Aimer, envers et contre tout

Avec Le Silence de Tamar, Naomi Ragen décortique les réflexions intimes d’une femme orthodoxe aux prises avec un terrible secret.

livre naomie ragen (photo credit: DR)
livre naomie ragen
(photo credit: DR)
Son premierouvrage traduit en français, Sotah, avait été couronné du prix Wizo 2010. NaomiRagen entreprenait alors une plongée toute en émotion dans ce mondeultra-orthodoxe de Méa Shéarim, où les femmes se veulent gardiennes d’unetradition héritée de leurs pères et se conforment avec zèle à chacun de sescommandements.
Mais parfois la différence se fait jour et le coeur aspire à un ailleurs… Unthème cher à la romancière qu’elle a ainsi repris dans son second ouvragetraduit en français, Fille de Jephté. Ou comment la femme doit taire sonbonheur pour remplir un rôle qui ne lui convient pas. Sa seule échappatoire :une mort simulée pour fuir la réalité et recommencer sa vie, loin d’unecommunauté dans laquelle elle n’avait pas trouvé sa place.
Pour sa troisième parution en français, Le fantôme de Dona Gracia Mendes, Ragens’égarait dans une fresque historique d’envergure, sur fond d’Inquisitionespagnole et de destins intergénérationnels américains, d’autres décors etd’autres siècles.
Avec Le silence de Tamar, qui vient de paraître en français aux éditions Yodéa,elle renoue avec son genre de prédilection : l’étude de ces femmes en noir,épouses dévouées et mères fertiles, au service d’une foi qui tantôt propulse,tantôt oppresse.
Tamar Gotlieb est une fillette enjouée et espiègle, la bonté en personne, quifait bonne figure devant les caprices de sa soeur et la nature qui l’a dotéed’un physique qu’elle aurait préféré plus clément. Elle grandit dans lescouloirs de l’école religieuse Ohel Sarah et les allées de Brooklyn, entre sesamies Jenny, orpheline de père et dont la mère n’a pas grandchose à voir avecla pratique religieuse, et Hadassah, fille du grand rebbe de Kovnitz, un maîtrehassidique. Devenues adultes, elles se perdront de vue, chacune d’elles suivantsa voie et sa foi : Hadassah décidera de s’éloigner du joug de la Torah, Jennytentera de concilier études universitaires et respect de la Halakha et Tamar semariera avec un érudit, promis à un brillant avenir rabbinique.
Tamar, la douce, épouse, éprise et admirative d’un mari dévoué corps et âme àl’application des préceptes divins. Elle rêve de lui donner un fils, unedescendance. Mais le drame survient en la personne de ce violeur noir, qui, enposant les mains sur elle, porte atteinte non seulement à son corps mais à savie de femme pieuse. Que dire ? Et à qui ? Sera-telle répudiée ? Illégitime ?Contrainte à divorcer ? Tamar va alors faire le choix de taire cet instantd’agonie, de le rayer de sa vie comme une excroissance indésirable.
Mais la vie qui pousse soudain un elle est-elle synonyme du pire ou du meilleur? Naomi Ragen dresse ici un portrait tout en finesse de la femme religieusetiraillée entre le besoin de s’épancher auprès de ceux qu’elle aime etl’impossibilité de confier l’horreur qui l’habite et fait désormais partied’elle. Pour ne pas bouleverser son quotidien. Par respect des siens. Parce quetout ne se dit pas au sein de cette communauté des convenances et desconventions. Mais un secret peut-il éternellement se garder ? L’auteur réussitle tour de force de modeler une héroïne pétrie d’humanité, d’amour de vivre etde soif de vérité, sans tomber dans les clichés et les émotions faciles. Aucontraire.
Elle soulève le débat, celui de l’acceptation et de la tolérance.
Son ouvrage se lit d’un trait, dans un mélange de douceur, de douleur etd’avidité. Un hymne à la différence.