Vers un “Printemps kurde” ?

Ankara est bien déterminée à tuer dans l’oeuf toute hostilité de sa population kurde, minoritaire mais significative

Printemps Kurde (photo credit: Yilmaz Kazandioglu/Reuters)
Printemps Kurde
(photo credit: Yilmaz Kazandioglu/Reuters)

Ces derniers jours, les forces turques ont déclenché une offensive majeurecontre les positions du mouvement rebelle PKK (Parti des travailleurs duKurdistan) dans la région frontalière entre la Turquie et l’Irak. Selon lesmédias turcs, près de 2 000 troupes ont pris part à l’opération.

Selon le ministre de l’Intérieur, Idris Naim Sahin, 115 rebelles kurdes ontété tués par les forces de sécurité turques. Une allégation réfutée par le PKK,qui assure quant à lui avoir abattu près de 49 soldats turcs. Les combats sepoursuivent depuis le 24 juillet. Ce jour où l’armée turque a répondu par laforce à une tentative de prise de contrôle de la route entre les villes de Semdinliet Gerdiya, par le PKK. Les autorités ont bouclé la zone, difficile, donc, desavoir précisément ce qui s’y déroule.

Le PKK a décrit la région de Semdinli comme “une zone de guerre” à laquelleparticipent des milliers de soldats ennemis et des centaines de guérilleros”.Et où la Turquie déploie “tanks, avions de chasse, hélicoptères et autrestechnologies militaires.” Et le maire de Semdinli, Sedat Tore, affilié au partikurde BDP (Parti pour la paix et la démocratie) a même raconté au magazine TheEconomist que les habitants de sa ville sont entourés d’un “cercle de feu”.Maisdu point de vue du gouvernement d’Ankara, le cercle de feu est kurde, dirigécontre la Turquie et sans cesse croissant.

L’action de la Turquie intervient au moment où Ankara s’inquiète del’évolution notable de la position stratégique des Kurdes, résultat d’une sériede développements régionaux Actuellement incapable d’agir sur les événements en Syrie et en Irak, Ankara sevoit obligée de tenter de tracer une ligne de démarcation à proximité de sapropre frontière. Objectif : empêcher toute tentative de réveiller les Kurdesdu pays qui pourraient s’enhardir face à l’avancée de leurs coreligionnaires,en Syrie et en Irak.

La Syrie : le cauchemar turc

L’inquiétude d’Ankara, de ce point de vue, est compréhensible. Contrairementaux informations incessantes sur une Syrie en bout de course, la guerre civileest lancée et ne montre aucun signe d’issue prochaine. Les différentes partiesse retranchent dans leurs bastions sectaires et se préparent à une lutteinterminable. Si la Turquie tient à garder ses distances, elle est toutefoissoupçonnée d’un soutien aux Frères musulmans qui dominent le Conseil nationalsyrien.

Concrètement, le gouvernement central de Damas n’existe plus. Au nord-estde la Syrie, les Kurdes sont les adversaires naturels du régime nationalistearabe d’Assad. Mais ils désirent plus que tout rester à l’écart du conflit. Lesparamilitaires kurdes de la région ont ainsi cherché à empêcher toute activitéqui pourrait attirer un châtiment du régime. Pour eux, la volonté de Damas dese retrancher et de consolider ses forces a sonné comme un répit. Car Damasaspire désormais à concentrer ses hommes au sein des zones les plus instableset les plus vulnérables.

Objectif : combattre Alep. Et pour ce faire, il a fallu dégager des hommes,donc procéder à un retrait des zones principales des gouvernorats Hasakah, àdominance kurde. Cette région est maintenant, de facto, sous contrôle d’unecoalition de forces kurdes. Forces, à leur tour dominées par le Parti del’Union démocratique (PYD). C’est la franchise/ concession du PKK parmi lesKurdes syriens. La zone représente une large bande sur la frontière entre laSyrie et la Turquie, longue de 900 kilomètres. De quoi accroître la possibilitéd’un nouveau front, emmené par le PKK et ses alliés, pour une zone autonomekurde.

Ménager ses Kurdes

Le PKK maintient actuellement ses principaux bastions dans les montagnesQandil, entre le nord de l’Irak sous contrôle kurde et le sud de la Turquie.Ankara doit désormais faire face aux possibles duplications de cette situationsur ses autres frontières.

Le Premier ministre turc, Recep Tayyep Erdogan, a énoncé très clairementque la Turquie considère une intervention contre les bases rebelles au nord dela Syrie comme son “droit le plus naturel.” Des forces turques et des batteriesde missiles ont ainsi été déployées ces derniers jours à proximité de l’enclavekurde syrienne.

Si Ankara conserve de bonnes relations avec le Gouvernement régional kurdede Massoud Barzani dans le nord irakien, la Turquie s’inquiète de lanégociation de Barzani avec sa capitale, Erbil, et de l’accord entre le PYD etles factions du KNC (Conseil national kurde) en Syrie, non affiliées au PKK.Qui rendrait possible un contrôle kurde sur les zones abandonnées par Assad.

La stratégie politique de la Turquie consiste donc à consolider ses liensavec Barzani et le Gouvernement régional kurde (KRG) tout en cherchant àmarginaliser le PYD. Ce parti, de son côté, a tenté de prouver que lesinquiétudes turques face aux Kurdes syriens sont infondées. Et d’ajouter qu’ilse concentre à assurer la sécurité de sa propre communauté plutôt qu’à chercherà engager des actions militaires contre la Turquie.

D’un point de vue strictement militaire, c’est certainement vrai. Le territoireentre le nord-est de la Syrie et de la Turquie est moins propice à des actionsguérilleros que dans la région montagneuse de Qandil. Et la feuille de routeturque suggère que le pays n’hésiterait pas à répondre par la force à de tellesinitiatives.

Cependant, d’un point de vue stratégique sur le longterme, la Turquie a eneffet des raisons de s’inquiéter. Les nombreux événements dans le monde arabede ces dernières décennies ont pour la première fois remis en question lesfrontières établies depuis l’effondrement de l’Empire ottoman en 1918. LesKurdes, les principaux perdants, en deviennent les principaux bénéficiaires.

L’Irak, l’autre voisin gênant

En Irak, l’invasion américaine a permis l’existence d’une enclave kurdesemi-souveraine. Enclave, qui, tout en cherchant à normaliser ses relationsavec la Turquie, a permis aux rebelles engagés dans une insurrection au nom del’importante population kurde turque, d’utiliser son territoire.

Conséquence du déclenchement de la guerre civile en Syrie, une autreenclave kurde a émergé. Elle est dominée par le parti frère du PKK. Etinfluencée par les Kurdes irakiens. Les frontières arabes, ainsi quel’intégrité de ces états semblent plus instables que jamais. Et la Turquie sevoit dans l’obligation de partager sur le long terme ses frontières avec desentités kurdes semi-souveraines. Le spectre d’une éventuelle souveraineté kurdeet la crainte turque d’une telle possibilité sont perceptibles dans l’air.

Vu sous cet angle, il est aisé de comprendre pourquoi une telle manoeuvredu PKK dans la région de Semdinli a reçu un accueil si enragé de la part del’armée turque. Ankara est totalement déterminée à prévenir toute extensiond’un Printemps kurde à sa minorité kurde (25 % de la population). Et emploieraévidemment tous les moyens et mesures nécessaires afin de s’en assurer.