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Avec l’Etat islamique qui progresse résolument, Israël pourrait bien se retrouver dans le camp de l’Iran sur au moins un front moyen-oriental

Dans le Golan israélien, la force des Nations unies chargée d’observer le désengagement (UNDOF) s’apprête à passer en Syrie, le 31 août dernier (photo credit: BAZ RATNER)
Dans le Golan israélien, la force des Nations unies chargée d’observer le désengagement (UNDOF) s’apprête à passer en Syrie, le 31 août dernier
(photo credit: BAZ RATNER)
Le 26 août dernier, 12 heures avant le cessez-le-feu qui devait mettre un terme à 50 jours de guerre entre Israël et le Hamas à Gaza, un événement non moins important se déroulait à 964 km de Tel-Aviv. Tout comme la guerre de Gaza, cet événement illustre la nouvelle réalité du Moyen-Orient, une réalité en constante évolution, qui comporte de sérieux dangers pour Israël, mais qui ouvre aussi des opportunités et annonce l’émergence d’un alignement régional radicalement différent.
A Erbil, capitale de la région du Kurdistan, entité autonome significative du dysfonctionnement de l’Etat irakien, le ministre des Affaires étrangères d’Iran Mohammad, Javad Zarif, a rencontré le président kurde Massoud Barzani. Dans une conférence de presse commune, les deux hommes ont révélé que l’Iran avait accepté de fournir armes et munitions à l’armée kurde, qui affronte actuellement les extrémistes de l’Etat islamique (EI). Les Kurdes combattent aux côtés de l’armée irakienne, avec le soutien de l’US Air Force.
Selon certaines sources, Israël leur aurait, par le passé, fourni des armes ainsi que des conseils en matière de savoir-faire militaire. Dans les années 1960 et 1970, alors que l’Iran était une monarchie et avait Israël comme allié stratégique, ces deux pays ont collaboré pour aider les Kurdes, dirigés par Moustapha Barzani (père de Massoud), dans son combat pour l’autonomie contre Saddam Hussein.
Trente-cinq ans après la création de la République islamique d’Iran, qui diabolise Israël comme le « petit Satan », les deux ennemis jurés se retrouvent du même côté d’un front moyen-oriental et partagent au moins un intérêt national commun : stopper l’avancée des troupes sanguinaires de l’EI.
Quneitra, le seul point de passage
Israël et l’Iran ont également le même objectif quant à la Syrie, qui en est désormais à son 42e mois de guerre civile : limiter l’influence croissante de l’EI et stopper sa progression victorieuse. L’Iran et son agent, le Hezbollah libanais chiite, luttent déjà avec acharnement pour maintenir le président Bashar el-Assad au pouvoir en Syrie et garder le contrôle sur ce pays. Quant à Israël, il espère empêcher les troupes de l’EI d’occuper le côté syrien des 100 km de frontière, sur les hauteurs du Golan, où le calme règne plus ou moins depuis 40 ans. Un calme qui, toutefois, devient de plus en plus aléatoire ces derniers temps. Deux jours après la fin des combats à Gaza, plusieurs incidents d’assez mauvais augure ont eu lieu près de la frontière israélienne.
Tout a commencé quand des rebelles extrémistes combattant le régime de Damas et ses alliés du Hezbollah et de l’Iran, dont l’EI ne faisait pas partie, ont pris le contrôle du point de passage de Quneitra, à la frontière avec Israël. 300 de ces rebelles ont envahi les lieux, faisant fuir la petite troupe armée syrienne stationnée sur le site.
Quneitra est le seul point de passage officiel entre les deux Etats hostiles. Il est utilisé par les forces de l’ONU, ainsi qu’à une petite communauté druze des hauteurs du Golan. De jeunes Druzes le franchissent pour aller étudier dans les universités syriennes et pour trouver à se marier dans leurs communautés de l’autre côté de la frontière. Des agriculteurs y passent aussi pour aller vendre leurs produits sur les marchés syriens.
Le 28 août dernier, des rebelles du front al-Nosra ont capturé des dizaines de soldats de l’ONU originaires des îles Fidji stationnés dans la zone démilitarisée, à proximité de la frontière. Ces soldats appartenaient à l’UNDOF (Force des Nations unies chargée d’observer le désengagement), mécanisme mis en place en 1974, à la suite de la guerre de Kippour. Le mandat de l’UNDOF, renouvelé régulièrement, vise à assurer le maintien du cessez-le-feu entre Israël et la Syrie. Conformément à l’accord conclu, une zone tampon démilitarisée a été établie de part et d’autre de la frontière : aucune force armée n’est autorisée à y entrer ou à la survoler.
La politique de la « bonne frontière »
Jabhat al-Nosra (le Front al-Nosra) est une branche d’al-Qaïda opérant en Syrie et au Liban. Composée de quelque 7 000 hommes, pour la plupart syriens, dispersés dans tout le pays, elle a atteint le Golan il y a 2 ans. Ces derniers mois, ses effectifs ont grossi dans cette zone, alors que l’EI prenait le contrôle du Nord-Est de la Syrie, occupait la base aérienne de Tabqa et déclarait la ville de Raqqa capitale de son califat autoproclamé, repoussant du même coup al-Nosra vers le sud.
Désormais, les 100 km de frontière avec Israël sont contrôlés par des forces rebelles, principalement par des unités d’al-Nosra, à l’exception de quelques positions isolées. Il s’agit de combattants d’al-Qaïda dont la haine d’Israël est bien ancrée. Tout comme l’EI, ils ont un drapeau noir, veulent constituer un califat et kidnappent des étrangers.
Israël est cependant parvenu, au cours de l’année écoulée, à entretenir des relations de voisinage acceptables avec les diverses factions, y compris avec al-Nosra. L’un des facteurs qui ont favorisé cette bonne entente réside dans le millier de blessés de la guerre civile soignés en Israël, à l’hôpital Sieff de Safed, à l’hôpital Rambam de Haïfa et au sein de l’hôpital de campagne installé par Tsahal à la frontière. Une situation qui rappelle (certes à moindre échelle) la politique de la « bonne frontière » établie entre le Liban et Israël durant les années 1970.
L’établissement d’un hôpital de campagne et l’apport d’aide humanitaire aux réfugiés syriens dans les camps en Jordanie et en Turquie, accompli par des donateurs privés et des ONG dans le sillage du gouvernement et de Tsahal, s’inscrivent très clairement dans une volonté de concéder tous les efforts possibles pour maintenir le calme le long de la frontière.
Parallèlement, les conflits armés et le chaos ont toujours fourni des opportunités pour le camp adverse de glaner des renseignements.
Parmi toutes les incertitudes, et avec la difficulté à distinguer les amis des ennemis, il est plus facile de recruter des agents au sein d’une population désemparée et malheureuse ou d’envoyer des missions de reconnaissance.
L’absurdité de la crise israélo-syrienne
L’EI n’est pas présent dans le Golan, mais il est présent dans quelques villages proches de la frontière via une petite force de combattants. Cela n’inquiète pas fondamentalement Israël, mais les hauts responsables de la Défense gardent un œil attentif sur les éventuels développements. La situation très volatile qui prévaut en Syrie en général et à la frontière en particulier peut changer à tout moment. On ne peut ignorer le danger que représente l’avance continue de l’EI qui, mise en appétit par ses succès, pourrait bien vouloir mettre le cap sur la frontière israélienne.
Pour ajouter au chaos, tandis que la crise des otages de l’ONU n’est toujours pas résolue, la batterie antiaérienne israélienne a abattu un drone hostile qui violait l’espace aérien près de Quneitra. Les sources israéliennes n’ont pu établir si l’engin sans pilote appartenait à la Syrie, au Hezbollah ou à l’Iran, mais son objectif était de toute façon le même : il effectuait une mission de reconnaissance, pas nécessairement contre Israël, sans doute dans le but de repérer et de photographier les positions des rebelles au point de passage de Quneitra.
Voilà qui montre bien l’absurdité qui prévaut dans la crise frontalière israélo-syrienne : Israël ne veut pas voir les islamistes prendre le contrôle de la zone et leur préfère l’armée d’Assad, un moindre mal puisqu’on le connaît déjà. Néanmoins, Tsahal riposte en tirant sur des positions de l’armée syrienne et la tient pour responsable des violations de l’accord de désengagement, sans se soucier de déterminer qui en sont les vrais auteurs.
La politique israélienne de non-intervention dans la guerre civile qui ravage la Syrie depuis 3 ans et demi et a coûté la vie à plus de 190 000 individus, reste inchangée. Pourtant, outre quelques ripostes occasionnelles contre des positions de l’armée syrienne, Israël est déjà intervenu à plusieurs reprises dans le conflit.
Son aviation a ainsi attaqué 6 ou 7 fois des convois ou des dépôts d’armements de l’armée d’Assad. Il s’agissait de transports ou d’entrepôts d’armes sophistiquées, en particulier des roquettes de longue portée, destinées au Hezbollah libanais. Israël n’a jamais reconnu sa responsabilité dans ces attaques, un déni qui a permis aux deux parties de préserver le calme et d’éviter au régime d’Assad une humiliation qui l’aurait contraint à la riposte.
Bashar ou pas ?
Malgré la politique de non-intervention d’Israël, on commence à se demander, dans les hautes sphères de la défense et des services secrets, s’il est bel et bien préférable pour Israël que Bashar el-Assad reste au pouvoir.
Au tout début de la guerre civile syrienne, la majorité des décisionnaires israéliens considéraient qu’il était de l’intérêt national que le président syrien tire sa révérence. Le ministre de la Défense d’alors, Ehoud Barak, estimait que les jours de ce dernier étaient comptés et il lui donnait trois semaines pour être destitué. Sachant que le Hezbollah et l’Iran (deux ennemis jurés d’Israël) faisaient alliance avec lui, on s’en remettait au célèbre dicton selon lequel l’ami de mon ennemi est mon ennemi. Aujourd’hui, sachant que, de la même façon, l’ennemi de mon ennemi est mon ami, les dirigeants israéliens réalisent qu’Assad, l’Iran et le Hezbollah – qui ont un adversaire redoutable : l’EI – pourraient, au moins sur un front, parvenir à une alliance d’intérêts avec l’Etat hébreu. Et ainsi, pour la Syrie – tout comme en Irak, pour les Kurdes – Israël se retrouverait dans le même camp que l’Iran.
Les événements d’Irak et de Syrie illustrent bien les changements phénoménaux qui se sont succédé ces dernières années au Moyen-Orient : de vieilles alliances se sont brisées et d’anciens intérêts ont perdu de leur importance, les liens entre les forces en présence se sont modifiés et de nouveaux acteurs ont fait leur apparition sur le terrain.
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