Buji avance ses pions

Itzhak Herzog défie Shelly Yachimovich en vue de devenir numéro un du parti travailliste.

P11 JFR 370 (photo credit: Reuters)
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Voilà plusieursmois qu’Itzhak (Buji) Herzog arpente le pays en déclarant à qui veut l’entendreque Shelly Yachimovich a provoqué la ruine des travaillistes et que lui-mêmeest l’individu le plus qualifié pour la remplacer à la tête du parti. Selonlui, Yachimovich a transformé cette formation jadis glorieuse en un acteurmineur de l’échiquier politique, pour la bonne raison qu’elle ne parle que desalaires, de coût de la vie et de croisade contre le grand capital.

Pourtant, au cours de ses deux années aux commandes, Yachimovich, 53 ans (soitsix mois de plus que Herzog), s’est constitué un noyau de partisans fidèles ausein du parti. De son côté, elle reproche à Herzog de manquer de charisme et dedirection claire, ce qui lui interdit de mener le parti vers les sommets qu’ilconvoite.
Le 21 novembre, des primaires pour Avoda se tiendront dans l’ensemble du pays :600 000 titulaires encartés devront alors choisir entre deux styles et deuxvisions très différentes pour l’avenir du parti.
Yachimovich a tout fait pour mettre les bâtons dans les roues de sonadversaire. Elle s’est opposée au lancement d’une campagne de recrutement denouveaux membres, qui aurait pu aider Herzog à renforcer ses arrières, et aavancé la date du scrutin pour lui laisser moins de temps pour s’organiser.
Quid des partisans de Peretz ?

Herzog n’en reste pas moins convaincu que lavictoire est à portée de main. Fort de cette certitude, il brandit un sondagemené au mois d’août, soit au tout début de la campagne, par le grand institutspécialisé Camille Fuchs. Un échantillon de 800 membres du parti a répondu à laquestion : que voteriez-vous si les députés Eitan Cabel et Erel Margalit(commanditaires du sondage) sortaient de la course et soutenaient Herzog ?Résultat : une égalité absolue entre les candidats restants, Herzog etYachimovich, avec 44 % chacun, et 12 % d’indécis.

Début octobre, Cabel et Margalit s’étaient résolument positionnés dans le campde Herzog. Un deuxième sondage a alors révélé la même égalité absolue. « Deplus en plus de personnages clés viennent me rejoindre », proclame Herzog. « Onsent bien que Yachimovich a atteint son niveau le plus optimiste au niveaunational, tandis que moi, je peux progresser. » Cabel et Margalit sontcependant les seuls partisans de Herzog sur les 15 députés travaillistes de laKnesset. Yachimovich a le soutien des 11 autres, signe que ceux-ci savent bienoù se situe leur intérêt. Mais Herzog affirme jouir d’appuis de taille endehors de la Knesset : à la Histadrout, dans les kibboutzim et moshavim, lesquartiers pauvres des villes et parmi l’électorat arabe et druze. Ofer Eini, lepuissant patron du syndicat, qui entretient des relations tendues avecYachimovich, serait en train de se rapprocher de lui, tandis que le secrétairedu mouvement des moshavim, Meir Tzur, et d’influents vétérans du parti travailliste,comme l’ex-ministre des Finances Avraham (Beige) Shochat, se tiendraient déjà àses côtés.
Le « facteur x » pourrait bien être le groupe relativement important desanciens partisans d’Amir Peretz, ex-dirigeant du parti, qui a fait allégeance àla ministre de la Justice Tzipi Livni et à son parti Hatnoua au terme d’unconflit avec Yachimovich pendant la campagne électorale nationale de 2013. Lespartisans qu’il a laissés derrière lui ont conservé pour la plupart unecertaine rancune envers Yachimovich dont ils n’apprécient pas le style tropautoritaire à leurs yeux.
Les dernières élections internes pour le leadership, qui datent de 2011,opposaient Yachimovich à Peretz. Au premier tour, l’actuelle leader avaitremporté 32,2 % des suffrages, contre 30,9 % pour Peretz, 24,6 % pour Herzog et11,9 % pour Amram Mitzna (cet autre ex-dirigeant travailliste parti a rejointles rangs de Hatnoua). Puis au second tour, Yachimovich l’avait largementemporté avec 53,8 % des voix, contre 45,5 pour Peretz.
Juste avant ces élections, Herzog avait pressé Mitzna de se joindre à lui. Sice dernier avait renoncé à se présenter afin de le soutenir, Herzog estimequ’il se serait retrouvé au second tour contre Yachimovich et aurait alors bienpu gagner.
Une vision étroite

Mince, les yeux bleus, Herzog a l’allure d’un jeune hommeélégant. Durant l’interview, il se montre réservé et parle doucement. Ce qui nel’empêche pas de lancer des critiques virulentes envers Yachimovich. Selon lui,le péché cardinal de celle-ci a été de ne pas aborder le sujet de la paix avecles Palestiniens. Cela a coûté de nombreuses voix au parti lors des dernièresélections nationales, selon lui, et, pire encore, a joué contre l’intérêt dupays (qui réside dans « deux Etats pour deux peuples », afin de renforcerl’idée sioniste d’un Israël juif et démocratique).

« Naïvement, elle a cru qu’en cédant aux habitants des implantations, elleallait s’approprier le vote national-religieux. Seulement, à l’heure de vérité,ils ont tous soutenu le Bayit Hayehoudi de Naftali Bennett, tandis que nousperdions par ailleurs le vote pacifiste des électeurs du Meretz, de Kadima etde Hatnoua », affirme-t-il.
Et de poursuivre : dans un sens plus fondamental, si Yachimovich accorde unetrop faible importance au processus de paix, c’est qu’elle a une vision étroiteet erronée de la justice sociale : elle est convaincue qu’Israël doit d’abordrésoudre ses problèmes socio-économiques internes avant de chercher à conclureune paix. Pour Herzog, au contraire, les deux problèmes sont liés : il ne peuty avoir de vraie justice sociale en Israël tant que les Palestiniens resterontsous administration israélienne.
« C’est prôner une forme très superficielle de justice sociale que d’ignorer lefait qu’aux barrages, tout près de chez nous, l’égalité n’existe pas »,déclare-t-il, citant le militant de l’université de Tel-Aviv pour la justicesociale Youval Elbashan.
Attirer les votes des classes moyennes

Si Yachimovich s’est concentrée sur cesproblèmes socio-économiques, elle l’a fait en outre d’un point de vue beaucouptrop étroit au goût de Herzog. « Elle n’a parlé ni des personnes âgées ni deshandicapés. Et elle n’a presque rien dit de la pauvreté », regrette-t-il. «Elle a focalisé sa campagne contre le grand capital, au risque de s’aliéner levote issu de ce réservoir considérable que constituent les classes moyennes etles commerçants. Elle a cantonné le parti travailliste à une niche minuscule etde nombreux partisans, qui formaient la base de nos électeurs, nous ont tournéle dos », déplore-t-il.

S’il l’emporte, Herzog promet de refaire des travaillistes le parti historiqued’envergure nationale qu’il a toujours été. Il entend, dit-il, prendre despositions claires sur tous les grands problèmes figurant à l’agenda national,du processus de paix à la religion, en passant par les relations entre Juifs etArabes au sein du pays. Ainsi, espère-t-il présenter une alternative solide augouvernement en constituant un front unifié de centre gauche, comprenant despartis et des organismes publics.
Enfin, il prônera un retour à l’économie mixte fondée sur « la capacité uniquedu parti travailliste à rassembler sous ses ailes des entreprises publiques etprivées, cette formule essayée et approuvée du succès économique au niveaunational ». Avec cette politique, il estime réussir à amener un large spectred’électeurs perdus à revoter travailliste.
« Le Yesh Atid de Yaïr Lapid est en ruine », affirme-t-il à l’appui de sadémonstration. « Il ne récolte plus que la moitié du soutien dont il abénéficié le jour de l’élection. La plupart des électeurs déçus se tournent àprésent vers le Meretz ou le Likoud. Il s’agit là pour nous d’un soutienpotentiel, mais nous n’arriverons pas à le reconquérir tant que Yachimovichsera à la tête du parti. Je suis en revanche convaincu de pouvoir, pour mapart, attirer les votes des classes moyennes et devancer ainsi Yesh Atid. »

«J’en suis capable »

Le manque de charisme compte cependant parmi les obstaclesque risque de rencontrer Herzog. Il en est conscient, aussi a-t-il pris letaureau par les cornes en août dernier, lorsqu’il a annoncé sa candidature : «Je sais que je ne suis pas une star », a-t-il proclamé, « mais je suis un hommed’action ». Il a rappelé avoir été secrétaire de cabinet, géré cinq ministèresdu gouvernement et travaillé près de sept ans au cabinet de sécurité israélien,et que ses compétences et son efficacité lui avaient valu des louanges. « Jesais que le public m’apprécie beaucoup », affirme-t-il. « Certes, les gens nesont pas encore convaincus que je ferais un bon leader, mais j’entends leurdémontrer que j’en suis capable. » Quant à elle, Yachimovich ne mâche pas sescritiques contre Herzog : s’il est élu, affirme-t-elle, la première chose qu’ilfera sera de ramper devant le Premier ministre Netanyahou pour entrer augouvernement. Ce qui, selon elle, aurait pour effet de détruire purement etsimplement le parti. Elle-même en a hérité alors qu’il était au plus bas. Seuls8 députés travaillistes siégeaient à la Knesset après le départ d’Ehoud Barak,son prédécesseur, parti former Atzmaout, un groupe dissident composé de cinqmembres dont l’unique objectif était de l’aider à demeurer au gouvernementcomme ministre de la Défense.

Yachimovich, elle, a entrepris de consolider les institutions du parti, d’yinjecter une énergie nouvelle et de créer un nouveau cadre, plus dynamique,imprégné de véritables valeurs et non plus obsédé par l’idée d’entrer augouvernement. Voter pour Herzog, affirme-t-elle, revient à vouloir effectuer ungrand pas en arrière, à refaire du parti ce qu’il était auparavant : unsupermarché de vagues idées qui s’accroche au gouvernement à tout prix.
Herzog rejette bien sûr ces accusations, tout en veillant à ne pas se montrertrop critique vis-à-vis de Netanyahou. Avec Yachimovich, proclame-t-il, leparti travailliste ne sera jamais qu’un petit agitateur sans envergure : aveclui, en revanche, il pourra revenir aux commandes du pays.
Herzog n’apprécie pas le style de direction adopté par son adversaire : si ladécision de ne pas entrer dans le gouvernement de Netanyahou en mars dernierétait sans doute judicieuse, déclare-t-il, elle a été prise seule, sansdiscussions ni consultation sur les conditions proposées.
Fervent partisan de la paix

Dans le cadre de sa campagne pour remplacer à lafois Yachimovich et Netanyahou, Herzog a mené des actions d’éclat et a pris desinitiatives sur les grands sujets stratégiques du moment. Ainsi a-t-ilrencontré le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas début octobreà Ramallah et s’est-il ensuite déclaré convaincu qu’Israël avait un véritablepartenaire pour la paix en la personne d’Abbas. « Nous nous trouvons dans l’unedes rares périodes où un accord de paix avec les Palestiniens est réalisable »,a-t-il affirmé. « Etant donné l’instabilité actuelle de la région, il fautbattre le fer tant qu’il est chaud et ne pas laisser passer cette opportunité.» Si beaucoup estiment que Netanyahou a mis la pédale douce en ce qui concerneles Palestiniens, lui-même est prêt à accorder au Premier ministre le bénéficedu doute. « Toutefois, si Netanyahou ne saisit pas cette chance de paix, ilsera jugé durement par l’Histoire et par le peuple juif… ».

Alors, les Israéliens pourraient bien se tourner vers les travaillistes pourles charger de mener un processus de paix plus constructif, tout comme ilsavaient choisi Itzhak Rabin pour remplacer Itzhak Shamir au poste de Premierministre au début des années 1990.
Herzog joue également un certain rôle en coulisses dans la crise syrienne ; ila rencontré un large éventail de leaders de l’opposition syrienne en France,aux Etats-Unis, en Turquie et en Bulgarie. « Cela a commencé par hasard »,explique-t-il. « En tant que ministre en charge de l’aide humanitaire à Gazadurant l’opération Plomb durci, en 2008-2009, j’ai connu de plus près certainesorganisations des droits de l’homme, qui m’ont présenté des dirigeants del’opposition syrienne. » Selon lui, les Etats-Unis ont commis une grave erreurstratégique en ne soutenant pas les rebelles dès le départ, alors qu’ilsavaient l’opportunité d’une transformation stratégique majeure dans la région :il fallait renverser le régime d’Assad, de manière à briser l’axeanti-occidental conduit par l’Iran avant l’entrée en lice des djihadistes.
« S’ils arrivent au pouvoir », affirme-t-il, « les opposants au régime aveclesquels je suis en contact œuvreront à chasser les djihadistes de Syrie pourinstaurer une démocratie laïque et pluriculturelle. Et ils m’ont dit que, s’ily a certes de nombreux points sur lesquels ils sont en désaccord avec nous, ilsseraient néanmoins prêts à négocier la paix. »

« Noblesse oblige »

Herzog estné en septembre 1960 dans l’une des familles les plus prestigieuses d’Israël.Son père Haïm Herzog, originaire d’Irlande, a été le 6e président de l’Etat,son grand-père Itzhak Halevy Herzog, le premier Grand rabbin ashkénaze, sononcle Yaakov Herzog, un directeur de cabinet du Premier ministre, son oncle paralliance, Abba Eban, le ministre des Affaires étrangères le plus accompli del’histoire du pays et son frère, le général de brigade (désormais à laretraite) Mike Herzog, un chef de cabinet au ministère de la Défense.

Il a grandi à Tsahala, banlieue huppée de Tel-Aviv. A fait son servicemilitaire dans les renseignements et étudié le droit à l’université de Tel-Avivet à Cornell, aux Etats-Unis. Il aurait pu très bien gagner sa vie en entrantcomme associé chez Herzog, Fox et Neeman, l’un des plus grands cabinetsjuridiques du pays. Toutefois, étant donné l’histoire de sa famille, l’appel duservice public a été le plus fort, une sorte de « noblesse oblige »… Ainsi, à39 ans, il obtenait un poste de directeur de cabinet dans le gouvernementd’Ehoud Barak, puis se voyait chargé de cinq portefeuilles ministériels en 8 ans: logement, tourisme, relations avec la diaspora et combat contrel’antisémitisme, protection sociale et audiovisuel public.
Seule tache dans cette carrière météorique : une mise en accusation pourfinancements occultes dans la campagne de Barak. Mais Herzog bénéficierafinalement d’un non-lieu pour absence de preuves, après avoir invoqué son droitau silence, un épisode qui sera très controversé… Quand ils se rendront auxurnes en novembre, les adhérents du parti auront donc le choix entre deuxopposés : Yachimovich, issue d’un milieu ouvrier (son père était maçon),franc-tireuse farouche, obstinée et fougueuse, ou Herzog, aristocrate du partitravailliste, joueur d’équipe aux manières douces, qui dit admirer Levi Eshkol.Ce Premier ministre simple et décontracté, qui avait succédé au flamboyant BenGourion, était, selon Herzog, « réputé pour son habileté à réunir et àréconcilier les gens qui l’entouraient pour les amener à travailler en équipe.» Toutefois, Herzog manque un peu de glamour et, par les temps qui courent, unpersonnage aussi terne peut-il être élu, surtout à la tête de ce paystumultueux qu’est Israël ? Et, si c’est le cas, aura-t-il le cran de prendreles décisions difficiles inhérentes à une telle position ? Dans un Moyen-Orienten pleine mutation, ce vote de novembre, qui ne semble intéresser personne,pourrait bien avoir des répercussions considérables sur l’avenir du pays.