Génération 11/09

La crise identitaire que traverse l’Europe est-elle également une conséquence des attentats du 11 septembre 2001 ?

Arrivée de migrants en Europe (photo credit: REUTERS)
Arrivée de migrants en Europe
(photo credit: REUTERS)
Au lendemain du 11 septembre 2001, l’université de Tucson dans l’Arizona où j’étudiais, a installé des « murs d’expression », invitant ses élèves à partager leurs sentiments face à cette tragédie. Les grands panneaux blancs ont rapidement été couverts d’inscriptions et de graffitis, certains témoignant de leur soutien aux victimes et de leur profonde tristesse, d’autres, franchement incendiaires, exprimant tout le racisme et l’antisémitisme de leurs auteurs.
Avant ce jour fatidique, l’un des étudiants de ma fraternité, né au Pakistan, mettait souvent en avant les liens étroits de son pays d’origine avec les Talibans. Ceux-ci étaient dans le camp des gentils disait-il, et ce bien qu’ils aient dynamité les statues de Bouddha à Bamiyan. Mais tout a changé après les attaques du World Trade Center et du Pentagone. Le fameux camarade a arrêté de chercher des excuses aux Talibans des rangs desquels Oussama Ben Laden était issu, et s’est mué en victime de l’islamophobie américaine. J’avais alors 21 ans, et je n’imaginais pas à quel point le monde venait de basculer.
La racine du mal
Il n’est pas toujours facile de dresser le bilan géopolitique des attentats de septembre 2001, et de prendre toute la mesure des évolutions qui trouvent leurs racines dans ces événements. Il est pourtant indéniable que ces attaques ont accéléré certains processus alors en gestation. Les origines de l’extrémisme qui a motivé les attentats sont à chercher aussi bien dans la guerre d’Afghanistan qu’en Tchétchénie, dans la guerre en Bosnie qu’en Algérie et d’autres conflits du Moyen-Orient. La montée de l’islamisme, tout comme le perfectionnement des techniques terroristes, ont ainsi débuté plusieurs décennies avant la chute des Twin Towers.
Si l’invasion américaine en Afghanistan avait pour objectif de déraciner le terrorisme, quinze ans plus tard, le pays est au bord de la guerre civile. « Pour la première fois depuis 2001, certaines forces politiques locales tentent de renverser le gouvernement, à l’image de ce qu’essaient de faire les Talibans depuis dix ans en s’appuyant sur la terreur », note le journaliste d’Al Jazeera, Davood Moradian. Depuis 2002, les Etats-Unis ont pourtant dépensé 68 milliards de dollars pour reconstituer l’armée et la police afghanes, et encore 45 milliards pour financer divers projets de développement dans le pays. Mais tout comme en Irak, le résultat a été la montée de l’extrémisme, du sectarisme et au bout, le chaos.
La guerre en Irak a affaibli le pays et permis à l’Iran de se renforcer. La promotion de la démocratie, avec les premières élections libres organisées en 2005, faisait partie d’un vaste programme visant à implémenter la démocratie dans la région. Cependant, le processus démocratique engagé a porté au pouvoir des extrémistes religieux ou sectaristes, mettant un terme à la vision des néoconservateurs de Washington.
Des terreaux afghan et irakien a émergé le « Printemps arabe » en 2011. Le président tunisien Zine el Abidine Ben Ali, dictateur au pouvoir depuis les années 80 et pur produit de la décolonisation française en Afrique du Nord, a été renversé facilement, tout comme son homologue égyptien Hosni Moubarak. Le « Printemps arabe » s’est révélé autrement plus compliqué à mener au royaume du Bahreïn, où les opposants au pouvoir ont été réprimés par une intervention conjointe de l’Arabie saoudite et des pays du Golfe. Et que dire de la Lybie et plus encore de la Syrie, où les fruits de la révolte ont rapidement pourri à mesure que la guerre civile a gagné du terrain ?
C’est le chaos engendré par le « Printemps arabe » ainsi que la vacance du pouvoir en Irak et en Syrie qui ont permis l’émergence de l’Etat islamique. D’une certaine manière, le pédigrée de l’EI a beaucoup en commun avec celui d’al-Qaïda dans sa conception d’un djihad mondialisé. Mais si celle-ci s’est essayée un temps à cibler et à décapiter les minorités, mettant en avant des prétentions génocidaires à l’image de ce que fait Daesh dans le nord de l’Irak, sa structure particulière constituée de cellules terroristes ne lui a jamais permis de réellement s’imposer dans la région. L’émergence de l’EI, que l’on peut qualifier à certains égards d’al-Qaïda 2.0, trouve donc également ses racines dans les attentats du 11 septembre.
L’Europe très durement impactée
Si le 11 septembre a bien eu un impact décisif sur la politique étrangère des Etats-Unis - les tendances isolationnistes de George Bush cédant la place à la « guerre contre la terreur » - c’est en Europe que son impact s’est fait sentir le plus profondément. Avant ces attentats, le Vieux continent se complaisait dans sa torpeur, occupé qu’il était à consolider l’espace Schengen et ses frontières ouvertes. Mais depuis, la question de savoir si l’Europe connaît un « conflit de civilisation » avec l’islam est devenue centrale dans des pays qui ont accueilli un grand nombre de migrants et de réfugiés musulmans. C’est grâce à ce levier qu’en 2002, Jean-Marie Le Pen s’est hissé au second tour de l’élection présidentielle française ; ou que le politicien néerlandais Pim Fortuyn a fait brièvement sensation la même année, en se déclarant en faveur « d’une guerre froide avec l’islam, cette religion hostile », juste avant d’être assassiné, à l’instar du réalisateur Theo Van Gogh, lui aussi très critique envers la religion de Mahomet, et tué en 2004 à Amsterdam. Les années 2004 et 2005 ont été marquées par des attaques terroristes de grande ampleur à Madrid et à Londres. Ce lent processus de bipolarisation des esprits explique en grande partie pourquoi 5 000 citoyens européens ont rejoint les rangs de l’Etat islamique.
L’après 11 septembre et les troubles que l’Europe a subis ont donc créé un narratif nouveau, relayé par une couverture médiatique inédite, centrée autour de la migration et de l’islam : on passe de l’interdiction de la burka à celle des minarets, puis celle du burkini. Mais la véritable question de fond porte sur l’immigration, d’autant que la disparition des frontières, le chaos en Grèce, en Macédoine et en Serbie ainsi que le million et demi de migrants déplacés en raison de la guerre en Syrie, pourraient aboutir d’ici peu à la dissolution de l’espace Schengen et de la « Nouvelle Europe ». Le Vieux continent vit désormais sous le joug de la terreur. En témoignent les forces de police lourdement armées et les hommes en treillis qui patrouillent dans les espaces publics. Si le continent a presque atteint ses limites en termes de possibilité d’accueil des réfugiés, selon le président du conseil de l’Europe Donald Tusk, ce dernier n’a aucun plan pour juguler les flux de migrants. Par ailleurs, il est fort possible que le vote britannique en faveur du Brexit ne précipite la désintégration de l’Europe. Le racisme et le terrorisme qui gangrènent aujourd’hui le Vieux continent peignent le tableau d’une Europe très durement impactée par le 11 septembre en raison de la crise profonde de ses valeurs internes qui s’en est suivi et qui dure encore.
Le monde de l’après Guerre froide promettait aux Occidentaux une quiétude nouvelle et la jouissance de privilèges. Cette époque a pris fin le 11 septembre 2001
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