Front commun

La spécialiste française en matière de lutte contre la radicalisation, Muriel Domenach, était en visite officielle en Israël. L’occasion de s’inspirer de l’expérience locale

Muriel Domenach, spécialisée dans la lutte contre la radicalisation (photo credit: DR)
Muriel Domenach, spécialisée dans la lutte contre la radicalisation
(photo credit: DR)
Depuis 2015, la France est la proie d’attentats qui se succèdent sur son sol. Dans ce contexte, le pays, placé en état d’urgence, a fait de la lutte contre le terrorisme une priorité. C’est la raison pour laquelle Muriel Domenach, secrétaire générale du comité interministériel pour la prévention de la délinquance et de la radicalisation, était en Israël la semaine dernière. Objectif de sa visite : s’inspirer du modèle de l’Etat juif, qui a su rester une démocratie vivante tout en combattant avec succès le terrorisme. La tâche, en effet, n’est pas simple pour la France : comment prendre des mesures sécuritaires, parfois considérées comme liberticides, tout en conciliant les idéaux de Liberté, Egalité, Fraternité ? Afin de comprendre cet équilibre entre démocratie et sécurité, la secrétaire générale s’est entretenue avec des universitaires ainsi que des représentants des ministères israéliens de la Justice et de l’Intérieur.
Muriel Domenach, 43 ans, occupe ce poste depuis août dernier. Celle qui était auparavant consule générale de France à Istanbul fait désormais partie d’une équipe de 30 personnes issues de différents ministères, mise sur pied par le gouvernement français pour lutter en amont contre la radicalisation, en particulier celle des jeunes. L’urgence, pour l’Hexagone, n’est plus à démontrer : pas moins de 16 000 de ses citoyens sont soupçonnés d’avoir pris fait et cause pour les idéaux djihadistes.
L’ancienne diplomate est convaincue qu’Israël et la France ont beaucoup à partager au regard de leur expérience malheureuse du terrorisme. « Bien que les attentats qui nous frappent diffèrent parfois en termes de motivation, les combattre est une priorité absolue pour nos deux pays, et Israël a beaucoup à nous apprendre sur la façon de demeurer un Etat de droit tout en maintenant des mesures sécuritaires drastiques. Restreindre la liberté de nos citoyens constituerait une victoire pour le terrorisme », explique-t-elle.
La guerre aura lieu sur Internet
Premier point de coopération entre Israël et la France : la lutte contre l’incitation sur Internet, devenu le principal foyer de radicalisation, selon la responsable française.
« Je pense qu’il est une nécessité de mener un combat commun en amont. Les réseaux sociaux sont le terreau fertile des discours de haine de tous bords. Nos deux pays doivent être à l’avant-garde de la bataille contre la radicalisation en ligne, tout en y associant les principaux acteurs de l’Internet 2.0. » Sur ce terrain, la réaction des géants du Web comme Facebook ou Twitter, s’est fait attendre. « Au vu de l’évolution de la situation en France, ces sociétés ont appris à communiquer avec les pouvoirs publics. Mais la coordination a pris du temps ».
C’est ici que Muriel Domenach intervient avec son équipe. Le comité dont elle a la charge a développé un programme visant à combattre la radicalisation en cinq étapes : détection, formation, prise en charge sociale, ouverture de centres de déradicalisation et mise en place d’un « contre-narratif » visant à déconstruire la propagande islamiste. Elle précise que le programme ne cible pas spécifiquement les musulmans. Sa définition de la radicalisation est précise. Il s’agit du « processus qui fait le lien entre l’extrémisme religieux et l’usage de la violence ». Or, les changements de comportement commencent presque toujours par des propos haineux, d’où l’intérêt de surveiller les réseaux sociaux.
Pour ce faire, la France a développé des systèmes permettant à tout un chacun de signaler les appels à la haine sur les réseaux, comme le programme Pharos lancé en 2009. Les grandes entreprises du Net ont également commencé à prendre des mesures, même si Muriel Domenach estime ces efforts encore insuffisants. Elle évoque notamment des défauts de gestion chez Twitter : si la société a bien déconnecté 300 000 comptes jugés problématiques l’an dernier, elle a également clos des comptes parodiques par mégarde. La secrétaire générale indique que ces comptes à visée humoristique font partie intégrante du « contre-narratif » nécessaire à la lutte contre la radicalisation, et que leur fermeture n’est pas une bonne chose. « Il arrive que les géants des réseaux sociaux nous aident mal. Ridiculiser les islamistes est utile ; clore les comptes qui le font est contre-productif. »
Contrer le narratif ne suffit pas
L’établissement d’un contre-narratif peut-être le talon d’Achille du terrorisme. La France a ainsi développé certains outils pour déconstruire la propagande djihadiste. Parmi eux, des vidéos diffusées en ligne ou à la télévision, ainsi qu’un jeu de rôles sur le Web appelé Toujours le choix, qui propose de se mettre dans la peau d’une potentielle future recrue de l’Etat islamique. Autant d’initiatives qui montrent la volonté française de dénoncer les dangers du djihadisme, et un travail de longue haleine qui doit être partagé par tous les citoyens, selon Muriel Domenach, y compris et surtout les musulmans.
La réalité, cependant, est complexe. L’efficacité de ce contre-narratif est limitée, principalement du fait que les jeunes ont tendance à se méfier de la parole de l’Etat. En parallèle, le gouvernement français a donc mis en place d’autres méthodes de lutte contre la radicalisation, certaines plus musclées. Des centres de déradicalisation ont notamment été créés pour y placer les individus les plus menaçants, qui ne retrouvent leur liberté qu’au terme d’un programme intensif de dix mois visant à les réinsérer dans la société. Cette méthode, cependant, est sujette à controverse, certains la jugeant trop restrictive.
 
Quelles que soient les initiatives prises par les pouvoirs en place, Muriel Domenach affirme toutefois que la lutte de fond contre le phénomène de l’Etat islamique ne peut se faire que sur le terrain. « Je pense que le meilleur contre-narratif est la victoire militaire. Pour preuve, les récents reculs territoriaux de Daesh lui ont fait perdre de son aura auprès des recrues potentielles. » 

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