Petite enfance :: une révolution

L’an prochain, l’école maternelle sera gratuite dès trois ans, mais Jérusalem est-elle prête pour absorber l’afflux de nouveaux élèves ?

Petite enfance (photo credit: NATI SHOHAT / FLASH 90)
Petite enfance
(photo credit: NATI SHOHAT / FLASH 90)
Quand Abigaïl Yochanan a appris que le cabinet venait d’approuver la loi sur la gratuité de l’école maternelle à partir de trois ans, elle s’est réjouie et s’est demandé à quoi elle consacrerait l’argent ainsi économisé. Puis cette femme cadre de haut niveau employée dans un grand institut de recherche universitaire de Jérusalem a pris conscience que, s’il s’agissait là d’une bonne nouvelle pour son fils, qui aurait trois ans et demi à la prochaine rentrée, elle n’était en revanche pas prête à envoyer sa fille de deux ans et demi dans une école publique.
Cette nouvelle loi, fondée sur les recommandations du rapport Trajtenberg, fait suite au mouvement social de l’été dernier. Si elle est une excellente nouvelle pour beaucoup, de nombreuses questions subsistent.
A partir de la prochaine rentrée scolaire, les écoles maternelles publiques et privées gérées par des associations à but non lucratif seront subventionnées. De quoi permettre aux familles des économies substantielles, selon le nombre d’enfants concernés.
“Cette loi arrive dix ans trop tard pour moi”, soupire Ilana, employée à la mairie.
Si elle obtient l’approbation de la Knesset, la décision gouvernementale ne fera que mettre en application une loi en vigueur dans le pays depuis 1951 et qui stipule la gratuité de l’école publique dès l’âge de trois ans. Gratuité, qui, jusqu’à présent, ne s’appliquait qu’aux enfants de plus de cinq ans.
“C’est une vraie révolution”, affirme la conseillère municipale hiérosolomytaine Rachel Azaria, responsable de la petite enfance jusqu’à sa démission, il y a deux mois.
Chargée de préparer la loi au niveau national, Rachel Azaria a travaillé avec l’équipe de Trajtenberg et assisté à toutes les réunions de la Knesset consacrées au sujet. Selon elle, la loi devra surmonter de nombreux obstacles pour être adoptée. Mais contre toute attente cependant, les choses se révéleront plus simples à Jérusalem qu’ailleurs.
“Comparée aux villes du centre du pays, Jérusalem est pauvre. On y trouve moins d’écoles maternelles privées et onéreuses qui, conformément à la nouvelle loi, ne sont pas éligibles pour les subventions gouvernementales (quoiqu’elles aient toujours la possibilité de présenter une demande pour se transformer en associations à but non lucratif). En conséquence, il devrait être assez facile dans notre ville de faire entrer des institutions privées ou semiprivées dans le cadre de la loi. Pour une fois, le fait que les habitants de Jérusalem ne comptent pas parmi les plus riches du pays joue en notre faveur.”
Scolarisation gratuite, mais pas obligatoire
Que dit exactement la nouvelle loi, et que se passerat- il à Jérusalem à la prochaine rentrée ? Quelques faits pour commencer : La loi n’instaure pas une scolarisation obligatoire à partir de trois ans, mais simplement sa gratuité. “Cela signifie que les parents peuvent décider ou non d’envoyer leurs enfants à l’école”, explique Dvora Guivati, responsable de l’éducation publique de la petite enfance à la mairie. “Ainsi, si vous préférez garder les enfants à la maison ou les confier à une nourrice, vous ne serez pas en infraction. Mais la loi va aussi obliger la municipalité à prendre des dispositions pour pouvoir accueillir tous les enfants de trois ans et plus dont les parents en feront la demande, soit en école maternelle publique, soit dans les jardins d’enfants d’associations à but non lucratif reconnues (comme Na’amat, la WIZO ou Emounah), qui exercent cette activité depuis des années.”
A partir de septembre, les parents pourront donc envoyer leurs enfants à la maternelle sans avoir à payer de 77 à 773 shekels par mois (selon leurs revenus), comme c’était le cas jusque-là. La journée d’école dure de 7h30 à 14h, avec possibilité, moyennant 800 à 900 shekels supplémentaires, de la prolonger jusqu’à 16h. Désormais, explique Azaria, ce supplément lui-même bénéficiera de subventions basées sur les mêmes critères socio-économiques que pour la scolarisation en journée.
“Le coût total passera donc de 1 600 shekels à quelque 400 ou 500 shekels par enfant et par mois si la famille est éligible pour des subventions l’après-midi”, se félicite Rachel Azaria. “Cette économie substantielle aura sans doute une influence sur des questions fondamentales, comme la taille de la famille ou le fait que la mère travaille ou non...”
Actuellement, une école maternelle privée coûte jusqu’à 3 000 shekels par mois, parfois même plus (quoique rarement à Jérusalem). Elle restera une option pour des parents aisés, séduits par les classes moins chargées (18 à 21 élèves à peine, contre 35 environ dans les écoles publiques). Les subventions prévues par la nouvelle loi s’étendent aussi aux structures publiques gérées par des institutions à but non lucratif reconnues (comme la WIZO, Emounah et Na’amat et, à Jérusalem, le réseau Ganei Haïm du mouvement libéral). En conséquence, pour de nombreuses familles, le seul changement sera financier.
Les ennuis commencent, en revanche, pour les petites entreprises privées qui ne sont pas considérées comme des associations, ou dont les responsables ne possèdent pas de diplôme d’éducateur reconnu. “Pour elles, la nouvelle loi pose un vrai problème”, confirme Rachel Azaria. “Beaucoup vont disparaître bonnement et simplement, d’autres baisseront peut-être leurs tarifs pour rester concurrentielles. On ignore combien vont réussir à s’en sortir.”
Priorité aux plus grands
Roy et Ma’ayane Sharon ont trois filles de cinq, trois et deux ans. Pour eux, rien ne va changer, ou presque : “Les filles vont rester au même endroit, sauf que nous paierons beaucoup moins cher, ce qui est loin d’être négligeable pour nous”, explique Ma’ayane. Ce couple de trentenaires (Roy est salarié, Ma’ayane a monté une petite entreprise), affirme que le coût élevé de l’éducation n’a pas eu d’influence sur leur décision d’avoir d’autres enfants.
“Les couples religieux renoncent rarement à avoir des enfants pour des raisons financières”, souligne Ma’ayane, “mais je connais des laïcs qui y réfléchissent à deux fois avant de concevoir un quatrième enfant.”
Aujourd’hui, 9 000 enfants de trois à cinq ans sont inscrits dans les institutions publiques de Jérusalem, laïques ou religieuses. Un chiffre qui n’inclut ni le secteur haredi, qui possède ses propres structures d’accueil, ni le secteur arabe, moins bien organisé dans ce domaine.
Le réseau des écoles publiques sera-t-il prêt dès la prochaine rentrée ? Rien n’est moins sûr, et les parents devront peut-être s’armer de patience pour pouvoir profiter de la nouvelle loi. “La municipalité acceptera toutes les demandes d’inscription”, affirme Dvora Guivati.
“Mais comme il est évident que nous n’avons pas eu le temps de bien nous préparer, nous devrons poser certaines limites, du moins la première année. Par exemple (et la loi nous autorise à le faire), nous donnerons d’abord la priorité aux enfants de quatre ans. J’espère que les parents comprendront et voudront bien coopérer.”
Afin de faire face à la demande massive attendue, la municipalité s’est dotée d’une équipe dirigée par Yossi Heiman, qui travaille sur les moyens d’y répondre, par exemple en louant ou en construisant des locaux adéquats. Aujourd’hui, un millier d’enfants entre trois et quatre ans sont gardés dans des structures privées et Dvora Guivati affirme qu’il n’existe aucun moyen de savoir à l’avance combien, parmi eux, seront candidats pour l’école publique. “Nous voudrions pouvoir accueillir tout le monde, mais hélas, cela ne se fera pas du jour au lendemain”, prévient-elle. “L’une des premières tâches de l’équipe consiste à faire le point et à déterminer où il y aura de la place et où il n’y en aura pas. Nous proposerons aux parents d’inscrire leurs enfants dans d’autres quartiers si nous ne pouvons leur proposer de place près de chez eux.”
Quid des petites structures privées ?
A Har Homa, par exemple, tout est déjà complet, mais les parents auront la possibilité d’aller à Talpiot Est ou à Guilo. Même chose à Beit Hakerem, dont les habitants devront se rabattre sur Ir Ganim. Dvora Guivati estime que cela favorisera la cohésion entre les différents quartiers de Jérusalem, un avantage que le département Education de la municipalité ne peut qu’apprécier.
Selon elle, la nouvelle loi représente, pour la ville, mais aussi pour tout le pays, un grand pas en avant en matière d’éducation. Cependant, elle a conscience des répercussions dramatiques qu’elle aura sur les petites structures privées, qui ne parviendront pas à profiter du processus. Il leur faudrait, pour cela, se faire homologuer comme associations à but non lucratif, une procédure longue, difficile et onéreuse, et répondre aux critères du ministère de l’Education en matière de formation des éducateurs, à ceux du ministère de la Santé pour les repas et à ceux de la mairie en matière de permis d’exercer et de sécurité.
“Il est clair que seul un petit nombre d’entre elles engagera ce processus, et que toutes n’obtiendront pas l’homologation”, précise Dvora Guivati, ajoutant qu’il faudra du temps pour atteindre les résultats requis.
“Cela ne se fera pas en un an, ni même en deux”, soupire-t-elle, “mais c’est pourtant la chose à faire.”
Miri Tedeschi, directrice du jardin d’enfants de l’Université hébraïque, sait de quoi parle Dvora Guivati.
Elle-même éducatrice diplômée de la petite enfance gère deux classes : une pour enfants de deux à trois ans, l’autre pour les trois à quatre ans. Si les 23 élèves qui composent cette dernière seraient tous en droit de bénéficier des subventions à la rentrée prochaine, aucun n’en profitera en restant dans cette école. “Jusqu’à présent, les familles n’ont pas exprimé leur intention de retirer leurs enfants”, affirme Miri, “mais cela ne saurait tarder.”
Une grande association commune ?
Elle n’est pas la seule à se faire du souci. Beaucoup de responsables de maternelles privées redoutent de voir la nouvelle loi sonner le glas de leur activité professionnelle.
Deux d’entre eux, qui préfèrent garder l’anonymat tant que la municipalité n’a pas clarifié les choses, savent déjà qu’ils ne parviendront pas à affronter toutes les formalités administratives et les dépenses conséquentes qu’implique une qualification pour les subventions. L’une des solutions consisterait pour eux à réduire considérablement les frais de scolarité, éventualité que tous deux répugnent à envisager, mais qu’ils reconnaissent comme une réponse au problème, au moins la première année.
“Et pourtant”, soupire l’un d’eux, “même si l’école publique va coûter beaucoup moins cher, rien ne remplace une petite structure de 20 élèves maximum par classe... Imaginez un peu à quel rythme se propagent les maladies contagieuses dans une classe de 35 !” Selon eux, la meilleure solution consisterait à constituer une grande association regroupant toutes les structures privées et défendant leurs droits. Pour le moment toutefois, aucune initiative de ce genre ne se dessine à l’horizon.
“Je suis tout à fait disposée à engager la procédure pour être reconnue comme association à but non lucratif et pouvoir profiter de la nouvelle loi”, explique Miri Tedeschi, “mais si cela m’oblige à courir d’un bureau à un autre pendant des jours et des jours et à payer plusieurs dizaines de milliers de shekels de taxes, je ne suis pas sûre que le jeu en vaille la chandelle !” Elle ajoute qu’elle approuve la loi, non seulement en tant que bénéficiaire potentielle, mais également en tant que citoyenne. Elle se dit heureuse de voir que les manifestations de l’été dernier, auxquelles elle a participé, ont porté leurs fruits. “Tout comme les autres éducateurs de la petite enfance qui dirigent des institutions privées, je veux aider les parents à payer moins cher, mais l’Etat, le gouvernement et la municipalité devraient faire quelque chose pour alléger d’abord ces formalités insurmontables.”
Gérés par de vrais professionnels !
L’an prochain, les Yochanan auront droit aux subventions pour leur fils de trois ans et demi, qui fréquente la maternelle de Neveh Granot. Pour ce qui est de leur petite dernière de deux ans et demi, inscrite au jardin d’enfants de l’Université hébraïque, Abigaïl et son mari Gil sont en train de réfléchir, mais pensent la maintenir dans la même structure, au moins dans un premier temps. Car si ce jardin d’enfants n’a pas droit aux subventions, il offre l’avantage non négligeable des petits effectifs.
“Tout jeune parent qui en a les moyens parviendra à la même conclusion”, soutient Abigaïl. Gil, pour sa part, espère qu’une solution sera trouvée pour améliorer la qualité des écoles maternelles publiques. “L’argent, c’est important, bien sûr”, reconnaît-il, “mais le nombre d’enfants par classe et la qualité de l’enseignement comptent aussi, et ont bien besoin d’être améliorés !” Comme beaucoup de leurs amis, les Yochanan aimeraient que la municipalité facilite le processus d’habilitation des institutions privées, afin de les faire bénéficier elles aussi de la nouvelle loi.
Dvora Guivati affirme que telle est bel et bien l’intention de la municipalité, qui prévoit d’ailleurs une rencontre dans ce sens avec les directeurs des jardins d’enfants privés la semaine prochaine. “C’est notre intérêt autant que le leur”, affirme-t-elle, ajoutant toutefois qu’il existe des critères de base que l’on ne peut négliger. “Les institutions totalement privées sont parfois installées dans des appartements et tenues par des femmes qui n’ont pas reçu la moindre formation professionnelle. Cela ne signifie pas nécessairement qu’elles ne conviennent pas pour accueillir des enfants, mais il existe certains critères non contournables. Je ne pense pas que nous puissions aider ce genre d’établissements, mais les jardins d’enfants dirigés par de vrais professionnels de la petite enfance, eux, bénéficieront sûrement de nos efforts. Nous avons besoin d’eux, de toute façon, pour répondre à la demande.”