Le virage de l’Arabie saoudite

Les purges et réformes du royaume wahhabite visent à le démarquer un peu plus de l’Iran

Le prince héritier Mohammed bin Salman (photo credit: REUTERS)
Le prince héritier Mohammed bin Salman
(photo credit: REUTERS)
Durant 70 ans, l’Arabie saoudite a été le plus important incubateur du Djihad sunnite. Outre le financement de mosquées salafistes à travers le monde, les princes saoudiens ont soutenu les imams radicaux qui ont endoctriné leurs fidèles et les ont convaincus de poursuivre la guerre sainte contre le monde non musulman. L’argent de Riyad se trouve derrière la plupart des groupes islamistes présents en Occident et ailleurs – qui ont à leur tour financé des mouvements comme le Hamas ou al-Qaïda – et est également parvenu à soustraire l’islam radical à la surveillance des gouvernements occidentaux.
Quelle que soit la puissance des lobbies pro-israéliens à Washington, elle apparaît bien pâle en comparaison de celle des forces arabes orchestrées par Riyad. Le gouvernement saoudien dépense plus d’argent pour financer les lobbies servant ses intérêts que n’importe quel autre pays. Ces groupes d’influence ont su adroitement protéger le royaume wahhabite de critiques trop véhémentes après les attaques du 11 septembre, alors que 11 des 19 pirates de l’air impliqués possédaient la nationalité saoudienne. Ces lobbies sont ainsi parvenus à empêcher les Etats-Unis de reconsidérer leur alliance stratégique avec l’Arabie saoudite, même après les révélations concernant le fait que l’épouse de l’ambassadeur saoudien officiant à l’époque à Washington, avait apporté un soutien financier à deux des terroristes dans les mois qui avaient précédé les attentats.
La position américaine vis-à-vis de Riyad s’est toutefois considérablement refroidie sous l’ère Obama, en raison de la volonté du président américain de se rapprocher de l’Iran, délaissant pour cela les alliances traditionnelles des Etats-Unis avec l’Arabie saoudite ou l’Egypte. Durant cette même période, les liens étroits des Frères musulmans avec le régime iranien sont devenus de plus en plus évidents. Le président égyptien d’alors, Mohamed Morsi, affilié à la mouvance islamiste, a accueilli les dirigeants de la République chiite au Caire, et autorisé les navires iraniens à emprunter le canal de Suez, et ce pour la première fois depuis des décennies. Le chef d’Etat, destitué par un putsch militaire en juillet 2013, paraissait vouloir aller jusqu’au rétablissement des relations diplomatiques entre son pays et Téhéran.
Basculement stratégique de Riyad
Après la destitution de Morsi, l’Arabie saoudite s’est jointe à l’Egypte d’Abdel Fatah al-Sissi et aux Emirats arabes unis pour désigner les Frères musulmans comme un groupe terroriste. C’est également à ce moment que Riyad a entrepris un rapprochement avec Israël par le biais du Caire. Les dirigeants saoudiens ont en effet largement apprécié le rôle de leader endossé par Benjamin Netanyahou dans l’opposition à l’accord nucléaire avec l’Iran, et n’ont pas manqué de remarquer l’influence grandissante du Premier ministre dans la région. Ces accointances, essentiellement motivées par un front commun face à la République chiite, ont ainsi mené à l’émergence d’une surprenante alliance de l’Arabie saoudite, de l’Egypte et des Emirats arabes unis avec l’Etat juif durant la guerre de 2014 contre le Hamas, branche palestinienne des Frères musulmans.
C’est dans ce contexte de réévaluation de ses intérêts et de ses alignements que s’inscrit la dernière initiative retentissante de Riyad. Un véritable coup de tonnerre, présenté comme une vaste opération anti-corruption, a eu lieu le 4 novembre, avec l’annonce de l’arrestation de plus d’une vingtaine de membres de la famille royale, de ministres et d’hommes d’affaires de premier plan. Pour beaucoup d’observateurs cependant, le prince héritier Mohammed bin Salman chercherait à se débarrasser de ses principaux opposants, alors qu’il pourrait accéder prochainement au trône à la faveur de l’abdication de son père.
Le bon et le méchant
Mais il y a dans cette manœuvre quelque chose de beaucoup plus significatif sur le plan stratégique. Les menaces contre le pouvoir du prince héritier ne sont pas les seules motivations de ces purges. Pour preuve, l’autre vague d’arrestations le même jour, qui a touché cette fois-ci des dignitaires religieux et intellectuels wahhabites. En septembre déjà, 30 de leurs confrères avaient été mis hors-jeu et rapidement remplacés par des imams prônant la tolérance envers les autres religions. La suppression de la police religieuse et la levée de l’interdiction faite aux femmes de conduire constituent deux autres initiatives qui vont dans le même sens.
Riyad a également entrepris d’agir sur le front iranien en accentuant la pression sur son ennemi juré. Les forces armées du royaume ont ainsi renforcé leurs attaques contre les factions à la solde de l’Iran au Yémen, et offert une scène de choix à Rafik Hariri pour annoncer sa démission de son poste de Premier ministre du Liban, en raison de la proximité accrue de son pays avec Téhéran, et les menaces d’assassinat que la République chiite fait peser à son encontre.
Il ne fait aucun doute que les purges du 4 novembre ont été décidées en coordination avec les Etats-Unis. Le timing de la divulgation par Washington de documents secrets relatifs au raid des forces spéciales américaines au Pakistan qui s’est soldé par l’assassinat d’Ossama Ben Laden, cerveau des attentats du 11 septembre, ne doit rien au hasard. Ces données – que l’administration Obama a toujours refusé de dévoiler – montrent que les deux affirmations de l’ancien président américain, l’une sur l’affaiblissement d’al-Qaïda au moment du raid, et l’autre sur le fait que l’Iran était prêt à modérer son comportement, étaient fausses. Les documents en question prouvent que les opérations menées par l’organisation terroriste menaçaient encore clairement les intérêts américains. Ils attestent par ailleurs que Téhéran était le principal sponsor d’al-Qaïda : la plupart des dirigeants de l’organisation, dont les propres fils de Ben Laden, agissaient depuis le pays des mollahs. L’idée, largement exprimée par Obama, selon laquelle les Iraniens, chiites, et les terroristes sunnites d’al-Qaïda ou d’autres groupes terroristes, ne pouvaient en aucun cas coopérer, n’était donc qu’une fiction.
Le moment choisi pour publier ces données simultanément aux purges saoudiennes par lesquelles le royaume prend ses distances avec l’islam le plus radical, vise donc à montrer qui est le bon et qui est le méchant. Pour l’heure, il est difficile de dire jusqu’où iront les réformes à Riyad sur le plan religieux. Cependant, la direction est claire. Avec la démission d’Hariri, la ligne de séparation entre l’Arabie saoudite et les forces du Djihad sponsorisées par l’Iran, est plus évidente que jamais. A l’Occident de choisir son camp.
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