Bibi et Barack : un roman d’inimitié

Obama a une vision du conflit israélo-palestinien plus rationnelle que ses prédécesseurs. Et il le paie cher

Bibi et Barack (photo credit: Reuters)
Bibi et Barack
(photo credit: Reuters)
Barack Obama a un problème avec Israël. Au terme de trois années de mandat, le président américain n’a pas encore décidé s’il allait se plier aux exigences du Premier ministre israélien ou plutôt lui mettre la pression.
Attachez vos ceintures. Car à moins que Barack Obama et Binyamin Netanyahou n’inventent un moyen de coopérer qui leur donnerait à tous deux la vedette, et leur permettrait de tirer profit l’un de l’autre, les relations américano-israéliennes semblent bien embarquées sur une voie chaotique.
La conception qu’a le président américain d’Israël repose sur deux réalités fondamentales. La première, structurelle, est liée à la façon dont Obama voit le monde. La seconde, plus concentrée, découle de son opinion sur Netanyahou et de la politique israélienne. Ensemble, ces deux réalités ont créé et maintenu un profond degré de frustration, frisant l’exaspération.
Obama ne nourrit pas envers l’Etat d’Israël le même amour que vouaient au frêle Etat juif ses deux prédécesseurs, Bill Clinton et George W. Bush. Intellectuellement, il comprend et soutient le concept - une petite nation démocratique, au sombre passé, confrontée à d’énormes menaces existentielles - mais seulement dans ses grandes lignes.
Clinton et Bush, eux, étaient émotionnellement épris de l’histoire de l’Etat juif et des Premiers ministres qui l’ont écrite.
Clinton réglait son pas sur celui d’Itzhak Rabin - leader et héros authentique de paix et de guerre - comme un étudiant sous l’emprise d’un brillant professeur. (Certains ont même affirmé comme un fils pour son père). “J’en étais venu à l’aimer”, a ainsi écrit l’ancien président dans ses mémoires, “comme j’ai aimé peu d’hommes.”
Et George W. Bush, bien que souvent poussé à l’extrême par Ariel Sharon, aimait ses récits de l’histoire biblique et ses épopées de guerre plus récentes. Bush réagissait - comme il le faisait sur tant de questions - avec ses tripes, encore plus lorsqu’il s’agissait de la sécurité d’Israël.
Alors qu’il survolait l’étroit Etat juif avec Sharon, l’ancien gouverneur s’était fait la réflexion : “Au Texas, nous avons des autoroutes plus longues.”
Plus analytique qu’émotionnel
Obama, lui, appréhende le conflit et sa résolution sur une échelle plus globale. Il n’a pas puisé son idée d’Israël dans le film Exodus, où les Israéliens sont montrés comme des cow-boys face aux Indiens arabes. Il n’a pas non plus la fibre baptiste sudiste clintonnienne, ou la sensibilité évangélique de Bush face à la Terre sainte.
Obama a façonné sa vision ailleurs : dans sa propre logique, dans le milieu universitaire où il s’est développé intellectuellement et à partir de ses propres sensibilités morales.
Ainsi, pour lui, le conflit israélo-arabe n’est pas un dilemme moral qui oppose les forces du bien contre celles des ténèbres.
Il raconte une histoire bien plus complexe, pas celle du héros face aux méchants, mais de deux droits et deux causes justes.
C’est également un conflit qui est vital pour les intérêts américains. Des intérêts menacés par le fossé creusé entre ceux qui veulent une solution et se dirigent sincèrement en ce sens, et ceux qui ne souhaitent pas vraiment un dénouement et sèment des obstacles. Trois ans ont suffi pour que le président place les Israéliens dans la seconde catégorie et les Palestiniens dans la première.
La tendance d’Obama à regarder Israël avec des yeux analytiques plutôt qu’émotionnels, et à définir le conflit en termes d’intérêt national plutôt que moral, empoisonne ses rapports avec Netanyahou.
Obama n’aime pas Bibi, ne lui fait pas confiance et le considère comme un filou. Ce Premier ministre israélien qui l’a frustré et embarrassé, annihilant les espoirs exagérés de solution au conflit israélo-palestinien, qu’il poursuit avec plus d’enthousiasme que de véritable stratégie depuis son investiture.
Amours et désamours
Les tensions entre présidents américains et Premiers ministres israéliens sont assez courantes. En particulier entre les Démocrates et les faucons Likoudniks.
Mais deux cas de figure peuvent réchauffer l’atmosphère, temporairement du moins. Le premier, l’élaboration d’un projet commun, généralement celui d’une paix israélo-arabe, où chaque partie investit dans l’autre, embellissant au passage sa propre image. Des exemples : Jimmy Carter et le traité de paix avec l’Egypte de Menahem Begin ; Bush père et la conférence de paix de Madrid d’Itzhak Shamir ; Sharon et sa “guerre contre le terrorisme” et le jeune Bush.
Le deuxième cas de figure élimine le problème, à défaut de le résoudre. Il consiste en une défaite politique de l’une ou l’autre des parties et en l’arrivée d’une nouvelle équipe capable de créer une relation plus fonctionnelle. C’est précisément ce qui s’est passé dans le cas de George H.W. Bush et Shamir : Clinton et Rabin ont émergé pour prendre leur place. Ou avec Carter et Begin, lorsque Ronald Reagan - l’un des présidents les plus proisraéliens de l’histoire américaine - est arrivé au pouvoir. Même s’il a connu des heurts avec Begin, les liens américanoisraéliens se sont vus renforcés sous sa présidence.
Ce qui est si fascinant concernant le proche avenir, c’est que ni un projet viable commun, ni un changement de dirigeants n’est envisageable. La question nucléaire iranienne reste alors la carte joker. L’impact d’une frappe israélienne pourrait rapprocher les Etats-Unis et Israël, en particulier en cas de représailles iraniennes musclées.
Mais en fin de compte, la relation Barack-Bibi semble aller dans le mauvais sens, la confiance et la capacité à se donner mutuellement le bénéfice du doute s’étant depuis longtemps évaporée. Si les deux hommes sont encore en poste en 2013, le jeu de chat et de souris devrait encore se poursuivre. Toujours méfiants et suspicieux, aucun d’eux ne sera d’humeur à la réconciliation.
Etant donné l’absence d’une certaine entreprise commune fédératrice et le grand nombre de questions qui les divisent (les implantations, le processus de paix), la situation risque d’empirer, et pourrait avoir des répercussions sur les relations américano-israéliennes, la sécurité israélienne, les intérêts américains et, pour certains, tout résidu d’espoir de solution à deux Etats.
L’auteur est spécialiste en politique publique au Centre international américain Woodrow Wilson. Cet article a été publié dans le Los Angeles Times.