 sièges, ce qui est trop juste. D’ailleurs, même avec 67 mandats – et je ne vois pas comment il pourrait en obtenir plus – on ne peut parler de stabilité. La coalition sera problématique, car chaque parti pourra la mettre en danger et menacer de la dissoudre s’il en sort.
Quelle est la marge de manœuvre de Netanyahou ?
Elle est réduite. Il lui sera impossible de répondre favorablement à toutes les demandes, et beaucoup formulent les mêmes requêtes. Ils sont 4 ou 5 à prétendre au ministère des Affaires étrangères, 4 ou 5 à réclamer la tête de la commission parlementaire des Finances. Et il faut aussi savoir que les membres du Likoud ne veulent pas non plus renoncer à tous les portefeuilles clés au profit des autres partis.
Va-t-on vers une hausse du nombre de ministères ?
Pour l’heure, le gouvernement compte 18 portefeuilles. Liberman a fait savoir qu’il s’opposait à modifier ce nombre, et les religieux aussi. Netanyahou serait prêt à le faire, cela ne le dérange pas, il l’a déjà fait par le passé. Mais il aura du mal. D’ailleurs, c’est aussi difficile de diriger un vaste gouvernement, et il est impossible que tous les députés soient ministres !
Peut-on imaginer un 5e gouvernement Netanyahou ?
Non, je pense qu’il s’agit de son dernier mandat. De toute façon, j’imagine mal la coalition aller jusqu’au bout de son mandat de 4 ans…