Le vendredi noir de la France

Pour mettre à terre l’Etat islamique,l’Occident doit être prêt à payer le prix fort

Attentats meurtriers en plein Paris (photo credit: REUTERS)
Attentats meurtriers en plein Paris
(photo credit: REUTERS)
Les Etats-Unis ont leur 11 septembre. La France aura désormais son 13 novembre. L’Etat islamique a revendiqué la responsabilité des attaques terroristes perpétrées à Paris : sa revanche pour l’implication française dans les guerres lancées contre Daesh en Syrie et en Irak. Les événements de vendredi soir, qui ont causé la mort d’au moins 130 personnes et blessé quelque 350 autres, ont pris la France et l’Europe par surprise. Paris et Bruxelles se révèlent encore et toujours prises de court par les actes violents des radicaux musulmans. On peut parler d’un beau fiasco des services de renseignement, qui n’est pas sans rappeler l’aveuglement américain au cours des mois qui avaient précédé le 11 septembre. Mais aussi d’un échec politico-culturel, doublé d’un profond manque de conscience face à cette nouvelle réalité émergente.
Incontestablement, l’attaque de vendredi est l’opération meurtrière à grande échelle la mieux préparée et la plus osée que la France ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais elle n’est que le dernier événement en date d’une longue série d’attentats perpétrés sur le sol français. En mars 2012, Mohammed Merah abattait trois enfants et le rav Sandler devant l’école Ozar Hatorah de Toulouse, après avoir tué trois militaires. En janvier dernier, des terroristes affiliés à la branche d’al-Qaïda au Yémen exécutaient 17 personnes en 3 jours, dans la salle de rédaction de Charlie Hebdo et à l’Hypercacher de la Porte de Vincennes. Sans compter des actes de moindre ampleur, tantôt perpétrés, tantôt avortés. Sachant tout cela, les événements étaient prévisibles.
Déclarer « la guerre » au terrorisme
Après chaque attaque, les leaders français et européens se déclarent déterminés à tout mettre en œuvre pour lutter contre le terrorisme. Comme le Premier ministre Manuel Valls, en janvier dernier. Ou comme le président Hollande, ce vendredi, qui a bien insisté sur le fait qu’il s’agissait d’un « acte de guerre ». La France a décrété l’état d’urgence – pour la quatrième fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – et trois jours de deuil national. Mais les mots, aussi forts soient-ils, et les gestes symboliques ne suffisent pas. Il faudrait tout repenser. Un nouvel état d’esprit doit se faire jour, combiné à des actions fortes.
Selon le président français, huit terroristes ont pris part aux attaques de vendredi ; tous sont morts, soit par suicide, soit abattus par les forces de sécurité. Mais tout porte à croire que plus, beaucoup plus – probablement une vingtaine au moins – étaient impliqués dans les différents stades de l’opération, de sa planification à son exécution. Les attaques ont eu lieu en six endroits de la capitale française, de façon simultanée. La preuve d’une préparation minutieuse, qui a exigé du temps, et d’une mise en place méticuleuse. Il a fallu pour cela un commandement conjoint, des observateurs pour surveiller et sélectionner les cibles, des hommes pour répartir les tâches de chacun, des chauffeurs, des assistants, mais aussi des lieux sûrs, des armes, des munitions, des bombes. Et des experts pour fabriquer ces ceintures d’explosifs, ou encore mettre en place les systèmes de communication.
Qu’il s’agisse de cellules « dormantes », « réveillées » par des agents venus d’autres pays au moment où l’ordre a été donné, ou de terroristes locaux ; qu’ils aient mis en place un système de communication par messagerie, évitant les téléphones et les ordinateurs pour ne pas laisser de signature digitale, cette vaste infrastructure aurait dû être détectée par les services de renseignement français. Ou, à un degré moindre, par leurs alliés – les Etats-Unis, l’Europe et même Israël – dans la guerre contre le terrorisme islamique. On peut penser qu’une fois le choc initial passé, et la démission ou le renvoi de certains officiels du renseignement ou de la police, des leçons seront tirées, et des réformes ou autres changements structurels seront mis en place pour améliorer la collecte et l’analyse des informations. Mais le renseignement n’est pas tout.
Changer de paradigme
L’urgence est de revoir le mode de pensée. Pour cela, il est impératif que la France, et tous les pays, occidentaux ou arabes, impliqués dans la guerre contre le terrorisme, comprennent que l’Etat islamique et al-Qaïda sont les ennemis à abattre. Car en dépit des efforts de nombreux commentateurs pour bien différencier les deux mouvements, leurs rivalités sur fond de considérations idéologico-religieuses ne sont que des petites querelles de chapelle sans importance. Comme al-Qaïda, l’Etat islamique considère de son devoir l’établissement de son califat sur chaque parcelle de terre conquise et contrôlée. Les deux groupes voient dans le terrorisme et la violence cruelle une méthode pour imposer leur volonté. L’attaque de Paris porte toutes les caractéristiques des opérations simultanées que feu Oussama Ben Laden, l’ancien leader d’al-Qaïda, avait si bien orchestrées aux Etats-Unis, en Indonésie, en Turquie, à Madrid ou à Londres, lors de la dernière décennie.
Récemment, l’Etat
islamique a subi quelques revers sur le champ de bataille. Dans le nord de l’Irak, les forces kurdes, secondées par un parapluie aérien américain, ont réussi à expulser des combattants de l’Etat islamique de Sinjar et à lever le siège de la communauté yazidie. Dans les régions nord-est de la Syrie, elles ont repris du terrain. L’armée syrienne, bien que très lentement, a également fait des incursions dans la zone, sous la couverture aérienne de la Russie. « John le djihadiste », ce Britannique koweïtien au fort accent londonien, devenu l’emblème brutal et encapuchonné du groupe après avoir décapité sans ciller des otages occidentaux, aurait été tué dans une attaque au drone américaine, il y a quelques jours. Alors peut-être qu’en raison de ces récentes défaites, l’Etat islamique avait besoin de l’attaque de Paris pour redorer son blason et bien rappeler qu’il constitue toujours une solide force meurtrière.
Pourtant, une fois encore, infliger d’importants dommages aux maléfiques forces du Djihad, et procéder à des frappes aériennes, même significatives, n’est pas suffisant en soi. Il y a un besoin urgent de « bottes sur le terrain ».
Mais l’envoi de troupes européennes et américaines – en particulier en cette année électorale aux Etats-Unis – constituerait une mesure très impopulaire et nécessiterait donc un fort engagement politique et un véritable leadership. En outre, une telle décision exigerait l’appui du public et l’acceptation d’un prix lourd à payer pour parvenir à la paix et à la sécurité – le retour de soldats dans des sacs.
Pour couronner le tout, même si l’Occident décidait d’envoyer des troupes en Syrie, elles ne pourraient pas faire grand-chose sans un consensus international sur les objectifs de l’effort militaire. Pour l’heure, toutes les parties impliquées ont leur propre ordre du jour, qui ne va pas toujours dans le même sens. La Russie et l’Iran se battent en Syrie pour maintenir Assad au pouvoir. La Turquie aimerait voir le président syrien renversé. Les Etats-Unis et l’UE ne savent pas trop quoi faire, pendant que l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis soutiennent al-Qaïda. Une tour de Babel de positions contrastées qui semblent impossibles à concilier.
Pour les experts israéliens, aucun doute, il est grand temps que le monde comprenne enfin que nous sommes déjà au cœur de la Troisième Guerre mondiale. Pourtant, une telle approche fait état d’un manque de compréhension de la culture et de l’histoire européennes. Contrairement à un point de vue répandu en Israël, le grand public et la plupart des dirigeants européens ne mettent pas sur le même plan islam et terrorisme. Bien sûr, ils affichent une réelle motivation en matière de lutte contre les terroristes musulmans et se disent prêts à payer le prix pour cela. Mais selon eux, cela doit se faire sans sacrifier aux valeurs universelles de liberté, égalité et fraternité, la fameuse devise de la Révolution française.
© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite