La France dans l’œil du cyclone djihadiste

Pour les terroristes qui se sont revendiqués de mouvances islamiques – al-Qaïda et l’Etat islamique – la France est en guerre contre l’islam

Anouar al-Awaki était l'idéologue en chef de la filière yéménite d'AQPA (photo credit: WIKIPEDIA)
Anouar al-Awaki était l'idéologue en chef de la filière yéménite d'AQPA
(photo credit: WIKIPEDIA)
Les frères Kouachi étaient connus des services de police pour être des membres de la filière des Buttes-Chaumont, en charge pour al-Qaïda de recruter des candidats au djihad. L’AQPA, la branche yéménite d’al-Qaïda aurait commandité l’attentat qu’ils ont commis et en promet d’autres. Amedy Coulibaly, lui, aurait agi au nom de l’Etat islamique, qui incite à des actions individuelles non spécifiquement commanditées.
Les frères Kouachi, qui ont commis l’attentat du 7 janvier dans la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo et abattu des policiers, se sont revendiqués d’al-Qaïda au Yémen à trois reprises. Une première fois avant même de commettre leurs crimes, lorsqu’ils ont menacé la dessinatrice Coco pour la forcer à ouvrir la porte de l’immeuble de Charlie Hebdo. Une deuxième fois après le massacre, alors qu’ils abandonnaient leur véhicule dans le 19e arrondissement – un témoin aurait confié au journal français 20 minutes qu’un des frères Kouachi lui aurait lancé : « Vous direz aux médias que c’est al-Qaïda au Yémen ». Et une troisième fois le vendredi 9, en pleine prise d’otage à Dammartin-en-Goële, Chérif Kouachi, joint au téléphone par BFMTV, a lui-même revendiqué l’attaque contre Charlie Hebdo au nom d’AQPA, expliquant avoir été financé par le cheikh Anouar al-Awlaki.
La piste de la branche d’al-Qaïda de la péninsule arabique (AQPA), la franchise yéménite de la nébuleuse terroriste s’est ensuite très vite confirmée. D’une part, dès vendredi 9 au matin, l’agence Reuters donnait cette information, qui émanait d’un haut responsable des services de renseignement yéménites, selon laquelle Saïd Kouachi aurait passé plusieurs mois au Yémen pour des études religieuses en 2011. Un responsable américain cité par le New York Times ce même jour, confirmait : « Les Français et les Américains savaient qu’il était allé s’entraîner au Yémen ». Il soulignait que les deux frères étaient placés « depuis des années » sur la liste noire américaine du terrorisme.
Puis, dans une première vidéo diffusée le vendredi soir, un responsable religieux d’AQPA, Harath al-Nazari, s’est « félicité de l’attaque » sans pour autant la revendiquer, tout en mettant en garde la France « si elle continue sa guerre contre les musulmans ». Un peu plus tard, dans un communiqué, AQPA a confirmé avoir commandité l’attaque de Charlie Hebdo. Dans le même communiqué, le groupe a expliqué ne pas avoir revendiqué immédiatement l’attaque pour ne pas « compromettre la sécurité des deux exécutants ».
L’Etat islamique comme source d’inspiration
Pour autant, les affinités avec l’Etat islamique des frères Kouachi ne sont pas à exclure. Un drapeau de l’organisation a été retrouvé dans la voiture qu’ils ont abandonnée après la tuerie. Spécialiste de l’islam contemporain, Jean-Pierre Filiu a confié son inquiétude à Hervé Brusini au micro de FranceTV. « Je pense que nous sommes au début d’une campagne. Je suis très pessimiste. Nous avons affaire à des gens très méthodiques, tout est très planifié », a-t-il dit. « L’organisation Etat islamique a épuisé tout le bénéfice médiatique qu’elle pouvait tirer de la situation en Irak avec les bombardements des alliés, en se présentant comme seule contre le monde entier. Maintenant, elle cherche à réenclencher la mécanique avec un nouveau type de représailles en Europe, ou sur les lieux du conflit. C’est tout à fait diabolique comme piège. C’est terrible », a-t-il confié.
Wassim Nasr quant à lui, journaliste spécialiste des mouvements et mouvances djihadistes, est convaincu que ce serait « par amitié et solidarité » pour l’un des deux frères Kouachi qu’Amedy Coulibaly aurait agi, et en réponse aux appels de l’EI à frapper l’Hexagone, depuis l’engagement français en Irak dans le cadre de la coalition. Il a par ailleurs exprimé des réserves quant à une possible coordination concertée entre les deux mouvements djihadistes.
Ses dires se confirment au vu de la vidéo réalisée par Coulibaly lui-même, dans laquelle il a précisément exhorté les Français à cesser leur soutien à la coalition qui frappe l’EI, et dans une conversation du terroriste avec les otages du supermarché enregistrée et diffusée par RTL. Dans des propos confus et déstructurés il justifie son action, en portant la faute sur l’Etat français : « A chaque fois, eux, ils essaient de vous faire croire que les musulmans sont des terroristes ». Il adopte ensuite la rhétorique classique des djihadistes : la vengeance contre l’Occident qui a lancé la guerre contre l’islam, l’intervention au Mali et reproche aux otages de payer leurs impôts et de financer ainsi la guerre, et enfin se réclame de ben Laden.
Charlie Hebdo, une cible annoncée
AQPA est considérée comme l’une des branches les plus dangereuses de tout le réseau djihadiste. Elle est active bien au-delà du Yémen et de l’Arabie Saoudite et a revendiqué plusieurs attentats à l’étranger.
A plusieurs reprises, elle a appelé ses partisans à s’en prendre à la France, mais aussi plus récemment à Charb, dont elle avait publié la photo au printemps 2013 dans sa revue de propagande Inspire qui titrait : « Recherché mort ou vif pour crime contre l’islam ».
Dans leur communiqué, les membres de l’organisation ont précisé : « L’opération (contre Charlie Hebdo) est inspirée par Oussama ben Laden qui avait appelé à des actions contre la liberté d’expression occidentale, considérée comme “blasphématoire” contre des éléments sacrés ».
Samuel Laurent, à la lumière d’une interview – relatée dans son livre Al-Qaïda en France, paru aux éditions du Seuil – que lui a accordé Abou Hassan, « émir » à la tête d’un réseau d’al-Qaïda au Yémen, affirme qu’une puissante organisation terroriste s’est implantée sur le sol français et se tient prête à passer à l’action.
« Ces réseaux ont 3 cibles », explique-t-il. Les premières attaques seraient dirigées contre des cibles symboliques, personnalités publiques, journalistes, juifs, politiques. Les deuxièmes cibleraient des bâtiments à forte valeur symbolique. Les troisièmes seraient choisies pour des frappes massives devant provoquer le plus grand nombre de victimes possibles.
« Ne vous mettez pas sur le chemin de l’islam. L’islam progresse à travers le monde. De façon inexorable. Plus personne ne peut stopper cette dynamique. Et elle s’accélère », a promis Abou Hassan. « Ceux qui tenteront d’y mettre un terme au nom de leur prétendue république, de la laïcité, du droit des homosexuels, des prostituées ou des drogués, sont considérés comme des ennemis. »
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