Qui va surveiller la police?

Alors que les allégations d’abus sexuels assombrissent ses hauts gradés, la police israélienne se lance dans un règlement de comptes moral et une refonte organisationnelle

La police en pleine tourmente (photo credit: REUTERS)
La police en pleine tourmente
(photo credit: REUTERS)
Après avoir mis dans l’embarras le roi David, Bill Clinton et Moshé Katsav, les affaires de mœurs secouent la police israélienne, révélant les vices de son haut commandement, sous les yeux d’un Etat juif atterré. Au menu : enquêtes, démissions et autres licenciements qui ponctuent des écarts de conduite en série, preuve d’une culture organisationnelle déviante, basée sur l’abus de pouvoir. Un défi majeur pour le prochain gouvernement d’Israël.
Depuis quatre ans qu’il est à la tête de la police, l’inspecteur général Yohanan Danino a l’habitude de réunir régulièrement ses 15 commissaires adjoints en réunions de travail. Là, il leur enjoint de s’asseoir avant de plancher sur la meilleure façon de maintenir l’ordre au sein de l’Etat. Mais aujourd’hui, sept d’entre eux sont soupçonnés d’irrégularités, et cinq – dont l’ancien adjoint de Danino – de délits sexuels.
L’hécatombe
En janvier dernier, l’inspecteur général adjoint Nissim Mor était interrogé 12 heures durant par le département du ministère de la Justice chargé d’enquêter sur la police, suite à une plainte pour harcèlement déposée par une jeune policière. A 56 ans, ce père de quatre enfants jusque-là pressenti pour prendre la succession de Danino, était alors placé en maison d’arrêt et sommairement congédié. Deux mois plus tard, il reconnaissait avoir entretenu deux autres relations avec des subordonnées qui auraient, selon lui, étaient consentantes et n’auraient reçu aucune faveur en retour. Quoi qu’il en soit, en mars, les enquêteurs prévoyaient d’inculper Mor pour actes indécents, harcèlement sexuel et abus de confiance, mais aussi pour obstruction à la justice. Il aurait délibérément effacé des SMS compromettants dans le cadre de l’affaire.
Et pendant que Mor était en résidence surveillée, le commandant de la région côtière, Hagaï Dotan, également marié et père de quatre enfants, était, lui, licencié au terme d’une enquête du ministère de la Justice, ouverte en raison de plaintes pour harcèlement par cinq policières.
Peu avant, le commandant pour la Judée et la Samarie, Kobi Cohen, démissionnait, là encore après une enquête du ministère de la Justice sur la nature de ses relations avec une de ses subordonnées. La policière concernée n’avait pas porté plainte, mais d’autres l’avaient fait à sa place. Une correspondance Facebook aurait attesté que le commissaire adjoint avait exercé des pressions pour que la jeune femme l’accompagne lors d’une mission en Pologne, ajoutant que le fait de « se lier à lui » serait bénéfique à sa carrière.
En septembre, le commandant pour la région de Jérusalem, Yossi Parienti, lui aussi candidat à la succession de Danino, démissionnait brusquement pour « raisons personnelles ». Quelques mois plus tôt, son prédécesseur Niso Shaham avait été licencié et inculpé pour harcèlement.
Une tradition d’abus de pouvoir
D’un côté, aucun de ces scandales ne sont liés, il est vrai, à des affaires de viol. Une raison de se réjouir. Mais de l’autre, ils révèlent tous une culture de violence – abus du sexe dit faible, abus de pouvoir et abus d’un système qui piège les femmes issues des classes défavorisées dans les bras de puissants supérieurs.
Retour en 2010. Le commissaire adjoint Ouri Bar-Lev démissionnait suite à une plainte de harcèlement déposée contre lui. A l’époque, l’incident semblait exagéré. La psychologue Orly Innes, qui travaillait alors comme prestataire pour la police israélienne, avait accusé le commissaire d’actes indécents. Ce dernier s’était excusé et l’affaire avait été classée, sans suite. Bar-Lev avait même repris brièvement du service.
Mais la crise qui secoue actuellement la police est totalement différente, et devrait donner lieu à des changements majeurs. Car la proie typique des policiers n’est pas Orly Innes, docteur en psychologie, auteure d’un programme de sécurité publique qu’elle a vendu à la police. La victime des flics est généralement peu diplômée, sans grande alternative professionnelle ni perspective de promotion autre que celle de satisfaire ses supérieurs. Ajoutez à cela l’influence juridique, sociale et financière du policier vétéran, et vous obtenez une bonne recette d’abus sexuel.
Il semble ainsi que la police soit le dernier bastion d’une culture de harcèlement autrefois prospère dans le monde du travail et de la politique, du gouvernement à l’armée, en passant par le monde des arts.
Tsahal, par exemple, a eu à plusieurs reprises maille à partir avec ses plus hauts échelons. En 1979, le commandant de la marine Michael Barkai était renvoyé pour des écarts de conduite après un jugement en cour martiale. Puis en 1999, le général de brigade des corps blindés, Nir Galilée, était accusé de viol par son ancienne secrétaire. Le tribunal militaire n’avait pas retenu les accusations, mais l’avait condamné pour conduite indécente, après qu’il ait reconnu avoir eu des relations sexuelles avec sa secrétaire. La Cour suprême bloquera sa promotion au grade de général de division, et Galilée finira par quitter l’armée.
Mais depuis, le message semble être passé dans les rangs de Tsahal, ancien incubateur notoire de prédateurs de femmes, à l’image de Moshé Dayan. Une transition similaire s’est opérée dans le domaine des arts, après la condamnation de l’acteur Hanan Goldblat pour les viols de jeunes comédiennes, pendant que le gouvernement faisait lui aussi amende honorable, en 2001, avec la condamnation de l’ancien ministre de la Défense Itzhak Mordechai, dans plusieurs cas de harcèlement.
Le jour où l’ancien président Moshé Katsav a pénétré la cellule de prison dans laquelle il est toujours détenu, on aurait pu penser qu’une ère venait de se terminer. Et qu’avec un président derrière les barreaux pour offenses sexuelles, tout le monde aurait compris que le harcèlement sur le lieu de travail n’avait plus lieu d’être. Tout le monde. Sauf les policiers.
Le grand ménage
« La police est en proie à des infractions sexuelles et à de l’abus de pouvoir », a récemment déclaré le chef du département des enquêtes policières du ministère de la Justice, Ouri Carmel, dont le bureau traite les plaintes à l’encontre des policiers. Multipliant les métaphores, Carmel s’est réjoui de voir que les récentes enquêtes pour harcèlement ont conduit à « un nettoyage des écuries ».
Même si cet optimisme ne s’est pas encore matérialisé, le rôle personnel du commissaire Danino dans la crise en cours, y compris le licenciement de son propre adjoint, marque le début d’une intervention chirurgicale salutaire pour l’institution.
Mais le vrai chirurgien de la police, celui qui prendra la relève de ces opérations pratiquées dans l’urgence par Danino, n’arrivera qu’après la formation du prochain gouvernement. Et il se trouvera confronté à une organisation en proie à d’autres maux encore que le harcèlement. Outre la perte de cinq officiers supérieurs à cause de sombres affaires de mœurs, la police a dû se départir, ces derniers mois, de deux commissaires adjoints, dans d’autres circonstances.
Bruno Stein, qui dirigeait la région Centre, a démissionné à l’automne dernier après avoir assisté à une fête organisée par l’avocat Ronel Fisher, suspect dans une affaire de corruption impliquant des policiers. Quant à Menashé Arbiv, à la tête de l’unité Lahav 433 qui lutte contre les affaires d’escroquerie et le crime organisé, il a lui aussi pris la porte : le rabbin Yoshiyahou Pinto a reconnu avoir trempé dans la corruption d’agents de police et a affirmé l’avoir soudoyé.
Arbiv, dont les fonctions s’apparentaient à celles du chef du FBI, a catégoriquement nié les allégations portées contre lui. Pour autant, cette affaire ajoute encore à l’image déjà bien ternie de la police que certains accusent d’exploiter ses employées ; de frayer avec des criminels ; de faire un travail médiocre en matière de lutte contre les cambrioleurs, les chauffards et les promoteurs magouilleurs ; et d’être dans le besoin d’une refonte morale et professionnelle.
Une telle généralisation est injuste. La police israélienne accomplit un travail ingrat sur de nombreux fronts. Forte de ses 28 000 employés et de ses 9,5 milliards de shekels de budget, elle doit simultanément faire face à des attentats terroristes, des heurts frontaliers et des rassemblements politiques sous haute tension, tout en combattant ce qui fait le lot de toutes les forces de police ordinaires : immigration illégale, vol, escroquerie, crime organisé, infractions au code de la route, détournements de fonds et blanchiment d’argent. Les policiers israéliens sont bien plus souvent dans la ligne de mire que leurs collègues étrangers. En outre, sur certains fronts, comme le contrôle du trafic de stupéfiants ou la gestion de foules et le maintien de l’ordre, leurs réalisations sont souvent impressionnantes.
Mais en plus d’être un bastion anachronique où le sexisme est roi, la police israélienne est surchargée et trop centralisée. Sous la responsabilité, ces six dernières années, du ministre de la Sécurité intérieure Itzhak Aharonovich, lui-même un ancien commissaire adjoint qui a passé la moitié de sa carrière dans les forces de police, la structure et les fonctions de l’organisation n’ont pas été suffisamment mises en cause.
Le remaniement imminent de la police israélienne pourrait bien exiger, outre le fait de remettre les compteurs de la moralité à zéro, une restructuration ambitieuse qui passerait alors par un dégraissage organisationnel. Car tout gérer sous un seul toit n’est peut-être pas la meilleure des solutions.
Un commissaire extérieur à l’organisation pourrait, par exemple, penser que la police devrait se concentrer sur la criminalité nationale et l’ordre public, pour déléguer les cambriolages, les problèmes de constructions illégales et la violence domestique aux services de police municipaux, qui n’existent pas en Israël.
L’heure des réformes
De telles réformes ambitieuses sont généralement difficiles à imposer à des bureaucraties bien établies, tentaculaires et omnipotentes comme la police. Mais les choses pourraient bien changer, avec la fin prochaine du mandat de Danino et un nouveau venu à la tête du ministère de tutelle. La première mission du prochain ministre de la Sécurité intérieure consistera avant tout à décider où chercher le prochain chef de la police du pays : au sein de la police ou ailleurs. Et après son recrutement, l’agenda de ce dernier oscillera entre réforme et révolution.
La résistance au changement au sein de l’organisation est apparue évidente, en septembre dernier. Selon certaines spéculations, un ancien général de Tsahal était pressenti pour prendre la tête de la police, mais, pour Danino, il était préférable que son successeur soit issu du haut commandement de l’organisation plutôt que de l’armée. Certains ont alors pu penser que l’opposition des plus hauts échelons policiers à l’importation d’un gradé militaire tenait du complexe d’infériorité. Mais ces accusations étaient sans fondement.
Car seulement trois des commissaires adjoints actuels ont commencé leur carrière policière sur le terrain : deux dans la police des frontières et un dans l’unité antiterroriste d’élite Yamam. La quatrième, Guila Gaziel, qui affiche 27 ans de service policier, a exercé ses fonctions sans interruption dans le service des ressources humaines qu’elle dirige désormais.
Le reste du haut commandement a fait ses débuts dans l’armée ; six d’entre eux, y compris Danino, comme officiers de combat. Un autre, Yaron Beeri, commandant de la police de la circulation, a dirigé la division du personnel de Tsahal, avant de prendre sa retraite comme général de brigade.
Ce que redoute l’élite policière, ce n’est donc pas l’armée israélienne, mais l’intrusion d’un étranger. Cependant, une telle attitude sera désormais difficile à défendre.
S’il vient de l’extérieur, le chef de la police sera probablement issu des rangs de Tsahal, car les candidats des autres branches potentielles, comme les services secrets par exemple, ne sont pas habitués à la visibilité publique que le poste de commissaire exige.
En outre, les forces de défense israéliennes ne manquent pas de prétendants, en service ou à la retraite ; de l’ancien vice-chef d’état-major Yaïr Naveh, à l’ancien chef du commandement de la région Centre Gadi Shamni, en passant par l’ancien commandant des forces aériennes Ido Nehoushtan.
Yaacov Turner, « seulement » général de brigade, avait servi cinq ans en tant que commissaire adjoint avant sa nomination en 1993 comme inspecteur général. Avant lui, un seul précédent d’un général parachuté à la tête de la police : c’était en 1980, lorsque le général de division, Herzl Shafir, auparavant à la tête du commandement Sud de Tsahal, était nommé commissaire de police. Mais l’expérience aura été de courte durée. Douze mois après son entrée en fonction, Shafir était congédié par le ministre qui l’avait embauché – Yossef Burg – au motif qu’il aurait menti à ce dernier. Peu ont cru à cette version et nombreux sont ceux qui lient le licenciement de Shafir à une enquête pour allégations de corruption contre le parti national religieux de Burg.
Pendant qu’il provoquait les politiciens au-dessus de lui, le général Shafir perturbait les policiers sous sa responsabilité, leur imposant une informatisation que l’armée avait subie récemment. Son mandat aura été bref, orageux, et malheureux. Mais aussi l’occasion, pour ce commandant venu de l’extérieur, d’afficher une sorte d’indépendance, de courage et de mépris pour les conventions, que le système n’a pas su digérer. Trente-cinq ans plus tard, la police n’a plus un tel choix.
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