Les travaillistes, éternels perdants?

La culture du déni dans laquelle se complaît le parti travailliste est à l’origine des critiques qui ont accompagné sa campagne comme des fausses autopsies qui ont suivi sa défaite

Tsippi Livni et Itshak Herzog (photo credit: REUTERS)
Tsippi Livni et Itshak Herzog
(photo credit: REUTERS)
Tout a commencé au siècle dernier. En 1997, les travaillistes désavouaient Shimon Peres lors des primaires du parti, trois mois après sa défaite contre Benjamin Netanyahou aux législatives. Le même scénario s’est depuis répété, défaite après défaite. En 2002, Binyamin Ben-Eliezer connaissait le même destin, puis c’était le tour d’Amram Mitzna en 2003, de Shimon Peres (une fois de plus) en 2005, d’Amir Peretz en 2007 et de Shelly Yachimovich en 2013. Une série noire dont la prochaine victime pourrait bien être Itzhak Herzog.
Pourtant, ce n’est pas d’un nouveau leader dont le parti travailliste a besoin, mais bel et bien d’une nouvelle voie, dans laquelle il s’engagera au terme d’un processus d’introspection que les hommes politiques dans leur grande majorité ont du mal à initier.
Ainsi, Itzhak Herzog n’a pas tardé à trouver son bouc émissaire en la personne du peintre Yaïr Garbouz. Sans son sermon contre les « embrasseurs d’amulettes » qui « se prosternent sur les tombeaux des saints », les travaillistes auraient pu gagner, a assuré le candidat déchu. Dans la même veine, l’éditorialiste Néhémia Strassler affirmait dans Haaretz que « le génie ethnique » était sorti de sa bouteille. Autrement dit, la victoire du Likoud reposerait sur les écarts sociaux entre juifs ashkénazes et séfarades.
Malheureusement pour les travaillistes, ces complaintes sont infondées. Car depuis l’immigration des juifs de l’ex-Union soviétique, doublée de la baisse du taux de natalité enregistrée ces dernières années, la population séfarade est en perte de vitesse ; d’un Israélien sur deux, la proportion des non-ashkénazes est désormais passée à moins d’un sur trois, selon le Bureau central des statistiques.
Si l’on en croit ces chiffres, le potentiel brut du « vote juif séfarade » approcherait les 28 sièges à la Knesset. 28 mandats auxquels il faut soustraire les 6 sièges remportés par le Shas et les 10 mandats attribués à Koulanou, deux partis majoritairement soutenus par l’électorat séfarade. D’après ces calculs, la moitié des 30 mandats du Likoud restent donc une énigme. Alors d’où viennent ces voix ? De la lune ? Ou des juifs ashkénazes ?
Car malgré ces généralisations grossières, de nombreux Séfarades votent pour le parti travailliste, alors que de nombreux Ashkénazes confient leur voix à Israël Beiteinou ou au Bayit HaYehoudi. Bref, rien ne sert d’attribuer la défaite des travaillistes aux rivalités ethniques.
Et puis il y a ceux qui, à l’instar du conseiller de l’ombre Reouven Adler, estiment que c’est l’accord de rotation Herzog-Livni qui est à blâmer. Bien sûr, l’idée n’était pas bonne, mais l’engagement a été annulé au dernier moment, ce qui n’a eu aucun effet patent sur les résultats des urnes.
Reconnaître l’échec d’Oslo
Pourquoi le parti travailliste continue-t-il de perdre, élection après élection ? Pour avoir voté au fil des ans pour Itzhak Rabin, Shimon Peres et Ehoud Barak, et avant eux pour le Chinouy d’Amnon Rubinstein, puis pour le Chinouy de Lapid père, puis pour Lapid fils, en passant par Ehoud Olmert, je fais partie de ces quelques milliers d’électeurs qui détiennent la triste réponse à cette terrible question. Et la vérité est aussi simple que douloureuse : le parti travailliste perd parce qu’il nie l’échec des accords d’Oslo.
Depuis le sommet de Camp David en juillet 2000, les travaillistes ont systématiquement perdu les six dernières élections, sans jamais même caresser la victoire. En outre, ils ont essuyé la pire défaite électorale jamais vue sous nos cieux, quand Ariel Sharon a battu Ehoud Barak avec une majorité de près de deux tiers.
Pourtant, le parti n’était pas voué à l’échec. Au cours des vingt années qui ont précédé les accords, les travaillistes avaient remporté deux élections haut la main et en avaient perdu trois de justesse. Et ce, alors que la proportion non ashkénaze de la population était à son apogée, mais, encore une fois, là n’est pas la question.
Il faut croire qu’après avoir donné une dernière chance à Oslo en 1999, une grande partie des Israéliens est aujourd’hui émotionnellement incapable de voter pour les travaillistes. Après la vague de terreur qui a suivi les accords, ils ont choisi de voter contre la crédulité, le déni et l’insouciance. A Oslo, les travaillistes ont fait un pari risqué, espérant que Yasser Arafat se révélerait être un interlocuteur fiable. Ceux qui ont tourné le dos à la gauche sont aujourd’hui convaincus que le Raïs n’était pas sincère lors des négociations. Ils estiment que les dirigeants travaillistes ont été dupés et que l’effusion de sang aurait pu, en grande partie, être évitée.
Un examen de conscience nécessaire
Afin de retrouver la confiance du grand public, le parti travailliste devra faire face à son traumatisme, mais, pour l’heure, il n’a même pas pris conscience de ses erreurs.
Fidèle à cette culture du déni, il fait porter le chapeau de l’absence de paix au leadership israélien et continue de fermer les yeux sur l’imposture palestinienne. Pourtant, comment expliquer que Yasser Arafat a rejeté la proposition faite par Barak et Clinton en 2000 ? Comment expliquer que son successeur Mahmoud Abbas a refusé celle d’Ehoud Olmert en 2008, et a jugé le discours de Benjamin Netanyahou à Bar-Ilan un an plus tard comme « dépourvu de sincérité », au lieu de rencontrer le chef du gouvernement dès le lendemain ?
Les électeurs centristes attendent également de voir les héritiers autoproclamés de David Ben Gourion confronter ceux qui diffament les habitants des implantations. Oui, nous pensons qu’ils ont tort, mais nous ne les considérons pas comme des criminels. Nous savons faire la différence entre les erreurs, que sont la plupart des implantations, et les crimes, qu’on ne saurait en aucun cas imputer à leurs habitants. Le fait que le parti travailliste ne soit pas apte à faire haut et fort cette distinction éloigne l’électorat qu’il est si désireux de séduire, et donne l’impression qu’il n’est plus le parti des pionniers pragmatiques qui ont construit l’Etat hébreu.
Les travaillistes ont tout essayé depuis Oslo ; le vitriol populiste d’Amir Peretz, les sermons keynésiens de Shelly Yachimovich, et la sobriété à la Tony Blair d’Itzhak Herzog. Tout, sauf une seule chose : le repentir.
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