Coalition : gare aux dérapages !

Yariv Levin, un des hommes clé du Likoud, est heureux de quitter la présidence d’une coalition instable et « irresponsable », face à ce qui s’annonce comme un hiver orageux à la Knesset

knesset  (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
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(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
« Les vacances parlementaires n’ont pas été assez longues », déclare le député Yariv Levin (Likoud) cette semaine, à l’issue d’une intersession de trois mois de l’activité législative à la Knesset. « D’ordinaire, j’ai hâte de revenir, mais pas cette fois-ci. »
Tout en sirotant un milk-shake à la vanille dans un café de Tel-Aviv, entouré de bureaux high-tech, il rapporte une conversation avec son alliée de toujours, Ayelet Shaked, présidente du groupe HaBayit HaYehoudi, qui illustre le climat délétère qui règne au sein la coalition. « Elle voudrait déjà en avoir fini avec la session d’hiver, qui ne commence pourtant que la semaine prochaine ! »
La fin de la longue pause estivale marque toutefois au moins un changement positif selon Levin : le président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense Zeev Elkin va le remplacer à la tête de la coalition.
« Ce qui me turlupine le plus, quand je ne serai plus président de la coalition, c’est de savoir ce que je vais faire quand je ne serai plus menacé au téléphone, tous les jours, de voir quelqu’un quitter le gouvernement ou voter contre lui », déclare-t-il d’un ton sarcastique. Et d’ajouter : « Cela arrive tous les jours. Et je n’exagère pas. »
Une coalition irresponsable ?
Levin est à la Knesset depuis moins de six ans, mais il a déjà la nostalgie du bon vieux temps. « Ce qui manque dans la politique aujourd’hui, c’est le sens des responsabilités », affirme-t-il. « Depuis ma prise de fonctions, j’ai toujours eu le sentiment que si l’on a le privilège de siéger au gouvernement et à la Knesset, cela implique aussi une immense responsabilité. On ne peut pas provoquer une crise à propos de tout et n’importe quoi… On doit se montrer solidaire afin que le gouvernement et la Knesset puissent fonctionner et diriger ce pays avec tous les défis auquel il doit faire face. »
« Pour preuve de cette irresponsabilité, il n’y a qu’à regarder comment les ministres se sont comportés pendant l’opération Bordure protectrice », poursuit-il. Et de dénoncer la culture de « fuites non-stop et de décisions influencées par les grands titres des journaux, un des phénomènes les plus navrants de la Knesset actuelle ».
On a vu des ministres voter en faveur de telle ou telle décision en réunion de cabinet, pour faire ensuite le tour des médias et se mettre à dénigrer ce qu’ils venaient juste d’approuver, souligne Levin.
« Si quelqu’un a le sentiment de ne pas pouvoir assumer la responsabilité d’une décision, qu’il le dise et qu’il démissionne. On ne peut pas être partie prenante d’une certaine ligne de conduite pour ensuite faire campagne contre ce que l’on a soutenu une minute plus tôt », déclare-t-il.
La faiblesse du Likoud
Le problème majeur de la coalition, selon Levin, est la taille réduite du Likoud. Avec le départ du ministre de l’Intérieur Gidon Saar, il ne lui reste que 18 sièges. Et au sein de la coalition, bon nombre de dirigeants de parti s’imaginent déjà futurs premiers ministres. Chaque partenaire peut proférer des menaces, parce que chacun a le pouvoir de faire tomber le gouvernement.
« La faiblesse du premier parti le met à mal pour ouvrir la voie : il doit constamment négocier le bon vouloir de ses partenaires », explique-t-il. « Chacun a l’impression de pouvoir faire pression pour obtenir ce qu’il souhaite, qu’il s’agisse de faire passer un projet de loi ou de bloquer celui d’un autre. Cela mène à la paralysie. »
Les partis de la coalition sont en désaccord sur les questions de première importance, comme les pourparlers de paix et les rapports de la religion et de l’Etat : ils sont constamment au point mort, refusent les compromis et menacent de laisser tomber.
Des menaces qui frôlent l’irresponsabilité, mais ne marquent pas une réelle volonté de démanteler le gouvernement. « Il en résulte toutefois une dynamique qui pourrait bien dégénérer à un moment donné et provoquer des élections anticipées. »
Levin souhaiterait voir deux grands partis majeurs émerger des prochaines élections, avec de petits partis satellites. Cela rendrait la coalition plus viable, affirme-t-il.
« Je sais que les sondages ne vont pas dans ce sens. Nous sommes en démocratie et c’est aux électeurs de décider. Mais je ne peux que conseiller aux lecteurs de réfléchir à tout cela. Nous payons tous le prix d’une Knesset divisée. Personne ne peut gérer la moindre affaire dans ces conditions », ajoute-t-il. Selon lui, il faut davantage de députés et de ministres du Likoud pour garantir la stabilité du prochain gouvernement.
Pour autant, affirme Levin, la perspective de prochaines élections est bien ce qui empêche la coalition de voler en éclats, malgré ses différences. En effet, la recomposition parlementaire entraînerait le recul de la plupart des formations politiques.
Pas d’élections anticipées
En dépit de tous les problèmes actuels, estime Levin, mieux vaut laisser les choses comme elles sont plutôt que de courir le risque d’une plus grande instabilité avec la tenue d’élections tous les deux ans.
Le député Likoud aurait préféré un gouvernement d’union avec les partis ultraorthodoxes, mais il semble impossible de remplacer les partis « difficiles » – comme Yesh Atid – par Shas et le Judaïsme unifié de la Torah, en raison du veto du ministre des Affaires étrangères Avigdor Liberman, opposé à tout changement de la coalition.
De même, Levin n’imagine pas comment le Premier ministre Benjamin Netanyahou pourrait bloquer le projet de loi présenté par le député de Hatnoua, Elazar Stern, qui permettrait aux rabbins locaux de pratiquer des conversions, à titre de geste envers les harédim parce qu’une élection est proche. Au contraire, dit-il, c’est une nouvelle preuve de l’irresponsabilité des partis de la coalition.
« Netanyahou n’a pas le choix. C’est une question importante, qui nécessite une solution. Mais celle-ci doit répondre à un large consensus, au moins au sein du sionisme religieux et, si possible, au-delà », explique Levin. « Selon toute logique, le Premier ministre ne peut pas soutenir une décision du gouvernement sur la conversion proposée par le ministre de la Justice Tsipi Livni, si le ministre des Cultes, Naftali Bennett, et son adjoint, Eli Ben-Dahan, s’y opposent. »
Levin estime le compromis sur la conversion possible, mais l’obstacle vient du courant sioniste religieux qui considère Stern comme un antagoniste.
« Si le porteur du projet était autre, le fossé pourrait être comblé plus facilement. On ne peut pas en vouloir au premier ministre : les personnes responsables semblent ne pas vouloir prendre le problème de front », déclare Levin, en allusion à Bennett et Ben-Dahan.
Les deux font la paire
Levin laissera bientôt toutes ces préoccupations liées à la coalition derrière lui. Il conservera son siège de président de la commission permanente de la Knesset et de chef des sous-commissions des Affaires étrangères et de la Défense sur le Renseignement et le budget de la Défense. Il est aussi supposé remplacer Elkin au poste de président de la prestigieuse commission sur les questions diplomatiques et de défense en janvier. Si toutefois il n’est pas nommé ministre d’ici là !
Elkin et Levin occupent désormais des rôles de tout premier plan au sein du Likoud. Ils ont convaincu Netanyahou – certains prétendent qu’ils lui ont forcé la main – de leur accorder le leadership conjoint de la très sensible commission de la Knesset, après les hésitations du Premier ministre pendant près de six mois.
Il y aurait selon eux un second volet à cet accord. Levin est certain d’obtenir à terme un poste de ministre, suite au départ de Gidon Saar. Il est moins sûr cependant de voir Netanyahou prendre une telle décision d’ici peu.
Netanyahou a proposé le ministère de l’Intérieur à Gilad Erdan, le ministre de la Communication, qui continuerait cependant à superviser la mise en place des réformes de l’Autorité de radiodiffusion israélienne. Ce dernier n’a pas encore donné sa réponse, mais le député qui prendrait la place d’Erdan est encore inconnu.
« J’ai reçu l’engagement du Premier ministre que lorsqu’un poste ministériel serait vacant, j’en serai le bénéficiaire », affirme-t-il. Et de hausser les épaules aux propos de la députée Likoud Gila Gamliel selon lesquels Netanyahou lui aurait aussi promis la promotion.
« Je ne suis pas responsable de ce que les autres disent, mais je suis patient. J’ai la certitude que, lorsqu’un ministre sera désigné, ce sera selon les termes de l’accord passé avec le Premier ministre. »
Levin et Elkin ont tous deux nié les rumeurs affirmant qu’Elkin menacerait de ne pas revenir au poste de président de la coalition, qu’il a occupé avec brio lors de la précédente Knesset, si Levin n’était pas nommé ministre. Levin indique toutefois que leurs attentes sont tout à fait claires pour tout le monde.
« Ce n’est un secret pour personne qu’Elkin et moi travaillons en parfaite collaboration. Nous nous sommes attelés à la tâche la plus ardue dans ce gouvernement : celle de gérer une coalition vraiment complexe. Et nous l’avons fait en plein consensus et avec l’engagement que si un poste de nouveau ministre se présentait, j’en serai le bénéficiaire. Zeev dirigerait, lui, la commission des Affaires étrangères et de la Défense. Sinon, nous nous partagerions la responsabilité de cette dernière. Je pense qu’il a raison de vouloir que l’accord soit respecté. C’est ce qui devrait se passer », insiste Levin.
Bibi rebelote
Levin qualifie de « ridicule » l’idée selon laquelle la démission de Saar serait due à l’attitude de Netanyahou envers les membres du Likoud qui réussissent.
« Cela n’est pas unique au Likoud », affirme Levin, qui cite une longue liste d’ex-politiciens démissionnaires, dont le Premier ministre Menahem Begin. « Il est normal de vouloir quitter la politique. Cela arrive tout le temps, et dans tous les partis de par le monde. Ce n’est pas un travail facile. Il faut s’investir énormément et sacrifier tout autant pour servir la cause publique. Il est tout à fait naturel que chacun, à un moment ou à un autre, se remette en question pour décider quoi faire de sa vie. »
Levin déclare s’être adressé à l’ancien ministre du Likoud Moshé Kahlon, qui est en train de former un nouveau parti. Il lui aurait reproché de vouloir fragmenter encore davantage le terrain politique, alors que tous deux sont redevables au Likoud des opportunités obtenues dans ce domaine.
« Ni l’un ni l’autre n’aurions pu arriver là où nous sommes sans le Likoud », souligne-t-il. Pour lui, le parti est une excellente plate-forme pour gravir les échelons. Nous sommes l’un des seuls véritablement démocratiques, dont les membres sont élus, et non pas choisis par leur chef. Nous avons des activités dans les universités et les sections locales, et ensuite les candidats évoluent au sein du parti. J’ai été élu à la Knesset à 39 ans, j’ai occupé de nombreux postes, et je ne pense pas que quiconque ait essayé de me mettre des bâtons dans les roues », déclare-t-il.
Parallèlement, Levin se moque de ceux qui prétendent que Netanyahou cherche à tout prix à défendre son leadership. « Veut-on le voir abandonner son siège pour le donner à quelqu’un d’autre juste parce celui-ci estime que c’est son tour ? C’est tout à fait inconcevable », ajoute Levin.
Même si les élections ne sont pas imminentes, Levin a soutenu l’appel de Netanyahou pour des primaires anticipées de la direction du Likoud, juste au cas où.
« Tous les autres partis sont prêts pour les élections. Ils savent qui est leur chef. Même les travaillistes ont déjà eu leurs primaires. Le Likoud ne peut pas se retrouver dans une situation où, en cas d’élections, il nous faudrait tout juste commencer par choisir la tête de notre parti », souligne-t-il.
Quant au refus de Danny Danon, président du comité central du Likoud, de tenir des primaires dans les semaines à venir, Levin ajoute : « Nous devons élire le chef du parti, mais dans des délais raisonnables pour une bonne organisation et de manière démocratique. Si certains veulent repousser cela de quelques semaines, nous pouvons parvenir à un accord sur ce point. »
Levin ne doute pas un seul instant de la réélection de Netanyahou, avec une avance confortable : « Le Premier ministre dispose d’un large soutien au sein du Likoud, et il dominera sûrement la prochaine élection. »
Le coût de la Défense
Dans les mois à venir, Levin aura la lourde tâche de préparer le budget de la Défense pour un vote final. Il a de nombreuses suggestions à formuler sur le sujet.
L’argument est toujours le même : faut-il l’augmenter ou le diminuer. La réponse, selon Levin, se situe quelque part entre les deux.
« Pour obtenir tout ce dont nous avons besoin, nous devons pouvoir voler de nos propres ailes. Lorsque le terrorisme est en hausse, tout le reste s’en ressent : l’économie, le tourisme, etc. S’il n’y a pas assez d’argent pour la défense, on ne fait pas vraiment d’économies, parce que l’ensemble du marché baisse suite aux problèmes de sécurité », explique-t-il.
Pour s’être penché sur le budget de la Défense, Levin conclut qu’un financement supplémentaire est nécessaire dans certains domaines, qu’il se refuse à préciser pour ne pas « révéler nos faiblesses », mais que d’autres pourraient être gérés de façon plus efficace. Les sommes ainsi économisées pourraient être transférées, là où elles sont nécessaires.
Il souhaite par exemple modifier la structure des salaires dans l’armée israélienne. A l’heure actuelle, les salaires des militaires de carrière sont déterminés par leur rang, mais Levin estime qu’en dehors des soldats combattants, ils devraient l’être en fonction de la demande du marché.
Ainsi, pour les emplois les plus recherchés, comme les ingénieurs en informatique par exemple, Tsahal devrait offrir plus que ce qui est le cas maintenant, afin que l’armée puisse attirer les meilleurs. Mais pour ceux qui sont en surplus en Israël, comme les avocats, Tsahal n’a pas à financer les études des soldats qui veulent étudier le droit, ni offrir aux avocats de haut niveau des salaires supérieurs à ce qu’ils gagneraient en dehors de l’armée.
« Nous devons faire preuve de créativité, sortir des sentiers battus et utiliser nos ressources du mieux possible pour maximiser les services de l’armée », affirme-t-il. « Revoir la structure des salaires peut nous permettre d’aller en ce sens. »
Une fois à la tête de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, Levin espère bien revoir la philosophie de Défense de l’armée israélienne en général, en connexion avec une utilisation plus efficace de son financement.
« Tsahal mise beaucoup sur les chars pour lutter contre d’autres armées, mais aujourd’hui la réalité est différente et plus complexe. Nous ne devons pas renoncer à la préparation nécessaire pour combattre une armée permanente, mais les menaces sont aujourd’hui d’une tout autre nature. Autrefois, un tank représentait un avantage énorme, mais aujourd’hui les armes antichars ont beaucoup évolué », explique-t-il. Pour Levin il faut absolument envisager de nouvelles stratégies.
« Nous devrions peut-être investir davantage ailleurs et varier ainsi nos capacités. Si l’armée utilise mieux ses ressources, nous allons faire des économies et empêcher une augmentation massive du budget de la défense », assure-t-il.
« Mais même dans ce cas, il nous faudra augmenter le budget pour maintenir notre niveau de sécurité. » 
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