A quoi sert le président ?

Les premiers mois de la présidence Rivlin s’avèrent plus compliqués que prévu. Et reposent la question d’une institution au rôle mal défini

Le président Reouven Rivlin (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Le président Reouven Rivlin
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
«Le gel du transfert des taxes collectées pour l’Autorité palestinienne n’est pas dans l’intérêt d’Israël ». Cette critique frontale de la réaction du gouvernement Netanyahou à la demande d’adhésion palestinienne à la Cour pénale internationale n’émane pas de l’opposition, ni de la Maison-Blanche, mais – surprise –
de la propre famille politique du Premier ministre. Pire : du président d’Israël lui-même, Reouven Rivlin, qui s’est exprimé à ce sujet au début du mois de janvier.
La déclaration n’est évidemment pas passée inaperçue à l’étranger et a fait grincer beaucoup de dents au Likoud, pour qui c’est la goutte qui fait déborder le vase. Car ce n’est pas la première fois que Rivlin prend son camp par surprise depuis qu’il est devenu le citoyen numéro un. Avant cela, il y avait eu les propos contre la loi dite de la nation juive, l’évincement de l’artiste Amir Benayoun pour une chanson politique jugée tendancieuse, les remarques sur le « racisme » d’une société israélienne « malade », ou encore la déclaration sur « la discrimination dont souffre le secteur arabe depuis des années ».
Des propos qui plaisent à gauche et lui auront valu d’être nommé « homme de l’année 2014 » par le quotidien britannique The Guardian, voyant en lui « la conscience morale d’Israël ». Mais qui ont évidemment provoqué l’indignation et surtout la stupeur au sein de la droite, persuadée il y a encore peu d’avoir placé un des siens à la présidence.
Député du Likoud depuis 1988, fils d’une grande famille nationaliste hiérosolomytaine, Rivlin est en effet connu pour son attachement au Grand Israël. Partisan de cette ligne dure, l’homme s’est également distingué par un grand respect pour les institutions démocratiques : il l’a prouvé dans ses fonctions de président de la Knesset, au désavantage, parfois, de son propre camp. Une neutralité que lui a beaucoup reprochée le Premier ministre, au point de s’opposer catégoriquement à sa candidature lors des dernières élections présidentielles, contrairement à l’usage de soutenir automatiquement le candidat de son parti. Cette opposition est mal passée chez les ténors du Likoud, qui y ont vu un énième caprice de la famille Netanyahou, et n’ont pas hésité à ouvertement soutenir Rivlin. A la tête de cette campagne, c’est d’ailleurs cette insoumission qui aurait valu à Guideon Saar son excommunication du camp Bibi, poussant le prince héritier vers la sortie.
Plus royaliste que le roi ?
Aujourd’hui néanmoins, du côté des militants comme des dirigeants, c’est la désillusion : « On aurait dû écouter Bibi. Rivlin est une catastrophe », enrage Matan Asher, engagé aux Jeunes du Likoud et auteur d’une tribune au vitriol sur le site d’information Nrg à ce sujet. « Il a cédé aux sirènes de la reconnaissance internationale, quitte à trahir ses idéaux et à enfoncer l’image de notre pays, qui n’en a vraiment pas besoin. Tout cela pour être acclamé par The Guardian, ce journal foncièrement antisioniste. C’est une honte. »
« De la part d’un homme aussi attaché aux traditions, on aurait pu s’attendre à ce qu’il respecte la règle constitutionnelle tacite selon laquelle les présidents ne se mêlent pas de politique, et encore moins de sujets controversés. C’est décevant », concède Emmanuel Navon, professeur de relations internationales à l’université de Tel-Aviv. « Il n’est pas le premier. Ezer Weizman s’immisçait parfois dans le débat de façon choquante. Haïm Herzog a eu quelques saillies. Shimon Peres aussi. »
Mais ces hommes de gauche s’exprimaient face à des pouvoirs de droite, alors qu’on aurait pu croire le président actuel a priori moins disposé à critiquer la ligne de son propre camp. « La réponse est peut-être à chercher du côté de la psychologie », avance Navon. « Rivlin fait partie de cette génération des “princes du Likoud”, fils des membres du parti Herout (Liberté) aux côtés de Begin. Ces gens-là ont été maintenus à l’écart du pouvoir par la gauche qui régnait en maîtresse incontestée. Ils en ont conçu un complexe d’infériorité intellectuelle qui a poussé de nombreux hommes de droite à chercher ensuite à prouver qu’ils pouvaient être plus royalistes que le roi ».
Désir de légitimité ou envie de rendre les coups à Netanyahou ? Le président étant chargé de nommer un dirigeant de parti pour former une coalition après les élections, certains s’inquiètent désormais ouvertement des répercussions de cette inimitié pour l’après-17 mars. Et s’en prennent directement à la fonction, arguant qu’elle coûte cher au contribuable (57 millions de shekels pour l’année 2013), s’avère inutile et sabote même le travail d’autres institutions gouvernementales comme le Bureau du Premier ministre ou le ministère des Affaires étrangères. Des critiques qui font ressurgir un vieux débat. Car, à quoi sert, finalement, le président ?
« C’est l’homme qui fait la fonction »
Démocratie parlementaire, Israël possède un chef d’Etat, tout comme l’Allemagne a son président et le Royaume-Uni, sa reine. A la charge du Premier ministre de gouverner le pays, à celle du président de le représenter à l’étranger et dans les cérémonies officielles. Sa position, avant tout honorifique, lui accorde malgré tout quelques pouvoirs : le chef d’Etat nomme le dirigeant qui formera la coalition gouvernementale après chaque élection et doit donner son aval pour, au contraire, dissoudre la Knesset. Il peut également gracier des prisonniers.
Pour le reste, il signe les lois votées par les députés, reçoit les lettres de créances des ambassadeurs étrangers, et « inaugure les chrysanthèmes », sourit le professeur Navon. Le premier président d’Israël, Haïm Weizman, nommé contre son gré par un Ben Gourion qui souhaitait probablement s’en débarrasser, disait d’ailleurs rageusement que le seul endroit où il pouvait apposer ses initiales en tant que président était un coin de mouchoir.
Les fonctions présidentielles sont définies par deux lois fondamentales, celles du président de l’Etat (1964) et du gouvernement (1968). Des textes qui prévoient notamment la possibilité pour la Knesset de limoger le président pour « raisons de santé » ou encore « comportement inadéquat ». Une clause qui reste très vague et n’a de fait jamais été appliquée, même lors des démêlés judiciaires de Moshé Katzav qui aboutiront à sa condamnation pour viols en 2010. Si bien que « c’est en réalité l’homme qui fait la fonction », explique Dana Blander, chercheuse à l’Institut israélien de la démocratie (IDI) et docteure en sciences politiques. Le président, estime-t-elle, n’a pas outrepassé ses prérogatives en s’exprimant sur le racisme. « Il doit être un symbole d’unité, se placer au-dessus de la mêlée. Mais en aucun cas, il n’est tenu de ne pas s’exprimer et son mode d’élection fait que c’est en général un acteur de longue date de la vie politique à qui l’on ne peut pas demander de n’avoir soudain plus aucune opinion personnelle. »
De fait, c’est la Knesset qui élit le président au bulletin secret. Un modus operandi prédisposant naturellement les candidats parlementaires rodés à la tactique politique. La déconfiture du prix Nobel de chimie, Dan Shechtman, qui n’a obtenu qu’une seule voix – la sienne – lors de la dernière élection, prouve s’il le fallait que le terrain semble réservé aux professionnels de la politique. Pour remédier au problème, Blander propose d’instaurer une période de quarantaine pré et post-présidence, obligeant les candidats à se tenir à l’écart de l’actualité chaude et donnant peut-être leur chance à des candidats externes, moins enclins à s’immiscer dans les affaires courantes. « Plus simplement, si je travaillais pour le président, je lui conseillerais de réserver ses prises de parole à des sujets qui lui tiennent vraiment à cœur, et de les espacer. Sinon, cela devient juste une voix de plus dans l’espace public. »
Le père de la nation
Un risque non négligeable dans le paysage politique israélien, déjà fort agité et instable de nature. « On a besoin de cette figure d’unité nationale, qui montre l’exemple », estime Navon. Un avis partagé par Blander et de nombreux autres observateurs, soulignant notamment l’importance de la présidence en temps de crise parlementaire. A noter d’ailleurs que Shimon Peres, tant par son grand âge que sa stature internationale, réussissait fort bien dans ce rôle de « père de la nation », et ce, en dépit d’une très longue carrière politique et de certaines prises de position également jugées controversées.
Plus qu’un problème institutionnel, le défi de la présidence serait donc peut-être celui d’une concertation plus poussée avec le pouvoir. Car il semblerait que les présidents israéliens n’échappent pas à l’opinionite aiguë dont sont généralement atteints leurs compatriotes et à la tentation de faire entendre leur voix coûte que coûte, quitte à miner l’autorité gouvernementale. Une cacophonie qui fait en effet le jeu des pourfendeurs de l’Etat hébreu et entrave l’action politique, là où une synergie pourrait au contraire faire levier. Exemple : le « couple exécutif » du président et du Premier ministre français, qui, s’il réserve son lot de couacs et de tensions, permet en général un travail d’équipe face à des objectifs communs. Ou encore celui du réel couple présidentiel aux Etats-Unis et des fonctions de représentation qui sont dévolues à la First Lady. Car Rivlin lui-même ne pourrait pas nier que Michelle Obama abat un travail considérable pour des causes de taille à concurrencer les chrysanthèmes. Et qu’elle détient une cote de popularité à faire pâlir d’envie de nombreux « hommes de l’année ».
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