Carton jaune

Le recrutement d’une légende du football israélien dans les rangs de HaBayit HaYehoudi a avorté, laissant Naftali Bennett blessé à vif

Naftali Bennett à la Knesset cette semaine. Le chef de HaBayit HaYehoudi n'est pas sorti indemne de l'affaire Ohanna. (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Naftali Bennett à la Knesset cette semaine. Le chef de HaBayit HaYehoudi n'est pas sorti indemne de l'affaire Ohanna.
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Naftali Bennett ne s’attendait pas à cela. Pour la première fois dans sa carrière météorique, il est confronté à un échec cuisant. L’homme que tous auraient dû adorer, a été sorti de l’arène à l’unanimité. Car imaginer que des rabbins, des habitants des implantations, des féministes et des professeurs, qui ont tous en commun le respect de la tradition, la quête de la spiritualité et de l’érudition – en résumé l’exact opposé de ce qui se passe sur les stades israéliens – s’enthousiasment de l’entrée d’Ohanna dans le parti, était un mauvais calcul. La réaction a donc été aussi intense qu’unanime.
L’enrôlement d’Ohanna s’inscrivait pourtant dans les prérogatives de Bennett. Le chef de HaBayit HaYehoudi n’a pas caché ces dernières semaines qu’il voulait donner un coup de jeune à sa liste. Dans sa ligne de mire : l’actrice et ancienne présentatrice de MTV Eden Harel, qui a refusé son offre ; et l’ancienne activiste de Shalom Akhchav (La paix maintenant), le Dr Anat Roth, rentrée aux dépens de la pionnière du féminisme orthodoxe Yehoudit Shilat, non sans éveiller une vive polémique. Mais l’affaire d’Ohanna a battu tous les records. La page Facebook de Bennett a été inondée de messages d’internautes exprimant déception, inquiétude et même dédain. Lors d’une réunion des 12 députés de la formation, Bennett s’est retrouvé seul contre tous : Ohanna n’épouse pas les valeurs du parti, ont-ils asséné à l’unanimité. Même Ayelet Shaked, sa fidèle alliée, s’est opposée à l’entrée de l’ancien joueur. Sans parler du député Zevouloun Kalfa qui a menacé de démissionner, se disant offensé en tant que descendant de l’immigration séfarade – population que cette nomination était justement censée impressionner.
A quelques heures à peine de la date butoir à laquelle les partis devaient soumettre la liste définitive de leurs candidats à la députation au Comité central des élections, et moins de 48 heures après l’annonce de sa candidature, Ohanna a donc fait marche arrière. Expliquant qu’il n’avait pas anticipé la tempête publique provoquée par sa nomination. Si Ohanna est retourné, indemne ou presque, à ses occupations de commentateur sportif et d’entraîneur, Bennett quant à lui, a retrouvé ses fonctions de ministre, de leader de parti et de candidat au poste de chef du gouvernement, blessé à vif et affligé d’un carton jaune.
Un mauvais choix
Ohanna, qui s’était rendu coupable de faire un geste obscène devant des millions de spectateurs à un arbitre qui le pénalisait lors de qualifications pour la Coupe du monde, aurait donc pu être en route vers la Knesset aux côtés d’intellectuels – comme des figures légendaires du même parti : le Dr Yossef Burg, un philosophe de l’université de Leipzig qui parlait plus d’une dizaine de langues ou le Dr Itzhak Rafael, lauréat du Prix Bialik pour l’érudition juive. Non que le sport soit frappé d’anathème pour les intellectuels religieux. Ils soutiennent d’ailleurs une organisation nommée Elitzour, dont les clubs de basket-ball et de volley-ball accueillent des athlètes religieux désireux de ne pas jouer le shabbat. Mais il ne faut pas oublier que le stade peut aussi être considéré comme un vestige du paganisme, et que l’adoration par le public de certains athlètes modernes pourrait presque être comparée à de l’idolâtrie. Cette vision est bien entendu contestable, mais elle est commune chez les juifs pratiquants et plus encore chez les rabbins orthodoxes. En outre, l’électorat religieux est en règle générale opposé à la profanation systématique du shabbat par le football israélien.
Mais ce n’est pas tout. La politique n’est pas un terrain vierge pour Ohanna. Le soutien de l’éloquent joueur de foot pour le désengagement de la bande de Gaza avait été précieux à Ariel Sharon, au moment de la formation de Kadima. « En ce qui me concerne, toutes les implantations peuvent être évacuées », avait-il déclaré il y a une décennie. Des mots difficiles à oublier pour l’électorat de HaBayit HaYehoudi. Mais Bennett avait une réponse toute prête contre ces accusations : Ohanna a changé d’avis après avoir vu les conséquences du retrait israélien, et il est aujourd’hui opposé à toutes concessions territoriales. L’argument n’aura pas suffi.
Bennett ne cesse de répéter : « Nous devons atteindre d’autres cibles ». Une constatation que le sionisme religieux a déjà faite, mais a eu du mal à mettre en pratique. Car le parti a son électeur type : il habite dans des implantations situées au-delà de la Ligne verte ou dans des quartiers religieux des grandes villes ; il est religieux et issu de la classe moyenne. C’est cette homogénéité sociale que Bennett espérait briser en enrôlant Ohanna, un homme qui a réussi en partant de rien, fils d’immigrants marocains qui détenaient un kiosque dans un immeuble de bureaux à Jérusalem, élevant leurs neuf enfants dans le quartier autrefois défavorisé de Kiriyat Yovel. Ohanna, s’est défendu Bennett, va à la synagogue, fait le kidouch et respecte la tradition. « Ils sont des milliers comme lui qui devraient considérer HaBayit HaYehoudi comme leur maison politique », a expliqué le leader du parti, faisant allusion à un large électorat prolétaire qui voit HaBayit HaYehoudi comme une formation trop éduquée, trop orthodoxe et trop riche.
Echec révélateur
Le fiasco Ohanna est peut-être le premier faux pas politique de Bennett, qui n’a visiblement pas évalué les réactions qu’engendrerait cette nomination. Mais cela est plus qu’une simple erreur de jugement et réveille un schisme plus profond au sein de la formation. Car Bennett se démarque du leadership traditionnel de son parti. Il n’a pas étudié dans une yeshiva, et n’était pas observant pendant de nombreuses années. Sa femme Guilat est issue d’une famille laïque et ne se couvre pas la tête. Bennett serre la main aux femmes et quand il pose pour une photo, il est souvent tenté de poser le bras sur l’épaule de ses jeunes supportrices, comme le font tous les politiciens, sauf les religieux.
Bennett n’est pas un érudit, et les rabbins du parti le considèrent comme un poids plume d’un point de vue spirituel, quand lui voit en ces mêmes rabbins, un alibi électoral. Ce qui était à la base un parti orthodoxe, dont le but était de faire voter des lois religieuses, et qui avait donc besoin de ses rabbins comme des guides spirituels, s’est transformé en un parti israélien comme les autres avec un électorat plus large et diversifié – et un agenda au sein duquel la religion est moins un problème de législation, qu’une préférence personnelle.
Tant que cela signifiait recruter plus de femmes, saupoudrer le parti de quelques éléments laïcs et même céder à quelques caprices de la gauche, le noyau dur du parti était prêt à accepter la « révolution Bennett ». Mais le recrutement d’Ohanna a réveillé de vieux démons. Il a redéfini Bennett comme une menace pour la vieille garde de la formation et les idées qu’elle représente dans la sphère publique. Le débat avec les rabbins a changé d’arène, dépassant le simple plan électoral pour atteindre le débat théologique.
Bennett est un commercial, un génie du high-tech, pas un théologien. C’est pourquoi il s’est contenté de récupérer le ballon qu’il avait tiré dans son propre camp, quand la contre-offensive de la vieille garde a, elle, indéniablement, marqué un point. 
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