Nir Barkat : Hier et demain

S’il y a quelques semaines, le maire de Jérusalem semblait assuré de sa réélection, un outsider vient défier ses projets. Entretien.

P12 JFR 370  (photo credit: Marc Israel Sellem)
P12 JFR 370
(photo credit: Marc Israel Sellem)
Dans une autrevie, Nir Barkat a été un golden boy dans le high-tech. Depuis 2008, il estmaire de Jérusalem. Voilà quelques semaines, il a été réveillé en sursaut dansune campagne électorale plutôt paisible : Moshé Lion, qui a quitté Givatayimpour s’installer dans un appartement en location à Jérusalem, venait d’entrerdans la course. Jusque-là, Barkat était le seul candidat et sa réélection commemaire apparaissait comme une formalité. Désormais sorti de sa torpeur, sonétat-major se tient sur le qui-vive.
Le but du nouveau jeu (même si aucun des deux candidats ne le reconnaîtpubliquement) est de gagner le soutien des ultraorthodoxes. De fait, il y aquelques mois, le maire adjoint Itzhak Pindrus (du parti Judaïsme unifié de laTorah) n’en faisait pas mystère : son objectif premier, son unique missionétait de trouver le candidat le plus apte à servir les intérêts des Harédim dela ville.
Les Harédim ne sont toutefois pas les seuls à espérer le changement. Chez leslaïcs et dans le secteur national-religieux, beaucoup se plaignent de NirBarkat, qui n’aurait pas trouvé de solutions aux problèmes du logement et del’emploi pour les jeunes ni à celui de l’hygiène dans les rues de la ville.
C’est pour aborder tous ces sujets que Nir Barkat nous reçoit dans son bureaude la mairie.
Comment vous sentez-vous en ce début de deuxième campagne électorale ?

Comme toujours,j’ai confiance, je suis optimiste. Je travaille beaucoup, je connais bien monrôle. Pour moi, Jérusalem est l’œuvre de ma vie. Il y a 12 ans, j’ai mis decôté tout ce que je faisais jusque-là pour me concentrer exclusivement sur mamission.

Comment évaluez-vous la situation, après près de cinq années en poste ?

Quand je mesouviens de la ville que j’ai reçue à l’époque et que je regarde ce que monéquipe et moi avons réussi à en faire, je suis satisfait.

D’où vous vient plus particulièrement cette satisfaction ?

Des chiffres. Deces chiffres qui indiquent les tendances, par exemple la baisse du nombred’habitants qui quittent la ville, l’emploi en progression et bien d’autreschoses… Je sais qu’il reste encore beaucoup à faire, mais je suis content de cequi a déjà été accompli. Je déborde d’énergie pour les cinq années à venir.

Pensez-vous que les habitants de la ville partagent votre optimisme ?

Qu’ils estimenteux aussi que de nombreux progrès ont été réalisés pendant votre mandat ? Leshabitants de la ville connaissent les changements qui sont intervenus et ilsles sentent au jour le jour. Je dispose d’un soutien très large et très solideparmi le public. J’ai posé de bonnes fondations et, à présent, je suis prêt àfaire avancer cette ville jusqu’à la place et au rang qu’elle mérite. Je saisce que j’ai reçu, je sais ce que j’ai réussi à faire et j’ai une idée trèsclaire de ce que j’entends accomplir encore, avec la conscience que j’ai de mamission : je me réveille chaque matin impatient d’agir et prêt pour laprochaine phase de mon existence.

Quelle a été votre réaction en voyant tout à coup surgir dans la campagne unnouveau candidat qui entend vous remplacer dans le fauteuil de maire ? Celavous agace ?

Si je considèreles choses de façon pragmatique, je me dis qu’en politique, il est normald’avoir des adversaires.

Mais cette première considération mise à part, cela ne vous agace-t-il pas queMoshé Lion, qui n’a jamais vécu à Jérusalem, entre soudain dans la course à lamairie de cette ville ?

Je vous suggèrede lui demander ce qui l’a poussé à le faire. Maintenant, pour vous répondre,je dirais que oui, il est incroyable que quelqu’un qui ne connaît pas du toutla ville et qui ne l’habite pas se présente à ces élections. Quelqu’un qui aété propulsé dans la course… J’ai du mal à comprendre ce qui se passeexactement, mais peu importe, je ne m’en occupe pas. La seule chose qui comptepour moi, ce sont les projets que j’ai pour l’avenir de cette ville.

Comme quoi ?

Comme la manièredont nous allons créer 100 000 nouveaux emplois, améliorer le réseau detransports en commun, perfectionner le système éducatif, la culture, lesterrains de sports et les activités de loisirs, comment nous allons attirer lesinvestissements dans tous les domaines, dans les infrastructures… Nous avonstout un programme sur lequel nous travaillons depuis trois ans déjà. Je parlede choses dont je sais que je pourrai les mettre en œuvre, comme je l’ai faitaux dernières élections [en 2008].

Vos projets sont très impressionnants, mais la plupart d’entre eux (dans lesdomaines de l’emploi, du logement, des infrastructures et du développement)sont des choses qu’un maire, même très doué, ne peut mettre en œuvre sans unsoutien gouvernemental conséquent. Or, on a l’impression que le gouvernement nes’est pas montré à la hauteur de votre engagement, qu’il ne vous a pas beaucoupépaulé financièrement.
Ce n’est pas vrai. Le Premier ministre, les ministères, l’ensemble dugouvernement… Je vois des améliorations, année après année, dans leur soutien àla ville de Jérusalem. A commencer par le Premier ministre, qui s’impliquebeaucoup, ce que l’on voit dans les chiffres : les investissements de l’Etat,les budgets, la préférence et la priorité donnée à Jérusalem sont en hausse. Leministère des Transports nous aide énormément dans le goudronnage des rues,celui de l’Education pour les programmes de l’après-midi dans les écolesmaternelles…  

Beaucoup de gensse plaignent du mauvais état des rues.

Par rapport à ce qu’il y avait avant mon arrivée, croyez-moi, il y a eu desaméliorations considérables. Avant 2008, le budget consacré au goudronnage deschaussées s’élevait à 3 millions de shekels par an, ce qui permettait larénovation de 3 km de route. Cette année, nous sommes passés à 40 km de routes!  Et c’est le gouvernementqui finance ? Non, c’est l’argent de la municipalité.
Alors, où est le gouvernement ?

Le gouvernementinvestit surtout dans les transports, dans la prolongation de la première lignede tramway et dans la construction des prochaines. Là, on peut voir lechangement : grâce à nos efforts, le financement gouvernemental est passé de 70à 90 % et plus pour les importants travaux du tramway. Ce qui nous permet, denotre côté, de faire davantage pour développer la ville.

Ce n’est là qu’un exemple de la façon dont le gouvernement répond aux besoinsde notre ville. Nous avons apporté d’immenses améliorations. Les touristesisraéliens viennent nombreux visiter Jérusalem, y compris les jeunes, quiapprécient les possibilités de sorties que leur offre la ville.
Oui, mais néanmoins, les jeunes de Jérusalem, même s’ils ont désormais lapossibilité de s’amuser dans leur ville, n’en continuent pas moins à devoir laquitter pour trouver du travail.
C’est tout un processus qui est en cours. Quand je compare la situationactuelle avec celle dont j’ai hérité en arrivant, je vois les progrès réalisés.
Le ministre de l’Economie et du Commerce Naftali Bennett est-il un partenairepour vous ? Pouvez-vous le considérer comme un allié dans votre action ?

La réponse estoui. L’Etat est très attentif à nos besoins. Mais, en fait, le gouvernements’occupe surtout de diriger le pays et il a de quoi faire. Pour ma part, jeconsidère que mon rôle est de l’encourager à mettre en œuvre les solutions queje me charge moi-même de trouver pour ma ville. En tant que maire, en tantqu’habitant de Jérusalem, je sais ce qui est bon et ce qu’il faut pour notre ville.Mon travail, c’est de présenter ces besoins au gouvernement.

Et heureusement, les personnes à qui j’ai affaire m’écoutent et mecomprennent : il n’y a jamais de prises de bec entre nous et les différentsministres. J’apporte mes projets, mes propositions, l’Etat les étudie et n’aplus qu’à décider s’il s’agit d’une dépense ou d’un investissement.
Je présente toujours mes projets et mes requêtes comme des investissements. Cen’est pas par hasard que le gouvernement investit davantage dans la ville : c’estle résultat d’un programme présenté comme rentable pour lui. Nous n’en sommesplus à recevoir de l’argent pour survivre, de l’argent qui n’apporterait aucunchangement dans le statut et la prospérité de la ville. Bien au contraire.
Et dans votre approche, qui a pour rôle d’attirer les investissements privésdans la ville ? Le maire ou le gouvernement ?

A mon avis, c’estde ma responsabilité avant tout. C’est mon rôle de maire. Quelqu’un doit lefaire, de toute façon, non ? Moi, je soumets le concept et le gouvernement,lui, nous soutient, et je lui en suis reconnaissant.

Et les entreprises privées ? Avez-vous réussi à les attirer elles aussi ?

Oui, tout à fait.Regardez Har Hotzvim : il ne reste plus un seul local à louer, c’est complet !Même chose pour les autres zones industrielles de la ville. D’où la prochaineétape que nous devons nous fixer : construire de nouvelles zones industrielles.

Parallèlement à ces programmes de développement, vous devez aussi traiter lesaffaires politiques au jour le jour. Au début, quand vous êtes entré dans cettearène, vous vous êtes présenté comme quelqu’un qui n’employait pas le langagecynique en vigueur en politique. Plusieurs années ont passé depuis : avez-vouschangé ? Avez-vous adopté les conventions de la politique ?

Je pense que, sivous examinez ma façon de travailler, vous avez certainement remarqué que j’aitoujours adopté une attitude professionnelle. Je n’ai pas changé.

Pourtant, le 1er août, vous avez pris ce qu’on appelle une décision politiqueen intégrant à votre prochaine équipe votre principal opposant du conseilmunicipal, Meïr Turgeman.
Tout d’abord, personne ne m’y a obligé. J’ai pensé et je pense toujours quec’est une bonne décision.
N’empêche qu’il y a cinq ou sept ans, cela ne vous serait pas venu à l’idée.Qu’est-ce qui a changé entre-temps ?

Ce qui a changé,c’est qu’en ce moment, nous nous préparons pour les cinq années à venir. MeïrTurgeman a été dans l’opposition pendant cinq ans.

Et il vous a mené la vie dure !

C’était de bonneguerre. Il était dans l’opposition, c’était son rôle. Je m’y suis trouvémoi-même, je connais bien les règles du jeu. Mais au-delà de ces petitesquerelles, Meïr sait que la meilleure chose à faire est de me laisser continuerà gérer cette ville. Il s’est contenté de réfléchir et de prendre unedécision : devait-il rester dans l’opposition encore cinq ans ? Ne valait-ilpas mieux me rejoindre et travailler de l’intérieur, au sein même du système dela municipalité ? Je connais Meïr depuis longtemps, je connais ses qualités etses défauts et je suis sûr qu’il sera un atout pour nous. Je suis convaincu quec’est réaliste : c’est pourquoi je l’ai invité à me rejoindre. [Turgeman seran° 2 sur la prochaine liste de Nir Barkat, ce qui le place en première positionpour le poste de maire adjoint, N.D.L.R.] Nous avons signé un accord qui n’arien de secret, contrairement à ce qui se passe ailleurs, où l’on ne saitjamais très bien ce qui a été conclu et avec qui.

Certains pensent que cet accord – qui donnera à Meïr Turgeman le portefeuilledes conseils de quartier et des centres communautaires – est destiné à fermerdéfinitivement la porte à un éventuel renouvellement de la coalition entre vouset Rachel Azaria. Ont-ils raison ?

Non, ils onttort. Ma porte reste ouverte à toutes les listes du conseil. C’est ainsi quej’ai procédé la dernière fois, en 2008. Il y a de la place pour tout le monde :je suis ouvert à un vrai dialogue. C’est comme cela que je fonctionne : je tireun trait sur le passé et je vais de l’avant, comme je l’ai fait avec lesreprésentants Harédim qui siègent au conseil actuel.

On a pourtant l’impression que les Harédim ne sont pas satisfaits, puisqu’ilsne se cachent pas de vouloir vous remplacer.
Je ne suis pas de votre avis, je crois que la société ultraorthodoxe est trèssatisfaite de mon action.
Vous savez sans doute déjà qu’il y a de fortes probabilités que les partisultraorthodoxes soutiennent la candidature de Lion. Quel est votre sentiment àcet égard ?

Permettez-moi devous expliquer d’abord quelle est ma vision : je pense que le maire deJérusalem se doit d’avoir un point de vue holistique, une approche libérale. Ildoit permettre à chaque secteur de la population de vivre dans ses propresquartiers et selon ses coutumes. En tant que fonctionnaire – car c’est ainsique je me considère –, je dois m’occuper des sionistes religieux dans lesquartiers sionistes religieux, des Harédim dans les quartiers Harédim, desArabes avec leurs coutumes dans les quartiers arabes. J’ai toujours travailléselon cette conception, et il n’y a pas un seul de ces secteurs que j’aienégligé.

Ceux qui fondent toutes leurs actions sur l’espoir de gagner le soutien dusecteur harédi, puis, peut-être, celui d’autres secteurs par la suite, n’ontpas, selon moi, une approche libérale du problème, et ce n’est assurément pasbon pour Jérusalem. C’est ce qui s’est passé pendant 15 ans [sous les mandatsd’Ehoud Olmert et d’Ouri Loupolianski, N.D.L.R.], et voyez où cela nous a menés! Mais peut-être qu’il y a des gens qui aimeraient revenir à ce stade.
Moi, je ne suis pas là pour éduquer les gens ni pour imposer ma visionpersonnelle. Evidemment ! Jérusalem est une ville plurielle, et cela impliquede respecter à la fois les Harédim et les laïcs, les juifs et les non-juifs.D’ailleurs, si vous leur posez la question, les ultraorthodoxes eux-mêmes vousdiront que leur situation s’est améliorée.
Dans ce cas, comment expliquez-vous qu’ils soient en train de considérersérieusement de voter pour votre adversaire ?

Demandez-le leur! Vous sentez-vous trahi ?Je ne changerai pas ma position. La question n’est pas de trouver le moyend’obtenir des soutiens. J’agis comme je le fais parce que c’est, selon moi, lameilleure façon d’œuvrer pour Jérusalem. Et croyez-moi, le public, dans sagrande majorité, l’a bien compris. Je ne dépends pas des Harédim : je veuxcoopérer avec eux. Il y a une grande différence entre « je veux les avoir avecmoi » et « j’ai besoin d’eux ». Je veux la gauche, je veux la droite, je veuxles laïcs, je veux les Harédim, les Juifs, les Arabes, parce que c’est ce qu’ilconvient de faire.

Cependant, on commence à se dire, dans le secteur harédi, qu’il y a maintenantde nouvelles règles, et qu’il faut faire comprendre à chacun des deux candidatsque les Harédim donneront leurs voix au plus offrant. Comment réagissez-vousface à cette nouvelle situation ?

Le public devrafaire un choix. Moi, je ne veux pas jouer à ce petit jeu-là. C’est le publicqui va réfléchir et décider par lui-même. Je n’ai jamais raisonné comme celapar le passé, ce n’est pas mon mode de fonctionnement et ça ne le sera pas plusà l’avenir, un point, c’est tout.

D’après les sondages, il se pourrait que les deux listes orthodoxes gagnent dessièges supplémentaires dans le prochain conseil municipal. Comment comptez-vousgérer cette nouvelle donne si vous êtes réélu ? Avec qui formerez-vous votrecoalition ?

Je ne crois pas àla véracité de ces sondages. Les chiffres qu’ils avancent ne sont pasréalistes. Moi, je suis pour le travail en commun. La question ne se pose doncpas. Tout ce qui m’intéresse, c’est de savoir ce que veulent les habitants deJérusalem : veulent-ils un candidat qui considère que tous les représentantsont leur mot à dire, ou quelqu’un qui déciderait de former une coalition trèsétroite qui ne servirait qu’une partie du public ? Pour ma part, je présentemon point de vue, c’est ensuite aux électeurs de décider.

Mais une partie de ce public n’est pas satisfaite non plus. Il se plaint desordures déversées par terre dans les rues, regrette que l’on néglige lapropreté alors qu’on met l’accent sur des événements culturels de qualitévariable.
J’ai conscience de ce problème. Nous étions sur le point de signer un accordentre le comité chargé des problèmes de propreté à la municipalité et laHistadrout, afin de privatiser le nettoyage des rues, mais au dernier moment,la Histadrout de Jérusalem a fait marche arrière. J’ai donc décidé de renoncerà la privatisation et d’ajouter 120 employés au département – soit un supplémentde 10 millions de shekels par an pour le budget « Propreté ».
Avec tout cela, comment se fait-il qu’après 5 ans aux commandes de la ville,vous n’ayez pas réussi à devenir le candidat du parti Likoud dans ces électionsmunicipales ? D’autant que votre adversaire est, lui, le candidat officiel dela coalition Likoud-Beiteinou !

Je ne tiens pasdu tout à être le représentant du Likoud pour Jérusalem. Je veux resterindépendant, voilà pourquoi je suggère que l’on se concentre sur ce que je faiset ce que je prévois pour les habitants de Jérusalem, et que l’on abandonne lesspéculations politiques… Les considérables améliorations qui ont été apportéesà la ville, les changements que j’ai introduits… J’ai prouvé que j’étaiscapable de faire tout cela, et cela n’a rien à voir avec les gens que jeconnais ou que je ne connais pas dans le gouvernement.