Erdogan et ses problèmes de voisinage

Les solutions qui s’offrent au Premier ministre turc pour gérer la crise avec la Syrie sont plutôt moroses.

erdogan 1710 521 (photo credit: Murad Seze/Reuters)
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(photo credit: Murad Seze/Reuters)
Confusion à Ankara. Le Premier ministre turc Recep Tayep Erdogan a déclaré lors d’un discours la semaine dernière, que la Turquie “ne souhaite pas la guerre - mais n’en est pas loin non plus”. Une phrase plutôt elliptique qui résume parfaitement les dilemmes de la politique étrangère turque envers la Syrie et la guerre civile en cours.Cette hésitation reflète aussi les tergiversations de l’Occident. Et contraste fortement avec la détermination des soutiens internationaux du régime d’Assad, ce qui explique, au moins en partie, que le pouvoir syrien continue de résister malgré les fréquentes annonces d’une chute imminente.Lorsque le printemps arabe a démarré en 2011, il semblait que la Turquie en serait le bénéficiaire naturel.Si les Arabes recherchaient davantage d’élections et d’islam dans la vie publique, le gouvernement du parti de la Justice et du Développement (AKP) en Turquie pouvait tout à fait servir de modèle.C’est pourquoi, lorsque la révolution syrienne a éclaté, les Turcs se sont joyeusement lancés dans la mêlée. Ankara a accueilli et soutenu la fondation du Conseil national syrien, fief de l’opposition. Les leaders de la Libre armée syrienne se sont établis sur le sol ottoman. Et les preuves d’une implication turque ne s’arrêtent pas là : le pays a facilité l’entraînement militaire des rebelles et aurait également fourni des armes.Les puissances occidentales, cherchant à éviter une implication directe, étaient trop heureuses d’abandonner la mission d’assistanat à la Turquie (ainsi que l’Arabie Saoudite et le Qatar). De nombreux analystes prédisaient la chute rapide du président Assad et Erdogan se voyait bien en chaperon d’un nouveau régime, sunnite et amical, à Damas.
Les pronostics tenus en échec
Problème : Assad tient toujours bon. Le résultat est un bain de sang civil, aujourd’hui dans l’impasse. Le dictateur a été aidé par de précieux amis. Les Russes et les Chinois ont bloqué toute réponse efficace au Conseil de sécurité de l’ONU. L’Iran et le Hezbollah, son mandataire, ont fourni le savoir-faire, l’argent (5 milliards de dollars de la part de Téhéran depuis le début des émeutes) et les troupes. Assad a également astucieusement relancé ses relations avec le Parti des travailleurs kurdes (PKK), un groupe de combattants qui a repris sa campagne militaire depuis le nord de l’Irak jusqu’au sud-est de la Turquie.Les Etats-Unis et les pays européens ont dû se contenter de condamnations verbales du régime, de sanctions économiques et d’une aide cachée et partielle.De son côté, face à la coalition rassemblée derrière Assad, Ankara a dû ravaler un certain nombre d’insultes de son voisin sudiste. L’abattage d’un F-4 turc au-dessus de la Méditerranée, en juin, en a été l’exemple. Mais le meurtre de 5 civils dans la ville d’Akçakale au début du mois a constitué la plus grave détérioration à ce jour. La Turquie a répondu en déployant des troupes au-delà de frontière syrienne pour la première fois depuis le début de la rébellion. Plutôt que de céder, les forces syriennes ont tiré des obus de mortier vers leur voisin à plusieurs reprises, sans faire plus de victimes toutefois.Ankara a renforcé sa présence le long de la frontière, envoyant 25 avions F-16 supplémentaires vers sa base aérienne de Diyarbakir, au sud-est de l’Etat.Les meurtres d’Akçakale ont largement été condamnés dans le monde. Le secrétaire-général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen, a fait savoir cette semaine à la Turquie qu’elle pouvait compter sur son soutien. Mais Rasmussen n’a toutefois pas dévoilé les détails du plan d’urgence de l’Otan pour Istanbul et Damas. Et il semble peu probable que la détermination occidentale à demeurer à l’écart de la Syrie n’ait été entamée par les derniers événements.Ce qui place le gouvernement turc dans une situation difficile. L’opinion est peu enthousiaste à l’idée d’une intervention en Syrie, une opération qui coûterait de nombreuses vies et à l’issue incertaine.
Immobilisme
Dans l’opposition, le Parti de la république du peuple (CHP) fait d’ores et déjà son miel de la situation. Et de souligner que l’aide fournie d’Erdogan aux rebelles a aiguillé la colère et l’hostilité du régime d’Assad vers la Turquie, tout en ayant atteint un succès des plus mitigés.Les Kurdes représentent également une menace. Si Ankara intervenait en Syrie, ils risqueraient de reprendre de plus belle leur combat contre le pays, en accord avec leur nouveau rapprochement de Damas.Erdogan a donc plusieurs possibilités, aussi peu attirantes les unes que les autres. Il peut initier une opération audacieuse contre le régime, mais c’est se lancer dans le bourbier syrien, sans réel soutien occidental, avec une opinion locale sceptique et la perspective redoutée d’une nouvelle campagne militaire du PKK. Il peut également continuer de faire la sourde oreille aux insultes syriennes, au risque d’être perçu comme un dirigeant indécis et maladroit, qui aboie plus qu’il ne mord.Pour l’instant, le gouvernement semble bien vouloir esquiver le problème. Il a certes demandé l’appui des parlementaires pour une intervention, mais s’est ensuite hâté de préciser, via son porte-parole, que cette approbation ne signifiait pas l’imminence d’une opération.Cette semaine, les Turcs ont forcé une ligne aérienne syrienne pour faire atterrir un avion, sous prétexte qu’il transportait “une cargaison illégale”.L’humiliation était calculée. Mais à moins que Damas ne choisisse l’escalade, des initiatives de ce genre constitueront probablement la seule réponse turque. Fort de son mandat parlementaire, le Premier ministre turc espère sans doute que ces échanges de feu à la frontière resteront en suspens.L’apparente absence de cohésion de la politique syrienne d’Erdogan découle de la confusion occidentale générale. Il était d’emblée très optimiste d’espérer qu’une aide partielle de la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar à la rébellion syrienne ait raison d’un régime soutenu par l’Iran, la Russie et la Chine.Mais l’Occident reste résolument à l’écart d’une intervention en Syrie et Ankara se contente de soutenir indirectement les rebelles. Résultat : la capitale ottomane ne semble pas réagir aux débordements à sa frontière. Ce qui signifie avant tout de courtes représailles turques pour venger la tuerie syrienne, mais rien de plus offensif, tant que des pertes en grand nombre peuvent être évitées.