Comme si la guerre des Six-Jours n’avait pas eu lieu...

Ils habitent bien en Israël, mais leur coeur est syrien. Que pensent les Druzes du Golan de Bashar El-Assad ?

Shams (photo credit: Reuters)
Shams
(photo credit: Reuters)

Territoire israélien depuis la guerre des Six-Jours, leplateau du Golan est peuplé d’Arabes et de Druzes encore très attachés à laSyrie et qui tolèrent mal l’opposition de Jérusalem au régime du dictateursyrien Bashar Al-Assad.

Surplombant les collines de la Haute Galilée, les monts du Golan s’offrent auvisiteur dès la traversée du Jourdain.
Sur place, les traces de l’Histoire récente sont omniprésentes : les kilomètresde fils barbelés, les tanks carbonisés et abandonnés au bord des routes, lesmarques des balles dans les murs des maisons, tout cela rappelle le lourd passéde cette région. C’est là aussi que plusieurs bases militaires sont installées,preuve de l’importance stratégique et de l’instabilité du site.
Pour les Juifs, les montagnes du Golan sont un véritable monument de cetteguerre si particulière de 1967, guerre qui marque un tournant dans l’histoirede la région et de la conscience commune israélienne.
Tout au nord : Majdal Shams, petite ville de 10 000 habitants, en majorité desDruzes. Dans ces terres éloignées, ou l’on aperçoit notamment les tout dernierspanneaux indiquant les pistes de ski du Mont Hermon, le village est unvéritable avant-poste de la Syrie. Tous les Druzes des collines du Golan ontété incorporés dans l’Etat d’Israël après la guerre de 1967.
Certes, ils détiennent une carte d’identité bleue, mais restent fidèles à laSyrie et se considèrent comme un peuple sous occupation étrangère. Ainsi, leschaînes de télévision arabophones - et notamment syriennes - comptent un grandnombre de téléspectateurs du Golan, l’arabe restant de loin la langue la plusrépandue. Et les jeunes Druzes échappent au service militaire en allant étudierà l’Université de Damas.
Malgré l’intégration du Golan en Israël, les habitants de Majdal Shams restenttrès liés à la Syrie, du moins spirituellement.
De la fin de la guerre de Six-Jours et jusqu’en 1979, Majdal Shams étaitdirigée par un gouvernement militaire.
Depuis, les habitants disposent des mêmes avantages que tous les citoyensisraéliens, sauf le droit de vote. Mais lorsque le gouvernement a souhaité leurconférer la citoyenneté israélienne, seul un faible nombre l’a acceptée. Raisonde ce rejet massif : la pression des autres membres de la communauté druze quiy voyaient là un acte de trahison.

Ici, c’est noir ou blanc

Face à la situation politique actuelle en Syrie, lesavis sont partagés dans le village.

“L’opinion publique est divisée en deux camps à ce sujet”, explique SalmanSakhrdine, porte-parole de l’ONG Al- Marsad qui se consacre au contrôled’éventuels débordements israéliens sur la minorité arabe du Golan. “Ici c’estnoir ou blanc, or moi je fais partie de ceux qui s’opposent au régime de BasharAl-Assad et à ses réformes”.
Sakhrdine est bien différent des autres habitants de Majdal Shams. Incarcéré à13 reprises, il a passé plusieurs années dans les geôles israéliennes. A étudier.Titulaire d’un diplôme universitaire obtenu derrière les barreaux, il aégalement eu le temps d’apprendre couramment l’hébreu et de se familiariseravec le discours des différents hommes politiques locaux, se façonnant ainsi sapropre opinion.
Sakhrdine fait aussi figure d’exception pour être parmi les premiers à accepterde répondre aux questions d’un journaliste israélien, alors que la plupart desDruzes hésitent à s’exprimer en public sur les violences en Syrie. Certains s’yrefusent tout d’abord par peur de répressions contre leurs proches en Syrie.D’autres affirment ne pas vouloir “se différencier de la smala” et n’ontaucunement envie de révéler des informations qui pourraient être réutiliséespar les journalistes israéliens contre la propagande d’Assad.
“Nous ne parlons pas aux journalistes israéliens !”

“Quel intérêt peuvent bienavoir les médias israéliens sur ce qui se passe en Syrie ?”, poursuitSakhrdine. “J’ai l’impression qu’à la télévision, les commentateurs font del’orientalisme ‘houmousnique’ (sic) : Il suffit de manger du houmous à AbouGosh [près des studios de la chaîne de télévision Aroutz 2 NDLR] pour seproclamer expert du Moyen-Orient”.

Près de Majdal Shams, sur la route en direction du Mont Hermon, le paysage nemanque pas en contrastes : d’un côté, une base militaire israélienne offrantaux soldats une vue sur les montagnes et sur la frontière syrienne. Plus loin,la rue donne sur la place principale de la ville. On peut y contempler une desmanifestations les plus poignantes du nationalisme syrien : un monument dédiéau Sultan Pasha Al-Atrash, ce commandant druze qui a joué un rôle majeur dansla révolte contre le pouvoir colonial français en 1925.
Juste en face du monument, sur cette place bordée de magasins en tous genres, unhomme d’une trentaine d’années est interrogé par un journaliste israélien. Surson T-shirt : une grande carte de la Syrie d’avant 1967 ; avec les couleursnationales en arrière-fond. En dessous, ces quelques mots écrits en arabe :“Stop à l’occupation du Golan syrien et arabe”.
Lorsqu’on l’interroge sur les événements actuels en Syrie, l’homme déclinepoliment. “Nous ne parlons pas aux reporters israéliens”, explique-t-il. “Etnous ne voulons pas que les médias israéliens se mêlent de la Syrie. Il s’agitd’un problème interne syrien. Nous ne demandons aux Israéliens que de nousrendre le Golan, rien de plus.”
“Il a dû croire que vous étiez un agent du Shin Bet”, m’explique Salman Ayoub,un riverain de 51 ans. “Les gens se méfient des étrangers ici”. Ayoub quant àlui est un Druze né alors que la région était encore syrienne. Toute sa vie, ila travaillé dans l’agriculture, développant d’intenses relations avec les Juifsau travers de ses nombreux travaux dans les kibboutzim des montagnes ou mêmeailleurs en Israël.
Pourtant, Ayoub se décrit comme un patriote syrien. Et n’a aucune envie de voirl’éviction de Bashar Al-Assad. “La plupart des problèmes en Syrie sont causéspar des terroristes venus de Turquie ou du Liban”, explique-t-il. “Il y a biend’autres pays qui tentent d’exploiter le désordre en Syrie à leur propreavantage”.

Et si Israël soutenait Assad ?

Ayoub est un fidèle d’Al-Dunya, chaîne detélévision dont le propriétaire n’est autre que le cousin de Bashar Al-Assad.Et d’ajouter que le régime d’Assad est victime d’un complot visant à lerenverser, mené par le Qataret l’Arabie Saoudite. “Le Qatarveut-il la liberté en Syrie ?”, demande-t-il de façon rhétorique. “Quant àl’Arabie Saoudite, quand arrêteront-ils de nous donner des leçons de morale ?C’est un pays où l’on bat les femmes qui osent conduire une voiture ! Ilsveulent la liberté dans mon pays ? Mais qu’ils la mettent en place déjà dans leleur. Que me veulent-ils donc ?” Ayoub est en contact avec son cousin quihabite Jaramana, une ville majoritairement chrétienne et druze, tout près deDamas. Luimême a étudié deux ans à l’Université de Damas. “Depuis que le pèrede Bashar Al-Assad est arrivé au pouvoir en Syrie, nous avons connu quaranteannées de stabilité”, continue-t-il. “Il faut comprendre une chose : lesSyriens ne sont pas assez éduqués pour la liberté. Regardez en Egypte, enTunisie ou en Libye. Culturellement, ils ne sont pas prêts pour la démocratie.”

Retour vers Sakhrdine. Celui-ci s’offusque lorsqu’on lui demande son avis surla répression brutale par le régime d’Assad. Il juge la question inappropriéede la part d’un Israélien. Selon lui, les partisans d’Israël dénoncent lesmassacres en Syrie pour détourner les critiques des actions commises par Tsahalsur les Palestiniens. “Il y a des morts en Syrie tout comme il y a eu des mortslors de l’opération Plomb durci”, explique-t-il. “Quelle est la différence?Qu’ont fait les soldats israéliens lorsque [les Syriens essayaient de franchirla frontière] ? N’ont-il pas tué 23 personnes [en mai 2011 lors desprotestations commémorant la Naqba] ?” Il marque un temps d’arrêt avantd’ajouter cyniquement : “Et puis, cela vous gêne vraiment ?” En effet,Sakhrdine est d’avis que tant qu’Israël et la Syrie restent ennemis, legouvernement israélien n’est pas si enthousiaste à l’idée d’un changement derégime à Damas. “Je n’en suis pas vraiment certain, mais je soupçonne qu’Israëlhésite à soutenir les rebelles, craignant ce qui peut succéder à Assad”,déclare-t-il. “J’ai aussi l’impression qu’Israël tente de freiner les effortsdes Américains ou Européens dans l’opposition à Assad”.