Rompre les chaînes du mariage

La Journée internationale des Agounot coïncide avec le jeûne d’Esther. Cette année, le 7 mars.

Rompre les chaines du mariage (photo credit: avec l'aimable contribution de Rachel Levmore)
Rompre les chaines du mariage
(photo credit: avec l'aimable contribution de Rachel Levmore)
L’occasion de mettre en évidence le sort des femmes enchaînées, dans tous les coins du monde juif La question des Agounot est complexe. La loi juive interdit à une femme de se remarier à moins d’avoir reçu préalablement l’accord de son mari, le get. Et les enfants qu’elle pourrait avoir avec un autre partenaire, pendant ce laps de temps, sont considérés comme “mamzerim”, euxmêmes pénalisés par un statut particulier et contraignant.
En conformité avec les préceptes juifs relatifs au divorce, les autorités rabbiniques peuvent contraindre le mari à rendre sa liberté à sa femme par le biais de sanctions, comme l’ex-communion de sa communauté et de sa synagogue. Ce qui fonctionne dans certains cas, mais pas toujours.
Et quid de toutes les autres questions ? Comment décider de la garde des enfants et du partage des biens ? Doivent-ils être résolus avant de consentir à accorder le get ? Ce point en particulier a été soulevé par de nombreuses organisations, qui défendent les droits des femmes juives. Rachel Levmore a obtenu son doctorat en Talmud et Loi juive. Elle est la coordinatrice du Projet de prévention des Agounot du Conseil des jeunes rabbins d’Israël, et de l’Agence juive. Avec une passion infatigable, Levmore a joué un rôle actif pour tenter de trouver des solutions au problème des Agounot, depuis plus de 15 ans.
“Le lien entre l’obtention du get, et toutes les autres questions inhérentes au divorce, dont la garde des enfants et le partage des biens doit être rompu”, observe-t-elle. “Il s’agit de deux problèmes distincts, qu’il n’y a aucune raison d’associer, ni au regard de la Halakha ni du Choulhan Aroukh.”
Pour Levmore, il devrait y avoir deux tribunaux différents, pour traiter de toutes les problématiques. Le premier-né s’occuperait que de la supervision des questions telles que pensions alimentaires et logistique ; tandis que le second serait consacré exclusivement à l’obtention du get.
Les quatre volontés de l’homme
Le rabbin Asher Ehrentrau est le directeur adjoint des affaires liées aux Agounot, au sein des tribunaux rabbiniques israéliens. Quand c’est à la demande de l’épouse qu’un couple se présente devant le Beit Din, note-t-il, le mari déclare généralement : “Je suis prêt à accorder le get. Mais voici mes conditions :...” L’époux n’accepte de donner le get, que lorsque toutes les autres questions ont été réglées. Soit, en d’autres termes, lorsque ses volontés ont été respectées. Le fait est, remarque le rav expérimenté, que l’on ne peut rien faire pour contraindre l’homme, puisqu’il a déjà indiqué être disposé à donner le get à son épouse.
Et pour Atara Kenigsberg, responsable du centre Ruth et Emanuel Rackman pour la promotion de la condition de la femme, à l’université Bar-Ilan, c’est précisément là que réside le problème. L’époux récalcitrant trouve grâce aux yeux du Beit Din, en affirmant sans équivoque qu’il va accorder à son épouse ce qu’elle demande. Mais cela implique pourtant invariablement qu’il va recevoir ce qu’il souhaite, d’abord. Kenigsberg estime que la méthode utilisée par les tribunaux rabbiniques, lors de la toute première audience, explique en partie pourquoi les procédures traînent souvent pendant des années.
Les tribunaux sont souvent considérés comme coupables de céder à l’attitude “prima donna” de l’époux, qui croit pouvoir tirer tout ce qu’il veut de sa femme, d’un point de vue financier ou concernant la garde des enfants.
Les rabbins ont même pris l’habitude de poser la question au mari, une fois un dossier de divorce déposé : “Votre épouse demande le get, que souhaitez-vous en retour ?” Non seulement cette question n’est pas justifiée halakhiquement parlant, mais elle se révèle dangereuse.
Elle fait sentir à l’époux que c’est lui qui détient toutes les cartes. Ce qui est malheureusement en partie le cas.
Dans la société civile, et de fait dans la majorité des domaines de la loi juive, toute personne en violation avec le système juridique en place court le risque de comparaître devant un tribunal, où elle doit réparer ses actes répréhensibles, ou en payer le prix. Le système, représenté par les services répressifs, juges, tribunaux, etc. ; est finalement celui qui a le pouvoir de gérer les délits. Mais ce n’est pas le cas dans les affaires de divorce.
Quand tout est dit et fait, les époux récalcitrants ont toujours les pleins pouvoirs. Et même si le Beit Din décide d’incarcérer le mari pour une durée indéterminée, il ne résout pas la question : l’époux peut encore refuser d’accorder le get à sa femme, confiné entre les murs de la prison.
De la difficulté d’être agouna
Combien y a-t-il d’agounot, aujourd’hui, en Israël ? Il s’agit de la question à un million de dollars ! Selon le directeur des Affaires des agounot, le rabbin Eliahou Maïmon, le nombre ne dépasserait pas 200. L’an dernier, affirme-t-il, 98 cas ont été “résolus”. Des femmes jugées comme ayant le statut d’agouna, mais qui ont finalement obtenu satisfaction. Une “agouna”, précise le rabbin, est une femme dont l’époux ne se présente pas aux audiences, une fois que la demande de get a été déposée.
Le Beit Din dispose de quatre termes halakhiques, pour amadouer un époux : la recommandation, le commandement, l’obligation et la contrainte. Ce dernier étant le seuil le plus fort. Le Bureau de Maïmon prend ensuite le relais, et traite des cas qui ont dépassé ce dernier stade. Soit quand le Beit Din a usé de l’un ou plusieurs de ces recours, en vain.
Mais d’après l’institut Rackman, en revanche, le nombre d’agounot en Israël dépasse de loin les statistiques des tribunaux rabbiniques : il en existerait des milliers dans le pays.
Une différence de chiffres due à une myriade de raisons, principalement liées à la définition de l’Agouna. Tout d’abord, chaque année, de nombreux cas sont mis de côté, pour “inactivité” du dossier. C’està- dire quand aucun progrès n’est apprécié et qu’aucune audience n’est organisée, sur une longue période de temps. Ces cas sont souvent le fruit d’une impasse. L’un ou l’autre des partenaires renonce tout simplement à l’espoir de jamais obtenir satisfaction.
Autre possibilité : le mari peut être à l’origine de la demande de divorce initiale, déposée dès lors qu’il apprend que son épouse veut divorcer. Il est ainsi beaucoup plus difficile pour la femme de gagner le statut d’agouna, car ce n’est pas elle qui a ouvert le dossier.
Il ne s’agit, malheureusement, de rien de plus que d’un stratagème utilisé par le mari pour s’assurer être celui qui contrôle.
En fin de compte, si le mari dépose le premier la demande, il est maître du jeu. Et son épouse ne sera pas considérée comme une agouna par les tribunaux.
En outre, puisque l’homme est le seul à demander le divorce, même dans les cas où il disparaîtrait et ne se montrerait pas aux audiences, sa femme ne sera pas considérée comme agouna.
Enfin, la dernière raison qui explique l’écart des estimations tient au fait que les tribunaux rabbiniques ne considèrent pas une femme comme agouna si le mari se présente effectivement aux audiences. Indépendamment du fait qu’il lui accorde le get. Il s’agit du cas le plus répandu, et de la raison pour laquelle les affaires se prolongent pendant des années.
L’Institut Rackman rapporte qu’en 2006, quelque 3 402 maris qui refusaient d’accorder le get ont été désignés par les tribunaux rabbiniques, comme méritant des sanctions, pouvant aller jusqu’à des peines de prison ferme.
En 1995, une nouvelle loi est entrée en vigueur, qui permet aux tribunaux rabbiniques de décider, de façon autonome, d’envoyer un époux récalcitrant derrière les barreaux, sans décision supplémentaire des tribunaux civils. Pour l’heure, seuls 50 des hommes ont été concernés. A peine 1,5 % des 3 402 cités.
Le contrat prénuptial, incontournable
Quelle est donc la solution au problème des agounot modernes ? Voilà la deuxième question à un million de dollars ! Mais la réponse est bien plus difficile à apporter.
Le rabbin Emmanuel Rackman, de l’Institut éponyme, s’est penché sur les cas des agounot avant sa mort en 2008. Il a invoqué des concepts tels que l’erreur halakhique, lors de la formation du mariage, qui implique que l’union peut être annulée, sans passer par la traditionnelle étape du divorce.
Le problème : la majorité des autorités rabbiniques, y compris israéliennes, ne reconnaissent pas les principes de Rackman comme compatibles avec ceux, ancestraux, de la loi juive.
Le rabbin Michael Broyde, professeur de droit à l’Université d’Emory, et ancien directeur du Beit Din américain, a mis au point un document alternatif, à faire signer au couple avant de se marier, et qui empêcherait les cas d’agounot. Ce formulaire constitue l’ultime recours, lors de la course au get. Il se charge essentiellement de retirer le pouvoir des mains de l’époux, pour le remettre entre celles des tribunaux rabbiniques.
En Israël, l’accord a été traduit, et légèrement modifié pour s’adapter au milieu local. Appelé “Accord pour le respect mutuel”, le document a été rédigé par le docteur Rachel Levmore, le rabbin Elyashiv Knohl et le rabbin David Ben- Zazzon. Il peut être trouvé en cinq langues différentes, sur le site du Conseil des rabbins d’Israël. Contrairement, à la version américaine, cet accord doit être signé par les deux partenaires, l’homme et la femme, avant le mariage, et les protège ainsi équitablement.
L’Institut Rackman, avec diverses autres organisations, préconise qu’un contrat de mariage de ce type devienne la norme, avec la Ketouba du mariage. Au moins, estime-t-il, un accord distinct doit devenir une pratique courante, si l’on veut éviter les cas d’Agounot à l’avenir.
Levmore souhaiterait voir le concept des Agounot devenir aussi désuet que des maladies telles que la polio ou la variole.
“Vous pouvez soigner ces maladies, dès lors que vous avez le vaccin”, commente-t-elle. “Pour l’heure, le contrat de mariage est le vaccin le plus efficace contre les agounot.”
La raison à cela ? Tout simplement parce que rien ne parle comme l’argent. Un mari, ou une femme, est beaucoup moins susceptible de refuser le divorce, si on lui parle de grosses sommes et de généreuses pensions alimentaires. “La beauté du contrat de mariage”, commente Levmore, “c’est que le mari ne va pas vous donner une excuse, il va vous donner le get !” En plus d’éliminer le risque croissant de mamzerim, et sans mentionner l’abus des droits de l’Homme et de la Femme, il offre aux femmes leur liberté, et la possibilité de se remarier, et de continuer à procréer si elles le désirent.
La Journée internationale des Agounot, qui coïncide avec le jeûne d’Esther, le 7 mars prochain, véhicule un message au peuple juif, ainsi qu’aux autorités rabbiniques : “Encourager la signature d’un contrat de mariage, comme procédure standard chez tous les couples qui désirent se marier. Au nom de l’expansion de la nation juive.”