Histoire d’une défaite

Les dix raisons qui ont causé la chute de Tzipi Livni aux primaires de Kadima

livni (photo credit: Reuters)
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(photo credit: Reuters)

L’ascension politique de Tzipi Livni a été aussi fulguranteque sa chute. Entrée à la Knesset en 1999, elle est nommée ministre deux ansplus tard.

Elle dirigera six ministères, passant de ministre sans portefeuille à ministredes Affaires étrangères en cinq ans seulement. En 2006, elle est déjà le numéro2 de Kadima, parti alors au pouvoir. Candidate pour le poste du Premierministre, elle fait gagner les élections générales à son parti en 2009. Pourgrimper les échelons, elle joue la carte de l’honnêteté et se présente commeune candidate qui n’appartient pas au système.
Une tactique qui la sert au début : les Israéliens aspirent à une politiquepropre. Mais qui finit par agacer. Mardi 27 mars, Livni perd l’élection face àMofaz avec 25 % d’écart. Une défaite brutale. Explications en 10 points.
1. Manque de patriotisme

Jeudi 29 mars, Livni était interrogée par Kol Israëlpour savoir si le mouvement social de l’été 2011 empêchait aujourd’hui Kadimade talonner le Likoud dans les sondages. Selon elle, le parti avait commencé àdécliner deux mois plus tôt, le 20 mai 2011. Ce jour-là, Binyamin Netanyahou tenaitla dragée haute à Obama, à la Maison Blanche. La veille, le président américaindans un discours sur le Proche-Orient avait appelé à la solution à deux Etatsbasée sur les frontières de 1967 et ajourné les concessions palestiniennes surle droit du retour. Osant contredire son homologue devant les journalistesmédusés, Netanyahou était alors perçu comme le grand défenseur d’Israël face àObama. Une confrontation, qui, selon Livni, a fait grimper la popularité duPremier ministre.

Mais elle omettait de mentionner que son propre comportement avait égalementinfluencé les sondages.
La veille, elle avait encensé le discours d’Obama, et, selon son habitude,critiqué Netanyahou. Sauf que cette foisci, le Premier ministre reflétaitl’opinion israélienne.
Idem, en septembre dernier. Netanyahou avait prononcé un discours plébiscité àl’ONU, appelant les Palestiniens à “parler cash”. Peu après, c’est une Livni auvisage pincé qui critiquait son opposant sur le plateau d’Oulpan Shishi,l’émission d’actualité hebdomadaire de la Chaîne 2, très largement suivie. Sespropres conseillers avaient eux-mêmes déclaré après l’émission qu’elle avaitcommis une grave erreur.
2. Autosuffisance

L’un des meilleurs atouts de Livni au début de sa carrière :sa modestie. L’antithèse des politiciens arrogants et hédonistes.

Mais, prenant confiance en elle au fil du temps, la candidate a dépassé lesbornes de l’autopromotion. Dans sa campagne contre Mofaz, elle est même alléejusqu’à prédire la fin de Kadima si elle n’était pas réélue. Mais Kadima, qui asurvécu à l’attaque cérébrale paralysante de son fondateur Ariel Sharon, et àla condamnation pour corruption contre Ehoud Olmert, devrait continuer àexister après l’éviction de Livni.
3. Peu de contact avec la base

L’entretien accordé par la candidate malheureuseau quotidien Yediot Aharonot le 25 novembre 2011 est resté tristement célèbre.Elle déclarait attendre impatiemment son retrait de la vie politique. Lesmembres du parti ont alors commencé à se demander s’il ne fallait pas exaucerson souhait. Elle voulait en réalité dire qu’elle voyait le service publiccomme une fonction et non comme un métier. Mais les militants l’ont pris commeune insulte, insinuant que travailler avec eux au quotidien était une corvéedont elle ne voulait plus.

“Shaoul est plus en contact avec les militants que moi”, a-t-elle admis aucours d’un des derniers entretiens télévisés de la campagne. En effet, Mofaz arégulièrement rencontré les activistes de premier plan, les a appelés pourleurs anniversaires, et les a persuadés de voter pour lui.
Les résultats de l’élection prouvent l’efficacité de sa stratégie.
Un militant arabe, Ahmed Dabah, a rapporté à Mofaz plus de voix dans sa villede Deir El-Assad au nord du pays que les deux candidats n’en ont récolté encommun à Tel-Aviv.
4. Mauvais timing

Netanyahou a gagné les deux dernières primaires du Likoudpour avoir su les programmer au bon moment.

Au pic de sa popularité, pour empêcher à son rival Silvan Shalom de lui faireombrage. Décider de la date des primaires revenait entièrement à Livni. Lacharte de Kadima, élaborée pour la personnalité charismatique d’Ariel Sharon, rend impossiblela tenue d’élections sans l’accord du dirigeant du parti. Elle aurait puprogrammer un scrutin juste après les élections générales de 2009 et surfer surla vague de sa victoire. Au lieu de quoi, elle a repoussé l’échéance autantqu’elle l’a pu, jusqu’à ce que la pression de ses cadres ne devienne tropforte. Mais sa popularité avait alors dramatiquement chuté.
5. Méconnaissance des manoeuvres politiques

Quelques jours avant l’élection,Livni s’en est prise à Mofaz et à l’ancien ministre Rafi Eitan pour avoirsaboté ses efforts au moment de former un gouvernement en septembre 2008, suiteà la démission d’Olmert. Eitan aurait passé un accord avec Netanyahou et Mofazaurait poussé le Shas à lâcher la dirigeante. Des révélations intéressantes,mais qui arrivent trois ans trop tard. Et discréditent d’avantage Livni queMofaz. Etre à ce point-là ignorante des manoeuvres politiques, pourtantfréquentes, n’encourage pas les militants à voter pour elle.

6. Incapacité au compromis

Cette semaine d’avant Pessah aurait dû être la plusimportante dans la carrière de Livni. Au lieu de songer à sa démission, elleaurait pu devenir Premier ministre si elle avait su accepter les compromis. Auterme des élections de 2009, le Likoud avait proposé un gouvernement rotatif :avec Netanyahou à sa tête pendant les deux premiers tiers et Livni pour letiers restant. Tiers qui aurait dû commencer la semaine d’avant Pessah si Livniavait accepté le marché.

7. Mauvaise entente avec les cadres du parti

Sharon savait flatter ses subordonnés. Ildéléguait l’autorité et les politiques le respectaient en dépit de leursdivergences idéologiques. Livni a fait le contraire. Perçue comme unedirigeante individualiste, il n’est pas étonnant que beaucoup de parlementairesaient quitté le parti et que plus de la moitié de la plate-forme ait soutenuMofaz aux primaires.

8. Incapacité à fédérer

Septembre 2009. À l’issue des élections, les chefs departis se rendent chez Shimon Peres pour indiquer le dirigeant qu’ilssouhaitent voir à la tête du gouvernement.

Toutes les formations de droite ont désigné Netanyahou.
Seul Kadima a proposé Livni. Celle-ci n’a jamais su fédérer les partis ducentre-gauche, dont elle aurait pourtant dû être le leader naturel. Sous sahoulette, l’opposition à la Knesset reste également inoffensive. La seule loiqu’elle a réussi à faire passer in extremis, à une heure tardive de la nuit,sera révoquée une semaine plus tard.

9. Sous-évaluation du mouvement social

La protestation socio-économique n’a passu atteindre ses objectifs, en partie par manque de réel leader. Mais qui demieux placé pour la diriger que la chef de l’opposition ? Si Livni n’a pas prispart aux manifestations, c’est parce que les fondateurs du mouvement pensaientque la présence de politiciens nuirait à leurs efforts, a-t-elle déclaré. Maisd’autres personnalités, telles que Shelly Yacimovich, ont su tirer profit du mouvementsans même visiter le campement de Rothschild à Tel-Aviv.

Les événements ont par ailleurs révélé à quel point Livni ne maîtrisait pas lesquestions socio-économiques.
Conscients de l’importance des enjeux sociaux au cours des prochaines élections,les membres de Kadima ont sans doute jugé qu’avoir Livni à leur tête pourraitleur nuire.
10. De la transparence à la corruption

Livni s’était présentée comme la “MmePropre” de la politique. Avant de s’enliser : ses deux plus prochescollaborateurs, Haïm Ramon et Tzahi Hanegbi, ont eu des démêlés avec lajustice. Idem pour son directeur de campagne, Omri Sharon. Et l’ancientrésorier de Kadima, Itzik Haddad, a révélé de nombreuses malversationssurvenues dans le parti sous la direction de Livni, dont le nom a fini, luiaussi, par être entaché par ces mauvaises réputations.