Les arbres de Treblinka

« La forêt en noir et blanc » est la première exposition d’art contemporain du musée du kibboutz des Combattants du ghetto.

3001JFR20 521 (photo credit: Ariel Yanai)
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(photo credit: Ariel Yanai)
Contrairement àAuschwitz, il n’y a, au camp de concentration de Treblinka, rien d’autre qu’unimmense monument. Or, Ariel Yanaï, artiste photographe de 43 ans, voulaitphotographier autre chose. Ces photos prises en Pologne en 2003 sontactuellement exposées au musée du kibboutz des combattants du ghetto sous letitre « La forêt en noir et blanc – deux odyssées à Treblinka ». On pourraitdonc croire que Yanaï a fait deux voyages en Pologne. Il n’en est rien : sonparcours constitue une partie de l’exposition, tandis que l’autre concerne letémoignage d’une personne née en Pologne et qui a survécu à ses douloureusesexpériences dont une longue période au camp de concentration de Birkenau.
Yanaï présente le projet : « Il y a mon histoire, un fils dont le père est venude Pologne et celle de Havka ».
Havka Folman-Raban avait quinze ans quand les Allemands ont envahi la Pologneen 1940.
Elle s’est jointe au mouvement sioniste Dror, dont les membres ont plus tardparticipé à la révolte du ghetto de Varsovie. Son apparence et son accentpolonais non-juif l’ont amenée à devenir le messager et l’espion du mouvement.Une de ses missions était d’arriver jusqu’à Treblinka et de raconter ce qui s’ypassait.
Plus tard, arrêtée par les nazis comme politique et non comme juive, elle estdéportée à Birkenau où elle reste pendant deux ans. Aujourd’hui, âgée de 88ans, elle est guide dans le musée. Elle partage son expérience avec lesvisiteurs et leur transmet une énergie positive, malgré ses années de jeunessedifficiles.
« Quand vous regardez mes photographies, vous pouvez voir dans un angle, cellesconsacrées à Havka. L’ensemble des clichés constitue donc une combinaison entreson histoire et la mienne, et donne naissance à un troisième élément intangibleque le visiteur peut seulement ressentir. »
Combler les blancs de l’Histoire
Audépart, ce rapprochement entre Yanaï et Folman-Raban, peut étonner. Mais enfait la synergie est naturelle entre les deux, en dépit de leur génération dedifférence. Le père de Yanaï, qui a inspiré son fils photographe pour cetravail, est décédé il y a 18 mois, à l’âge de 91 ans. Arrivé en Palestine en1935, il est le seul membre de sa famille à avoir échappé à la Shoah. Tous lesautres sont morts à Treblinka. Folman-Raban et Yanaï père étaient presquevoisins.
« Ils vivaient à une rue l’un de l’autre. J’ai demandé à Havka si elle l’avaitrencontré à Varsovie. Elle a dit ne pas savoir puisque la communauté juive étaittrès grande. Mais qui sait ? Ils se sont peut-être croisés au magasin du coin.» En 2011, l’oeuvre du photographe a été présentée au public pour la premièrefois, à la Maison des artistes à Tel-Aviv. « Mais cette deuxième exposition estdifférente », note-til, « la rencontre avec Folman-Raban apporte une valeur etune dimension significatives ».
De plus, présenter ce projet au musée des Combattants du ghetto participe d’unedémarche novatrice. Ce musée est historique et dans ce sens la vidéo de Havkaparfaitement adaptée au lieu. Pourtant, « Deux odyssées à Treblinka » inaugureune nouvelle orientation.
Jusqu’à présent, le musée ne présentait que des oeuvres d’art de survivants dela Shoah ou des objets directement reliés à leur expérience. C’est la premièrefois que l’on montre ici de l’art contemporain et l’oeuvre de quelqu’un qui n’apas vécu lui-même la Shoah.
Pour Yanaï, le but de son voyage en Pologne était de combler « les blancs quimanquaient dans l’histoire de son père » : « Mon père ne parlait pas beaucoupde sa vie en Pologne. De toute façon, même s’il m’avait dit tout ce qu’ilsavait, son récit aurait été incomplet, puisqu’il n’a, lui-même, pas traverséla Shoah. Mais il disait toujours, par exemple, que quand il a quitté sa mèresur le quai de la gare, s’il avait su que c’était la dernière fois, il l’auraitquitté différemment. » 
16 photos en noir et blanc
 L’élément principal del’exposition est une photo de la région forestière, située autour du camp deconcentration. « Il s’agit d’une image qui mesure 5 mètres de long, et estconstituée de fragments », explique le photographe. « Je n’ai pas joué avec lescontrastes ou les ombres pour la corriger et créer ainsi une illusion depanorama uniforme. » La composition saccadée, du travail, comme par à-coups etson emplacement central dans le musée sont le résultat d’une stratégie, d’uneesthétique pour tenter de traduire la taille et l’ampleur de la tragédiehumaine qui s’est déroulée dans les environs de ce site, des années auparavant.
« J’avais seize images, seize photos que j’ai développées manuellement en noiret blanc.
Chacune d’elle a sa propre raison d’être.
Ensuite, je les ai mises à plat, sur une table, non pas pour les assembler oupour rendre l’ensemble cohérent, mais au contraire, pour accentuer la naturefragmentaire de ce paysage. Même quand on l’observe d’en haut, on ne peut voircette composition en entier, comme il est impossible d’appréhender totalementla Shoah. » Et on retrouve ici un élément personnel lourd de sens pour l’artiste.« Cette idée de fragmentation évoque aussi l’histoire de mon père et debeaucoup de Juifs qui ont pu échapper à la Shoah. Cela représente aussi laséparation de la vie en Pologne, et surtout des familles. Mon père a quitté lasienne sur un quai de gare. Il ne les a jamais revus. » Même après son voyageen Pologne, et plus tard, sa rencontre avec Folman-Raban et son étonnantehistoire, Yanaï n’a pas voulu essayer de représenter la souffrance humaine. «C’est comme la maison de mon père à Varsovie.
Elle n’existe plus et je ne suis même pas sûr de l’adresse. Il n’y a rien devraiment tangible làbas.
De la même manière, on ne peut attendre d’une photo qu’elle nous offre laréalité de l’événement. La réalité de la Shoah, c’est la faim, le froid, lapeur et la mort. Une photo ne sera jamais qu’une vision très subjective del’événement et de ce qui s’est vraiment passé. » Le choix des arbres pourtransmettre cette tragédie de l’histoire est basé sur leur habilité à projeterune identité. Yanaï précise : « Si vous regardez n’importe quelle forme devégétation, vous pouvez reconnaître son origine, la région d’où elle vient, lepaysage auquel elle appartient. Par exemple, à la vue d’une photo d’un buisson,prise à Jaffa, vous saurez qu’on est en Israël – par la forme des feuilles, parleur aridité.
Cette oeuvre n’est pas là pour donner à voir un paysage – c’est une collectionde nuances et de perspectives. Par contre, vous savez immédiatement qu’ils’agit d’arbres polonais et que ce paysage ne pourrait se retrouver nulle partailleurs. »